Dans une étude publiée par la Fondation Jean Jaurès, Mélina Hillion, chargée d’études à la Dares, démontre la masterisation introduite en 2011 pour le recrutement des enseignants, » a engendré une forte diminution du nombre de candidats au concours externe de recrutement des professeurs des écoles ». Elle serait responsable de la crise du recrutement que connait l’école française. Faut-il pour autant revenir à un recrutement en licence ?
Le master et la chute du recrutement
Lancée en 2011 pour justifier la suppression de plus de 20 000 postes de fonctionnaires stagiaires, la masterisation était censée compenser l’absence de formation professionnalisante par une excellence disciplinaire attestée par un master. La réforme remplaçait le recrutement précédent au niveau licence.
« Nos résultats indiquent que la réforme de la « masterisation » a conduit à une diminution du nombre de candidats de l’ordre de 50 % entre 2011 et 2013, et de l’ordre de 40 % entre 2014 et 2017 suite à l’assouplissement de la réforme en 2014. Les notes des enseignants aux épreuves écrites des concours ont également diminué de manière significative après l’introduction de la réforme », constate Mélanie Hillion.
Pour elle, « cette étude montre que l’exigence d’un niveau de qualification plus élevé n’a pas toujours un impact positif sur le recrutement. Bien entendu, l’augmentation du niveau des diplômes des enseignants n’est pas un problème en soi… La réforme de la « masterisation » montre avant tout un manque de réflexion sur le contexte et les modalités de sa mise en œuvre. L’absence de revalorisation salariale, alors que l’écart de rémunération entre les enseignants et les autres professions est considérablement plus élevé pour les titulaires d’un master que pour ceux d’une licence, a probablement joué un rôle important dans le choix des candidats. Ces résultats suggèrent de recruter à nouveau les enseignants au niveau licence. Mais ils appellent également à s’interroger sur la rémunération, les conditions de travail et, plus généralement, sur les facteurs d’attractivité de la profession. La qualité de l’éducation de plusieurs générations est en jeu et il est urgent que ces questions reçoivent l’attention qu’elles méritent ».
Une situation lié au New Public Management…
A vrai dire la situation française n’a rien d’exceptionnelle. Elle s’inscrit dans la mise en place du New Public Management comme l’ont montré Florence Lefresne et Robert Rakocevic. En Angleterre, en Suède , aux Pays Bas aussi on a recruté les enseignants à un niveau plus élevé , celui du master. Et on rencontre la crise du recrutement, une poussée des démissions et aussi une baisse du niveau des enseignants, que l’étude de M Hillion montre aussi paradoxalement en FRance. Comme en France, les 3 pays cités ne trouvant pas suffisamment de candidats font appel à des contractuels. Et au final la réforme aboutit paradoxalement à aggraver la situation aussi bien pour le recrutement que pour la qualification des enseignants.
La réforme a aussi eu un effet social sur le recrutement des enseignants. Comme l’ a montré Géraldine Farges dès 2015, la masterisation a écarté du métier enseignant les jeunes de milieu populaire pour qui deux années d’études en plus est hors de portée financière. On assiste donc depuis la réforme à un embourgeoisement des enseignants très perceptible chez les professeurs des écoles. Elle constate que » chez les hommes, la part des pères cadres a triplé alors que celle des pères ouvriers est passée de 32 à 21%… Entre le premier et el second degré l’écart social s’est fortement resserré… Alors que les instituteurs étaient d’une origine sociale nettement plus populaire que les certifiés, les professeurs des écoles, qui ont vu leurs années d’études augmenter, viennent du même milieu ». Au final on sait qu’en 2019 on a battu un nouveau record avec 1400 postes non pourvus aux différents concours de recrutement.
Et annoncée dès 2011
Ces constats sont sans surprise. Tout cela était annoncé par le Café pédagogique dès 2011. En 2011, nous écrivions : » D’une part la masterisation allonge la durée de formation universitaire des enseignants. Elle écarte ainsi du métier une partie des candidats qui n’a pas les moyens financiers de s’offrir des études allongées. Pour les autres, on ne voit pas ce qui pourrait amener de jeunes diplômés d’un master à opter pour l’enseignement. Hisser l’enseignement à ce niveau c’est le mettre en concurrence avec des carrières de cadres nettement plus attractives. Sans une réelle revalorisation salariale des enseignants et sans une politique de soutien financier aux études, le recrutement des enseignants au niveau du master restera très difficile pour ne pas dire impossible. Le ministère a perçu cela en accordant une revalorisation de début de carrière. Mais elle est tout à fait insuffisante pour attirer des candidats issus de familles favorisées et qui peuvent prétendre à d’autres ambitions. Et aujourd’hui l’accès au métier reste barré aux enfants des familles populaires. Si on veut revenir sur l’échec de la masterisation, il ne suffira pas d’améliorer le cursus de formation. Il faudra aussi se décider à donner aux enseignants des salaires et des conditions de travail de cadre ».
Alors comment expliquer que la masterisation ait pu s’imposer et durer ? Elle a d’abord été une réponse à la décision de diminuer le budget de l’éducation nationale en supprimant des postes. L’histoire semble d’ailleurs repasser les plats puisque le ministre a annoncé récemment que le concours de recrutement aurait lieu en fin de master 2. Cela pourrait se traduire à nouveau par la suppression des 25 000 postes de fonctionnaires stagiaires.
Mais la masterisation était aussi liée à la volonté de relever le niveau des enseignants même si les masters ne validaient qu’un niveau disciplinaire. Paradoxalement on a fait croire qu’on améliorait la formation des enseignants en diminuant les dépenses de formation. Enfin plusieurs syndicats voyaient dans la masterisation une opportunité de relever les salaires. Le gouvernement n’oserait pas relever à ce niveau le recrutement sans accorder aux enseignants la paye qui va avec. Tous ces espoirs ont été déçus. Le niveau ne s’est pas amélioré. Quant à la paye elle est notoirement faible par rapport aux salaires des enseignants des pays voisins avec un coût par élève particulièrement bas.
Peut on revenir sur la master ?
Peut-on revenir sur le master ? Sans le dire, le ministère semble aller en ce sens. D’une part il ouvre une filière de pré professionnalisation qui va recruter dès L3 et qui pourrait apporter un recrutement plus populaire. Il pourrait aboutir à un concours aménagé en fin de parcours. D’autre part, il annonce sa volonté de recruter toujours davantage de contractuels. Par ces deux voies on aura une remise en question graduelle du recrutement au niveau master.
Le rythme des postes mis aux concours joue aussi nettement sur le recrutement. Les candidats potentiels voient l’Etat changer fortement le nombre de postes mis aux concours. Cela fait réfléchir avant de s’engager. Il faudrait au minimum que le ministère soit capable d’annoncer plus d’un an à l’avance ses objectifs de recrutement pour que les candidats sachent à quoi s’en tenir.
Un contexte nouveau
Une autre réponse à la crise du recrutement serait de relever nettement les salaires pour les rendre réellement attractifs. Luc Chatel avait entamé une revalorisation des premiers échelons des enseignants. Cette politique pourrait revenir car son cout est compatible avec les budgets prévus pour l’éducation nationale. Mais la revalorisation globale de la carrière, de plus en plus fortement réclamée par les enseignants, n’est clairement pas budgetée.
Mais la question du recrutement des enseignants se pose en 2019 dans d’autres termes qu’en 2011. Elle se fait dans un contexte de libéralisation de l’Ecole qui rend les perspectives de revalorisation salariale assez illusoires. Comment obtenir une revalorisation quand le recours massif aux contractuels à tous les niveaux, y compris 1er degré, est admis, ce qui n’était pas le cas en 2011 ? Comment ne pas voir que se profile aussi avec la réforme de la formation des enseignants la possibilité de distinguer concours et recrutement ? Ces orientations politiques font que la crise du recrutement semble évoluer sous nos yeux en une évolution du recrutement.
François Jarraud
Suède, Pays Bas, Angleterre : Echec du New Public Management
Florence Lefresne et Robert Rakocevic
Sur l’embourgeoisement des enseignants