Les recommandations ministérielles du 29 mai 2019 qui font suite aux Assises de la Maternelle de 2018 et aux commentaires du Ministre de l’Éducation étaient attendues. Elles sont à la hauteur de nos craintes ! L’école maternelle y est présentée comme propédeutique à l’école élémentaire, essentiellement orientée vers l’apprentissage de la lecture tel que le conçoit le ministère, c’est-à-dire principalement focalisé sur le déchiffrage, comme si la compréhension ne relevait pas de la même urgence. Qu’en est-il des activités qui « nourrissent » les apprentissages langagiers, qui initient les élèves à la verbalisation des émotions physiques et artistiques ? Plus largement, qu’en est-il de la culture « maternelle » qui assure l’entrée harmonieuse des enfants dans le monde scolaire ?
Ces recommandations privilégient le langage. Le langage ou la langue ? Le langage oral est en effet réduit au matériau, phrases, mots, et phonèmes. Qu’en est-il des significations ? L’important n’est pas là, il s’agit, pour le Ministre, de glisser de cette conception minimaliste de la langue vers la nécessité de construire la conscience métalinguistique et, in fine, phonologique pour démontrer que le phonème doit être au cœur des enseignements.
L’élève, dès la Petite Section, doit être engagé dans un processus de « construction d’une conscience phonologique… de l’organisation lexicale et syntaxique ». Toute la subtilité du texte réside dans ce terme de « processus », dont on oublie de rappeler que le chemin en est long et patient et que chaque enfant y progresse à son rythme, « à sauts et à gambades ».
L’enfant n’est pas entré dans les usages et les pratiques langagières de l’école ? Les travaux des 30 dernières années sur le développement langagier et métalinguistique des enfants témoignent de la lenteur de ce développement ? Les compétences requises sont reconnues « difficiles à acquérir ? » Qu’à cela ne tienne, il suffit d’y « entraîner » les élèves, maitre mot de ce texte qui résume la conception dominante de l’apprentissage du ministère. L’élève s’entraine et à force de s’entrainer il s’approprie… Si c’était si simple…
En réalité, pour monsieur Blanquer, ce qui manque aux enseignants, c’est une « méthode », le mot (ainsi que « méthodique ») est récurrent dans ce texte. Si pour l’apprentissage de la lecture, la question a été réglée par le livre orange, ces nouvelles recommandations amorcent l’idée d’un kit pédagogique pour l’enseignement du français à l’école maternelle, dont un exemple lumineux, détaillé en liste de points, est présenté pour la lecture des albums, comme s’il n’existait qu’une stratégie, que la recherche universitaire n’en avait pas présenté d’autres, que les enseignants n’étaient pas capables d’adapter les leurs aux besoins des élèves et au contenu de chacun des livres qu’ils leur lisent.
En effet, l’école doit répondre aux besoins des élèves. Nous en sommes d’accord, mais ces besoins ne sont peut-être pas ceux que notre Ministre identifie (déchiffrer pour mieux lire), nous pensons plutôt qu’il s’agit d’apprendre à penser et comprendre ensemble l’école et le monde.
Roland Goigoux soulignait à propos des évaluations d’entrée au CP que les objectifs ministériels se calaient sur les performances habituelles des 30% des meilleurs élèves, la focalisation sur l’enseignement du code s’inscrit dans ce projet. Que vont devenir les élèves qui ont besoin d’un étayage soutenu des enseignants ? Ceux que leur culture familiale n’a pas préparés à la culture scolaire ? Ceux qui ne comprennent pas la signification des enseignements rébarbatifs qui leur sont dispensés à un rythme soutenu ?
À l’heure où les médias nous abreuvent de redécouvertes de Steiner, Freinet, Montessori, Decroly… des « pédagogies nouvelles » (de la première moitié du XIXème siècle, mais assimilées depuis en partie par l’école française) organisées autour du respect du rythme de chacun, du partage des découvertes, des négociations… ce texte veut engager les enseignants dans une structure contraignante, balisée par des protocoles venus « d’en haut », profondément élitistes. Mireille Brigaudiot engageait récemment les enseignants à ne rien faire de ces recommandations qui ne s’inscrivent pas dans les programmes de 2015 et n’ont donc aucune force de loi. Nous soutenons cette position…avec force !
Maryse Rebière et Véronique Boiron,
AFEF
LabE3D Université de Bordeaux