Un ensemble d’échanges entre enseignants et autres éducateurs, repéré sur les réseaux sociaux, amène à s’interroger sur les compétences réelles de chacun de nous dans le domaine de l’informatique et du numérique. Savez-vous utiliser votre messagerie électronique sur votre smartphone ? A priori tout le monde répond oui, mais à une condition, que l’appli ait été installée (souvent par défaut) et surtout que l’on ait « configuré » sa boite aux lettres électronique pour qu’elle soit active. Certains ajoutent, dans leur commentaire, que l’on peut aussi demander à ses enfants de l’aide… quand d’autres pensent qu’un adulte, de plus enseignant, devrait être capable de le faire, cela serait professionnel. Si l’ordinateur impose, de par son fonctionnement, un apprentissage minimal permettant de se faire une représentation mentale suffisante, le smartphone est conçu pour diminuer au maximum cet apprentissage minimal : on doit d’abord utiliser pour ensuite, éventuellement, approfondir les paramètres, les réglages… Quand vous changez de smartphone, les entreprises vous proposent (parfois) le transfert automatique de vos réglages et de vos contenus de manière à ce que vous ne soyez pas en difficulté.
Quel niveau numérique attendre d’un enseignant ?
Lorsqu’en 1980 nous achetions nos premiers ordinateurs personnels, nous apprenions rapidement l’importance de connaître leur fonctionnement pour obtenir un résultat satisfaisant. Cela passait souvent par de la programmation. A l’époque les consoles de jeux avaient déjà montré un chemin pour faciliter les utilisations : on entre directement dans le jeu sans se préoccuper du fonctionnement de la machine, il suffit d’enficher une carte dans la machine et cela démarre instantanément. La logique propre aux smartphones et tablettes est de même nature au moins pour démarrer. Mais une fois chacune de ces machines mises en route s’ouvre alors plus ou moins de possibilités de réglages que ce soit pour l’ensemble de l’appareil ou pour chaque application/logiciel que l’on veut utiliser. Et c’est là que ça se complique et que nombre de personnes ne passent pas à l’étape de l’apprentissage technique profond que supposerait une large maîtrise de la machine. Rappelons ici que le problème est assez proche pour la plupart des professionnels, en particulier les spécialistes. Nombre de médecins le confirment : en dehors de ma spécialité je me sentirais bien en difficulté face à certaines situations. Dans le monde de l’informatique c’est la même chose : nombre de spécialiste d’une partie de l’informatique ignore les autres parties qui sont mises en œuvre par d’autres spécialistes.
Mais alors quelle exigence peut-on ou doit-on avoir vis à vis d’un enseignant (débutant ou aguerri) et encore plus d’un élève en matière de compétences informatiques. Une relecture de tous les textes sur le sujet donne un résultat plutôt kaléidoscopique. Si l’on ajoute les prises de position et travaux de certains chercheurs en face de certains professionnels du milieu on est rêveur : quel référentiel de compétence, quel programme doivent être mis en place ? Mais on ne peut y répondre rapidement si on n’explore pas les arrières pensés techniques, politiques et économiques des uns et des autres. Certains orienteront leur analyse sur le principe d’égalité, d’autres sur l’informatique fondamentale, d’autres sur les usages, d’autres enfin sur les contenus d’enseignement. Le prisme à partir duquel on approche cette question est déterminant pour définir ce qu’il faudrait maîtriser. Nous sommes en présence de plusieurs paramètres pouvant influencer les exigences et niveaux d’exigences. Un autre élément est à prendre en compte : la manière dont chacun développe ses compétences s’appuie d’abord sur une autoformation appuyée par les pairs comme le confirment toutes les enquêtes déclaratives des dernières années. Même si les formations plus traditionnelles (stages) sont proposées et parfois retenues, elles n’ont pas la même efficacité.
Quel besoin ressenti de compétence ?
Il y a enfin une autre dimension à prendre en compte : celle du « besoin ressenti de compétence ». Face au smartphone ou à l’ordinateur la perception en est différente. Face à une situation professionnelle vécue ou une autre le besoin ressenti va varier aussi bien dans le contenu que dans la forme et même dans la durée. C’est à partir de ce besoin ressenti (il faut alors enrichir la pyramide de Maslow) que va se construire le processus d’appropriation de telle ou telle fonction ou service. On peut ainsi observer que l’informatisation des notes et celle du cahier de texte n’a pas sembler un obstacle insurmontable à chacun mais que par contre l’utilisation des logiciels de TBI a rapidement rebuté la majorité des enseignants qui y ont vu davantage de complexité que de réponse à un besoin ressenti. Travailler le besoin ressenti ne se fait pas en formation, c’est un environnement global qui permet de l’identifier. Cependant il y a une hiérarchisation des besoins ressentis qui, selon les moments et les situations, va varier.
Savoir régler dans les plus avancées des possibilités son smartphone n’est pas à la portée de tous. La simple compréhension des expressions employées est parfois à la base de malentendus, dans certains cas l’accès à des réglages particulier est trop compliquée, parfois les réglages sont faits par défaut et on s’en contente. C’est ce dernier point qui est le juge de paix. Nous nous satisfaisons des paramètres par défaut (parfois ils sont imposés…) car ils nous ouvrent vers une utilisation suffisante. Si l’on pousse l’analyse plus loin, on peut considérer aussi que les concepteurs organisent et dirigent nos compétences et incompétences. Il est donc peu étonnant que nous soyons si peu compétents. Mais il semble qu’il ne faille pas trop le dire au risque de paraître incapable de développer ces compétences. Au risque même de se retrouver dans la catégorie associée à « illectronisme » (confère le récent document publié par le Syndicat de la Presse Sociale).
Du besoin à la démarche
Si nous revenons aux fondements du métier d’enseignant, nous proposons cet aphorisme tel qu’il est souvent présenté par ces mêmes enseignants : « on n’enseigne uniquement les contenus que l’on maîtrise parfaitement ». Tandis que Léon Blum écrivait « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est. »… On pourrait poursuivre la liste des citations. Rappelons simplement ce que nous disaient les enseignants au début des années 2000 quand le B2i s’est mis en place : on ne se sent pas capable d’évaluer les élèves, nous-mêmes avons du mal avec ces compétences. Le C2i2e est passé par là, ne modifiant pas vraiment le niveau. Arrive le PIX, la réforme de la formation initiale des enseignants et l’insistance sur les compétences numériques évoquées récemment au Sénat. Ces mesures sont-elles destinées à rester largement inefficaces ? On peut noter qu’une familiarisation personnelle des enseignants avec l’informatique et le numérique a permis une évolution dans les pratiques en classe.
Mais face à des élèves qui eux aussi développent des habiletés dans des contextes tout aussi variés, quelles rencontres sont possibles, quelles compétences développer ? Une réponse est proposée par certains qui ne voient que la possibilité d’une scolarisation et une didactisation de l’informatique scolaire (cf. Le dernier livre de Cédric Fluckiger). Quelle que soit la réponse que l’on va apporter, il ne faut surtout pas oublier qu’à la base du développement des utilisations de l’informatique il y a cette notion de « besoin ressenti de compétence » et que pour en susciter le développement, il faut organiser les environnements de travail (pas seulement numériques) pour qu’ils permettent de transformer ce besoin ressenti en démarche d'(auto)formation.
Bruno Devauchelle