Professeure des écoles, Nathalie a enseigné 10 ans en Ile-de-France avant de partir enseigner à l’étranger dans un établissement de l’AEFE. Détachée dans un établissement français conventionné puis homologué, puis en disponibilité, Nathalie fait partie des professeurs qui n’ont pu obtenir un nouveau détachement ou une nouvelle disponibilité. Il lui fallait soit réintégrer un poste en France soit démissionner. Elle a choisi la démission. Elle publie cette lettre d’adieu…
Chère Éducation Nationale, Je t’ai aimée malgré tes lourdeurs et tes incohérences, malgré tes agendas politiques et ton écrasante bureaucratie. Aujourd’hui pourtant c’est à moi qu’il incombe de te demander d’accepter une démission alors que c’est toi qui me force à m’y plier. Se résoudre à renoncer à ce pour quoi on a dû travailler si fort n’est pas chose aisée. J’ai dû me battre pour toi, tu sais.
C’est mon sang qui a parlé quand j’ai été obligée d’imposer mon souhait de travailler dans le cycle primaire de la vertueuse Éducation Nationale, si noble et si décriée. Dépasser le dédain de ceux qui pensent qu’être « instit’ » c’est facile, que n’importe qui peut le faire puisqu’on enseigne des connaissances si basiques. Dépasser le découragement bien connu des étudiants contraints de travailler pour financer leurs études. Dépasser la stupeur le jour du concours quand on se rend compte que se présenter en candidat libre, c’est comme jouer au poker sans en connaitre les règles.
Et pourtant, tu as voulu de moi. C’est avec mon sang que je te parlais et tu l’as reconnu, le sang de mon ascendance qui depuis le XIXème siècle avait apporté l’instruction à plusieurs générations d’élèves, disciple de Jules Ferry, profondément laïque et républicaine à une époque où les clochers régissaient encore la vie des villages.
Tu m’as reconnue, et je n’ai pas été ingrate. Je t’ai donné, réforme après réforme, le meilleur de moi-même, renouvelant et adaptant sans cesse le savoir à transmettre. Tu m’as montré ta reconnaissance avec des mots qui m’ont fait du bien et m’ont soutenue, un temps…
Puis je suis partie, parce que tu ne m’offrais que des mots et que tu ne pouvais pas m’offrir plus. Je me suis éloignée de toi parce que je voulais maitriser mon avenir. Mais je ne voulais pas te quitter. Et voilà, aujourd’hui, tu veux pouvoir dire « elle a choisi de me quitter », parce que je t’ai présenté ma démission, mais tu sais bien que c’est faux. Tu vas me dire que j’ai changé, tu as raison, mais toi aussi tu as changé.
Quand je t’ai choisie, j’ai succombé à l’image d’Epinal de l’enseignant qui consacre sa vie à son sacerdoce et qui patiemment, sou après sou, construit sa retraite. Cet enseignant qui paisiblement se pose enfin un jour dans une belle région où il est allé été après été en vacances, en se disant qu’un jour il s’y installerait dans une modeste maison qui abriterait le crépuscule de sa vie.
Hélas aujourd’hui, cet avenir est un mirage et si l’enseignant survit au quotidien difficile qui est souvent le sien et qu’il parvient à atteindre enfin l’âge de se retirer, il ne fera pas partie de ces retraités hyperactifs qui profitent du patrimoine constitué au fil des années. Non, il continuera à compter chaque sou en s’inquiétant du jour où il n’aura plus la force d’être autonome car à ce moment-là, que fera- t-il ?
Non, le présent hasardeux et l’avenir incertain ne sont pas rassurants pour un enseignant de France. Celui-ci donne pourtant tellement en échange de si peu ! Et tu fermes les yeux. Tu ne peux pas me rappeler auprès de toi car en m’éloignant j’ai compris qu’il y avait un ailleurs. Un ailleurs où l’on sait montrer de la reconnaissance à ceux qui détiennent la grande responsabilité d’éduquer les nouvelles générations. Aujourd’hui je te quitte officiellement, et je ne veux pas te faire croire que je reviendrai un jour. Remplace-moi puisqu’il le faut mais sache que je ne t’oublie pas.
Crois bien que je suis consciente que l’éducation que tu m’as donnée est l’une des plus exigeantes et des plus complètes qui soit. J’hérite de toi des valeurs et des principes forts et j’en reste marquée. Je ressens pour toujours l’odeur de vieux bois poussiéreux des gradins de ma salle de classe de lycée où j’ai découvert tant de maitres à penser qui font de la France le grand pays qu’elle est. Devenue à mon tour enseignante, j’ai gardé tout cela en moi et je continuerai de transmettre ce que tu m’as appris. Je suis fière que tu aies fait de moi une citoyenne lettrée mais je suis déçue que tu ne reconnaisses pas mieux ceux qui sont les garants de la pérennité de cette éducation si unique et exemplaire.
J’irai donc prêcher tes valeurs auprès d’autres foules.
Au revoir Éducation Nationale, le récit ne s’arrête pas là. Rompre avec toi me permet d’écrire de nouveaux chapitres plus riches, l’aventure vient juste de commencer.
Affectueusement,
Nathalie