L’espace est-il une dimension importante pour l’Ecole ? On a souvent analysé l’Ecole dans une optique sociologique. Administration & Education, la revue de l’AFAE (n°162) jette un nouveau regard en lisant l’Ecole dans une optique spatiale et en jouant sur les échelles. Il est question des micro espaces, ceux de la classe et de l’école et de leur rapport avec les nouvelles politiques, comme la réforme des rythmes scolaires. Il est question aussi de la réforme territoriale de l’Education nationale et de ses rapports avec la réforme régionale. Entre ces deux échelles, la revue relit les politiques nationales là où elles s’appliquent. Poser la question des territoires de l’Ecole c’est finalement interroger les inégalités et les politiques menées, ou non, pour les réduire.
La salle de classe, un paysage à lire
Les géographes le savent : les paysages reflètent les sociétés humaines. Il en va de même pour les paysages scolaires. Quand le maitre entre dans sa salle de classe, elle lui renvoie les codes et les normes de son institution. Dans ce numéro 162 d’Administration & Education , les articles les plus éclairants sont peut-être ceux qui traitent des espaces de l’école primaire.
Il faut lire ce qu’écrit Viviane Bouysse sur l’évolution des salles de classe dans le premier degré de la IIIème République à nos jours comme inscription dans l’espace de pratiques pédagogiques et d’un rapport à l’institution qui évoluent. L’école élémentaire de la Troisième République , si normée (il y a une réglementation et c’est parfois le même architecte départemental qui les construit avec les mêmes artisans) est « une place forte et fermée pour une initiation au monde ». La salle de classe est « exotique », rappelle V Bouysse par rapport au monde extérieur. Cet espace évolue à partir des années 1960 avec une école qui s’ouvre à la société. « L’espace de l’école et plus encore celui de la classe… sont des marqueurs de la culture scolaire et des conceptions du métier d’élève », écrit V Bouysse. Et elle oppose avec raison l’espace des classes de maternelle avec celui de l’école élémentaire et la classe du collège. Les fonctions corporelles ont une large place dans l’école maternelle et cela se lit dans des lieux spécialisés (dortoir, salle d’eau, salle de motricité etc.). « On n’y fait pas de leçons », rappelle t-elle. » De l’école maternelle à l’école élémentaire, la neutralisation des corps à des places fixes rarement quittées en dehors des récréations, l’orientation des tables par rapport à cet objet singulier qu’est le tableau, vert ou blanc aujourd’hui, interactif ou pas, nous disent une chose : il y a là un centre de l’attention conjointe qu’il faut créer et entretenir, même si le cérémonial est modifié pour quelques activités de recherche, de « travail de groupe ». C’est de la culture écrite que cet espace scolaire prototypique reste le marqueur, l’immobilité des corps favorisant la mobilisation cognitive ».
L’espace de l’école sous la pression de la réforme
Lisons maintenant le même espace transformé par la réforme des rythmes scolaires, sous la plume de Jean-François Thémines et Anne-Laure Le Guern. Même si dans l’académie de Caen, lieu de leur étude, la maitrise des espaces scolaires n’a pas été au centre de la réforme comme ce fut le cas à Paris, c’est la connaissance fine des espaces scolaires par les acteurs locaux qui fait la réussite de la réforme. » Dans une commune rurale du sud de la Manche, outre que la municipalité entend bien les demandes des professeurs de l’école maternelle, ceux-ci bénéficient de locaux utilisables pour organiser les transitions entre moments de la vie de l’enfant. Chaque salle de classe bénéficie d’une petite salle adjacente que l’on appelle « vestiaires des enfants ». Des questions d’organisation au quotidien entre parents, professeurs et autres intervenants de la journée y sont réglées. En revanche, la mise en oeuvre de la réforme à l’école élémentaire pâtit de l’étroitesse, de la faible qualité des locaux (très sonores) et de l’enclavement du site qui interdit toute perspective de construction nouvelle », écrivent-ils.
Prenons maintenant la réforme sous un autre angle géographique. En lançant les PEDT la réforme crée de nouvelles inégalités locales qui se transforment en inégalités sociales : » en cas d’offre culturelle réduite, si les enfants de catégories moyennes et favorisées peuvent bénéficier d’une compensation par le capital culturel familial et par une capacité de mobilité privée qui permet d’accéder à des biens culturels manquants dans l’offre locale, ce n’est pas le cas des enfants de familles défavorisées ». La conclusion de JF Thémines et AL Le Guern c’est que » la sensibilité des agents du service public d’éducation à la dimension spatiale des réformes est cruciale pour ne pas alimenter les inégalités éducatives par les réformes elles-mêmes ».
Restons à cette échelle mais passons sous le regard du sociologue, en l’occurrence Choukri Ben Ayed. » La question qui nous paraît aujourd’hui centrale est moins celle de la théorisation de la notion de territoire éducatif que de ses conséquences. Ces territoires représentent-ils un danger ou des opportunités nouvelles pour l’école ? Compte tenu des orientations politiques voire idéologiques éclatées qui président à ces territoires éducatifs, aucune réponse unifiante n’est évidemment possible. Les enseignements que nous en tirons en revanche sont les suivants. La référence au territoire, souvent présentée comme consensuelle pour la réforme des politiques publiques, revêt également une dimension potentiellement conflictuelle, tant les conceptions et les usages peuvent diverger ».
L’Ecole et la réforme territoriale
Changeons d’échelle et observons la réforme territoriale au niveau régional. Plusieurs articles traitent la question dont un très intéressant dialogue entre Alain Boissinot, coordinateur de ce numéro avec Philippe Claus, et Jean-Louis Nembrini, géographe, ex inspecteur général mais maintenant vice-président de la région Nouvelle Aquitaine. » Dans tous ces domaines qui, loi après loi, renforcent la responsabilité des régions, la réussite des politiques mises en place par les présidentes et présidents de région dépendent de l’engagement à leur côté des ministères concernés, essentiellement de l’Éducation nationale. Mais les relations nouvelles qui, inéluctablement et à bas bruit, s’instaurent entre rectorats et collectivité régionale, s’effectuent de service à service sans organisation structurelle », note JL Nembrini. » Imaginons un instant pour comprendre que, conscients de n’avoir pas suffisamment de prise sur le système, les élus régionaux refusent de voter toutes les dépenses de fonctionnement qui ne sont pas dans la liste des compétences obligatoires et codifiées des régions ». Suit la longue liste des actions régionales. » La liste pourrait s’allonger car l’État a laissé monter les collectivités territoriales en responsabilité sur des domaines relevant d’engagements qu’il se fixe, qu’il est incapable de tenir seul et qui pourtant répondent à une exigence sociale extrêmement forte sur les territoires. N’est-il pas légitime pour les régions de vouloir mieux contrôler l’exécution de leurs engagements politiques ? »
Au passage, J Nembrini montre comment l’Education nationale continue à mener des politiques sans se soucier de l’espace régional. Ainsi la réforme des lycées avec ses spécialités implique que les régions suivent en terme de transports , d’équipement. Or tout se fait très vite , en décalage complet avec le vote des budgets régionaux. Autre exemple la réforme de la formation professionnelle : les régions ont mis en place une carte des formations professionnelles et financé des équipements et l’Etat donne l’apprentissage aux branches professionnelles dans une logique d’offre et demande…
En conséquence JL Nembrini demande que la lettre de mission des recteurs soit cosignée par le président de région et qu’elle comporte un volet sur les politiques régionales.Il demande aussi une évolution des CA des EPLE en les calquant sur le modèle des lycées agricoles.
Bien d’autres articles de ce numéro particulièrement réussi éclairent d’autres échelles et d’autres politiques. Tous montrent que réfléchir l’espace de l’Ecole c’est poser la question des fractures sociales et territoriales et des politiques pour y remédier. Pour A Boissinot, » l’enjeu est sans doute d’imaginer un nouveau pacte entre l’État et les territoires. Les « ruptures » ne seraient plus alors des fractures, mais l’amorce d’un équilibre à venir ».
F Jarraud