La question peut surprendre au pays de la réformite aigüe, alors que s’enchainent à un rythme endiablé les réformes du collège, de l’école primaire, du lycée, du bac et maintenant de la maternelle, mobilisant contre elles enseignants et parents. Elle est pourtant revenue avec insistance le 12 juin lors de la conférence internationale organisée par la Revue internationale d’éducation de Sèvres sur les conditions de réussite des réformes. Le thème de la réforme en éducation a été interrogé par des politiques, à commencer par JM Blanquer, et par des experts, dont JM de Ketele, A Novoa, et X Pons. De cette mise en perspective internationale, le cas français de la réforme propulsée par en haut ressort isolé et désuet.
JM Blanquer et le pragmatisme
« Le thème ne pouvait que m’attirer comme une lumière un insecte », affirme avec humour JM Blanquer. Le ministre, qui a entrepris de changer très rapidement tous les niveaux de l’éducation nationale, a défendu sa conception de la réforme en éducation. Pour lui, la réforme doit être avant tout pragmatique. Pour arriver à l’école de la confiance, il faut « une vision pragmatique de mener les politiques publiques », même si les réformes doivent aussi s’inspirer de la « science » et des comparaisons internationales. Cette conception sera un peu plus tard analysée par Xavier Pons. Pour le ministre la réussite des réformes tient à la prise de conscience des acteurs, ce qui est le cas de la réforme du bac selon lui puisqu’elle a été précédée « d’une vaste concertation »…
Ancien ministre de l’éducation du Sénégal, Mamadou Ndoye propose une typologie des réformes entre celles qui visent la généralisation de l’enseignement, celles qui veulent améliorer la qualité des apprentissages et celles qui se posent comme objectif un nouveau projet social. Certaines réformes résultent aussi de la volonté de changer les curricula pour rendre l’enseignement acceptable. Dans tous les cas, la réforme doit bénéficier du soutien au plus haut niveau de l’Etat pour obtenir le budget nécessaire. Un problème que JM BLanquer connait chaque année davantage…
JM de Ketele : Quels leviers pour la réussite des réformes ?
« Pourquoi certains systèmes éducatifs réussissent -ils mieux tandis que d’autres stagnent ou régressent ? », demande Jean-Marie de Ketele (université catholique de Louvain). En charge du cadrage du colloque, JM de Ketele interroge ce qu’est la réussite d’une réforme et les leviers pour l’atteindre. Qu’est ce que l’efficacité d’une réforme ? Le critère de performance doit-il prendre en compte ce qui est réellement fait ou ce que l’on devait faire ? Pour JM de Ketele, le colloque devra aussi identifier des leviers de réussite des réformes. Il présente trois « chaines » d’entrainement des réformes : le modèle top down bien connu en France, le modèle impulsé par les organismes internationaux et le modèle local où collectivité locale et établissement réunissent parents et enseignants.
On sent bien que JM de Ketele préfère des réformes basées sur des valeurs que sur la recherche d’une prétendue efficacité. Ainsi ouvre t-il des exposés qui vont attaquer pleinement la notion de réforme.
A Novoa : La réforme, un concept dépassé ?
« La question de la réforme en éducation est-elle encore pertinente ? », demande Antonio Novoa, représentant du Portugal à l’Unesco. Reprenant Tyack et Cuban, il estime que « ce ne sont pas les réformes qui changent les écoles mais l’inverse ». Il montre comment le concept de « réforme éducative » disparait des recherches Google depuis le début du siècle, ce qui isole un peu la France.
D’ailleurs A Novoa cible le conseil scientifique de l’éducation nationale réuni par JM Blanquer quand il critique le courant de « l’évidence based » qui se présente comme apolitique et « pragmatique ». « On n’analyse plus l’éducation , on applique les preuves ».
Pour lui, « on parle moins de réforme car l’action politique est plus centrée sur le processus de changement et plus réticulaire… Le processus de production des politiques éducatives est moins envisagé comme résultant d’une action gouvernementale et davantage comme un processus complexe ayant plusieurs pôles » (J Barroso).
Pour lui il faut abandonner l’idée de réforme mais comprendre qu’ily a une métamorphose de l’éducation qu’il importe de soutenir en laissant émerger de nouveaux environnements éducatifs capable de renforcer la participation au niveau local.
Xavier Pons : une 4ème voie
Xavier Pons (UPEC) va développer la critique du courant « pragmatique ». Il dénonce ce courant de pensée de « l’incrémentalisme pragmatique » qui veut faire croire qu’il y a une seule façon de penser la mise en oeuvre des politiques éducatives. Pour lui, « il n’y a pas de meilleure voie » en éducation. Il montre les limites des affirmations de ce courant « pragmatique » par exemple quand il prone la décentralisation, alors que les travaux de N Mons ont montré que c’est un mixte de centralisation et décentralisation qui peut apporter les meilleurs résultats. S’appuyant sur son étude sur le pilotage par les résultats en France et au Québec, il critique aussi l’idée que le même instrument de régulation puisse s’appliquer facilement dans différents pays. Il montre le coté partisan de certaines méta analyses.
Pour lui l’incrémentalisme pragmatique marqué par le discours du dépassement des idéologies, avec sa focalisation sur « ce qui fonctionne », met en oeuvre des politique floues pour éviter les conflits. De beaux exemples sont donnés par les évaluations en 2008 et 2017.
Xavier Pons recommande une « 4ème voie » de réforme qui recherche l’accord sur ses règles en anticipant les conséquences selon une éthique de responsabilité des gouvernants.
« La réforme éducative réussie est une action publique partielle aux effets négatifs indésirables limités qui permet à un groupe d’acteurs de se coordonner de façon constructive et de se professionnaliser pour atteindre des objectifs communs que le résultat soit efficace ou pas ». Une définition qui tourne le dos à la grande réforme à la française. Comme si réformer en vrai l’école c’était avoir vraiment confiance dans les acteurs de l’école…
François Jarraud