Alors que des rassemblements des PsyEN et des personnels des CIO et de l’Onisep sont organisés nationalement le 18 juin, Jacques Vauloup, inspecteur en orientation, explique dans cette tribune pourquoi il faut sauver les CIO.
Par un arrangement politicien dont sont friands les politiques professionnels en mal d’alliances préélectorales, Régions de France et le Gouvernement se sont entendus à peu de frais : tu me laisses l’apprentissage (État) , je te donne l’orientation (Conseils régionaux). Suite à la loi du 5 septembre 2018 dite Pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui transfère aux régions l’information liée à l’orientation, le gouvernement a engagé ce qu’il dénomme une «transformation de l’orientation». Il prévoit de diviser par trois le nombre de centres d’information et d’orientation (CIO) de 454 (aujourd’hui) à 150 (demain).
Ce faisant, on brade l’ONISEP (créé en 1970) et les Centres d’information et d’orientation publics (CIO créés en 1971, leurs ancêtres Offices d’orientation professionnelle en 1922). On développe une conception strictement informative de l’orientation au détriment de la fonction conseil. Quand près de 80% des jeunes de 18 ans sont scolarisé.e.s et 53% à 20 ans, on survalorise l’orientation-emploi et on minimise l’orientation-formation. Que fait-on du conseil à la personne, de l’interrogation subjective d’une personne sur son orientation ? Le décret 2017-120 du 1er février 2017 stipule pourtant que le bien-être psychique de la jeunesse est une condition sine qua non du développement de sa capacité à s’orienter dans la vie. Et que les personnels qualifiés pour y veiller sont ès qualités les psychologues.
Or, depuis deux ans, les psychologues de l’éducation nationale de la spécialité orientation et les directrices et directeurs des CIO ne savent pas à quelle sauce ils.elles vont être mangé.e.s. Réduction des CIO à la portion congrue, absence de statut, caractère étique des recrutements, transfert annoncé des psychologues dans les collèges et lycées publics.
Au fond, tout se passe comme si la puissance publique avait choisi le Marché et non le service public. Acadomia, L’Étudiant, Studyrama, etc. Place aux coaches, consultants et officines mercantiles de tout poil, qui n’ont jamais été aussi florissants. Y a-t-il encore une place pour un service public d’orientation ?
Les bonnes raisons de sauver le soldat CIO, maintenant !
Leur croyance et leurs activités engagées envers la mise en valeur de toutes les potentialités individuelles et collectives de chaque être humain.
Leur action inlassable, quotidienne, depuis cinquante ans, au service de la promotion individuelle et sociétale par l’école, grâce à l’école.
L’Internet ne peut pas tout. Si l’on ne peut nier le rôle des technologies de l’information et de la communication dans l’information, on ne peut réduire le conseil à la personne à des interactions électroniques à distance.
Le prof ne peut pas tout. Si l’on ne peut nier le rôle des professeurs en orientation, la psychologie du conseil relève de la compétence d’un.e psychologue. Des choix d’orientation fondamentaux sont pris au collège, au lycée, à l’université. Plus que jamais, on a besoin de spécialistes de l’orientation à l’école.
Le CIO médiateur entre les adultes et les enfants. Le CIO interface entre les établissements scolaires. Le CIO maître d’oeuvre du rapprochement entre les milieux professionnels et le monde éducatif. Le CIO investi dans le combat contre le décrochage scolaire. Aurait-on oublié tous les avantages que représente ce positionnement ?
En 1945, avec le souffle humaniste et utopique qui caractérisa les projets éducatifs de la Libération, Roger Gal exprima l’essentiel :« Le problème de l’orientation scolaire et professionnelle, c’est le problème central de la réforme de l’enseignement et de l’éducation, c’est le problème qu’impliquent tous les autres qu’ils soient politiques, sociaux, économiques, moraux ; il n’est aucun d’eux qui ne dépende en quelque mesure de lui. Il est au fond le problème de la civilisation nouvelle qui s’élabore à travers les bouleversements que nous vivons. C’est de sa solution que dépendent l’épanouissement et le bien de l’individu, puisque orienter, c’est s’efforcer de savoir de quelle manière on développera au maximum les forces latentes en chaque personnalité en formation, chercher dans quel sens chaque être humain réalisera sa plénitude».
Il est temps de remettre les CIO dans le jeu et de les doter de moyens humains et de fonctionnement décents. Ils n’en seront que plus efficaces encore au service des missions qui leur sont allouées et qu’ils remplissent avec intelligence, professionnalisme et dévouement depuis des décennies. Si on ne fait rien, bientôt il sera trop tard.
Le CIO interface, un atout majeur
Aurait-on oublié tous les avantages que représente ce positionnement ? Objectivité et neutralité des informations dans un contexte ambiant de marketing et de communication commerciale. Autonomie et déontologie du conseil individuel face à des situations personnelles délicates, tendues ou inextricables. Connaissance des parcours réels d’études et de formation du collège au lycée ou à l’apprentissage, du lycée au post-bac, de la fin de la formation initiale à l’emploi. Formation des professeurs principaux et des parents d’élèves. Mise en place du service public régional d’orientation. Pilotage des plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs. Conception de forums d’information sur les métiers et les formations, etc. Nous perdrions gros en orientation sans cet atout maître.
« Les rapports que nos enfants entretiennent avec les adultes, le type d’adultes qu’ils deviendront plus tard sont d’une importance vitale pour la survie même de notre espèce. L’avenir de l’espèce humaine, si tant est qu’il en ait un, se détermine aujourd’hui par et à travers les relations ordinaires que nouent les enfants et les adultes, bien plus que par tout autre facteur. Les êtres humains les plus importants, ce sont les enfants. Et les êtres humains les plus importants pour eux, c’est nous. Nous devons rester proches d’eux » (Laing, 1985, dans Paroles d’enfants).
Ces propos sages, puissants, à la fois pleins d’espérance et un brin désabusés du psychanalyste britannique Ronald David Laing (1927-1989) résonnent comme l’un des enjeux éducatifs, politiques, psychiques, sociaux, démocratiques et environnementaux majeurs du 21ème siècle. Croit-on que c’est en bradant le service public d’orientation de l’éducation nationale que l’humanité qui vient sera assez forte, inventive, éco-responsable, démo-responsable, socio-responsable ? Et tout simplement humaine ?
Oui, il faut sauver le soldat CIO, parce qu’il le vaut bien !
Jacques Vauloup
Instituteur et professeur en collège (1971-1978), conseiller d’orientation (1978-1987), psychologue, Jacques Vauloup a exercé pendant trente ans (1987-2017) la fonction d’inspecteur en orientation au ministère de l’éducation nationale. Il est aussi fils et petit-fils de petits artisans, commerçants et agriculteurs, auxquels il doit tant.