Pour faire la paix, il faut être deux. Et encore faut-il participer au même conflit. Alors qu’on se focalise sur le conflit des examens, un autre mouvement, nettement plus radicale , se développe : l’éradication de la cogestion dans l’Education nationale. L’intersyndicale du second degré et les mouvements qui y sont rattachés continuent toute la semaine des actions contre les examens : des blocages des centres de correction du bac pro le 24 juin à la grève de la surveillance du brevet le 27 juin. Le ministère lui mène une autre bataille. De l’annonce du décret imposant une semaine de travail supplémentaire obligatoire pour formation à la loi de transformation de la fonction publique, c’est la mise au pas finale des syndicats qu’il poursuit.
50 000 copies en rétention
L’intersyndicale du second degré (Snes, Snep, Snuep, Snetap, Cgt Educ’action, Cgt Agri, Cgt Enseignement Privé, Sud Education, Sud Rural-Territoires, Sundep, Snalc, Cnt, Synep-Cfe-Cgc, Snec-Cftc, des Stylos rouges, de la Chaîne des Bahuts et de l’Apses) poursuit toute la semaine ses actions sur le déroulement des examens pour marquer son opposition aux réformes des lycées. Cela commence le 24 juin avec le blocage des centres de correction du bac professionnel. Et cela se termine le 27 juin avec la grève des surveillance du brevet. Cette journée sera aussi marquée par des grèves et des manifestations dans toute la fonction publique à la fois en vue de la négociation salariale fixée au 2 juillet et en réponse à la loi de transformation de la fonction publique.
Ces derniers jours des professeurs de philosophie de l’académie de Rouen, des professeurs de SES de Créteil ont rejoint le mouvement de rétention des notes. Les opposants aux réformes revendiquent déjà la rétention de près de 50 000 copies d’examen. Le mouvement de blocage des centres de correction devrait être assez efficace pour le bac professionnel et pourrait s’étendre à la correction du brevet, opérée là aussi en centres après le 28.
Même pas peur
Mais visiblement tout cela n’effraie pas le ministère. Lors du CTM du 13 juin, le ministère a refusé de revenir sur son projet de décret supprimant une semaine de congés au nom de la formation continue obligatoire. Il a même rejeté l’idée de publier à l’avance le calendrier de ces périodes de formation de façon à ce que les enseignants puissent au moins organiser leurs congés.
Mardi 25, le Sénat étudiera l’amendement Brisson sur l’annualisation du temps de travail des enseignants. Une vieille revendication des Républicains qui doit aboutir à faire travailler plus longtemps les enseignants pour le même salaire si elle était adoptée.
La fin de la cogestion
Cette loi sur la fonction publique, qui est en discussion au Sénat en ce moment, retire aux syndicats leur droit de regard sur les mutations et l’avancement des enseignants. Autant dire qu’elle scie le pouvoir syndical à sa racine. En plus elle renforce considérablement le pouvoir de la hiérarchie immédiate sur les enseignants. Elle devrait être adoptée , comme la loi Blanquer, d’ici la mi juillet.
Ne nous y trompons pas. Nous vivons un moment historique dans l’histoire de l’Ecole. Cette loi va mettre fin à plus d’un demi siècle de cogestion dans l’Education nationale. Avec elle , l’influence syndicale, déjà bien atteinte, va fortement s’atténuer. L’administration ne connaitra plus le controle syndical sur l’évaluation et l’affectation des enseignants. Elle va enfin atteindre un rêve : aller au bout de ses ambitions de gestion sans rendre de comptes.
Ce projet a des soutiens puissants dans la société puisque ce n’est rien d’autre que l’application des principes libéraux dans un ministère où ils ne sont pas bienvenus. Ecoutons F Dubet , dans une récente Note de la Fcpe : » Pour qui connaît l’histoire, les traditions, les coutumes et l’imaginaire de l’Éducation nationale française, l’affirmation aussi nette de ces principes annonce une révolution. Le recrutement des enseignants par les établissements mettra à mal la conception traditionnelle de l’autonomie professionnelle des enseignants et privera les syndicats d’une de leurs principales ressources, celle de la « cogestion » des carrières. Le transfert de l’inspection vers un système d’audit et de renforcement du pouvoir des chefs d’établissement sera, lui aussi, perçu comme une révolution : au pouvoir lointain du ministère et de l’inspecteur se substituera un pouvoir proche. Enfin, le système modulaire du lycée et la réforme du baccalauréat bousculeront la hiérarchie des disciplines, entre celles qui resteront nationales et celles qui tomberont dans le contrôle continu… Il ne faut pas voir dans la philosophie scolaire de Jean-Michel Blanquer une série de « mesurettes », mais une rupture profonde. Si ses propositions en venaient à s’appliquer, c’est le coeur de l’institution lui-même qui en serait bouleversé. »
On perçoit déjà les effets de cette rupture à la fois dans les sanctions qui frappent des militants syndicaux (ceux de Bobigny récemment) et dans des décisions imposées par l’administration. Mais on le voit aussi dans l’émergence des nouveaux mouvements comme les Stylos rouges ou le #pasdevagues qui marquent aussi à leur manière la faiblesse syndicale.
La révolution libérale menée par JM Blanquer est en train de franchir une étape décisive. L’enjeu c’est la poursuite de ses réformes et notamment la mise en concurrence des établissements et la libéralisation de la formation et de l’embauche des enseignants. C’est l’alignement de l’école française sur le modèle anglo saxon. Malgré la guérilla de l’intersyndicale du second degré, il le fait jusque là sans rencontrer une opposition forte.
F Jarraud