On les nomme « équipements individuels mobiles » pour désigner les smartphones, tablettes et ordinateurs portables. S’ils sont centraux, ils ne sont pas seuls, les objets connectés pouvant compléter pour certains d’entre eux, la liste de ces objets mobiles, individuels et connectés que nous emportons (ou emporteront) avec nous. Le smartphone étant de plus en plus le « couteau suisse du numérique individuel » on le met en avant. Et cela d’autant plus qu’il est de plus en plus souvent dans la poche de chacun de nous et de nos élèves, tandis que les objets connectés n’en sont qu’au début et surtout qu’ils utilisent aussi le relais des smartphones pour fonctionner : montres, capteurs de tension ou autres, etc. On comprend dès lors que la question du choix d’un EIM relève d’une question de concurrence. Cette concurrence s’effectue sur différents critères explicités parfois, implicites, souvent. Ainsi on va les trouver plus conviviaux, offrant plus d’applications, mais on va aussi les trouver plus sympas ou encore ayant une meilleure image sociale… En éducation la question du choix des EIM est polémique.
Que veut dire 27 terminaux pour 100 élèves…
Dans la cour de récréation, avoir un téléphone qui ne fait que téléphone c’est ringard… Dans la cour de récréation, dans les années 80, il fallait avoir vu la télé. Aujourd’hui il semble qu’il faille avoir vu la bonne série (Netflix ?) la bonne chaîne en ligne (Youtube) être dans le bon groupe en ligne (Snapchat etc.). Avoir accès à un ordinateur est, depuis le début des années 2000, un élément de l’environnement que chaque jeune se doit d’utiliser. Connecté de préférence à Internet, ou en tout cas aisément accessible. L’arrivée presque simultanée des tablettes et smartphone (rappelons aussi l’utilisation brève du terme phablette), a semé le trouble et ouvert à la concurrence. D’ailleurs le baromètre du numérique ARCEP/CREDOC met en évidence une baisse d’équipement en tablette et la poursuite de la généralisation du smartphone et cela dès 12 ans, ou à l’entrée en collège. On le rappelle à l’entrée dans l’enseignement supérieur l’équipement standard du jeune est l’ordinateur portable avec le smartphone.
Si l’on associe l’enquête CREDOC/ARCEP avec l’enquête Profetic, on peut comprendre qu’il y a un réel engouement pour les EIM dans les classes, en particulier en lycée. Mais on comprend aussi rapidement que les EIM ont deux origines possibles : une dotation en direction des élèves (collectivités, établissement etc.) ou l’utilisation d’un matériel personnel apporté par l’élève dans l’établissement (avec autorisation… ou sans). Il faut alors analyser les équipements disponibles pour l’utilisation par les élèves dans les établissements. L’enquête ETIC pourrait compléter cette analyse. Mais ce que n’indique pas clairement l’enquête c’est l’accessibilité de ces matériels. Il ne suffit pas de dire qu’il a 27,6 terminaux pour 100 élèves pour la mesurer. Dans un établissement scolaire on peut trouver : des salles informatiques, des classes mobiles, de salles d’enseignement équipées (selon les spécialités), des matériels isolés (ordinateur unique dans la salle, en lien avec un vidéoprojecteur). Mais on peut aussi trouver des établissements (ou des classes) dans lesquels tous les élèves sont dotés d’un EIM (tablette ou ordinateur portable).
En lycée 40% des enseignants utilisent le smartphone de leurs élèves
La description des contextes d’équipements matériels des établissements met en évidence un questionnement autour de cette accessibilité. Quel moyen matériel est le plus « commode » ? L’analyse de multiples expériences d’équipements massifs montre que ce qui est commode, facilitant, c’est quand l’appareil est « à portée de la main ». Cela signifie que pour l’enseignant et pour l’élève, la mise en œuvre des moyens numériques doit s’apparenter à celui des moyens traditionnels : disponibilité immédiate la plus grande possible. Il va de soi que la possession des matériels est désormais liée à la connexion de ces matériels à Internet. Car les industriels et les vendeurs ont réussi à imposer la quasi obligation fonctionnelle d’une connexion à un réseau, interne d’abord à l’établissement, mais aussi externe (Internet) pour un nombre de plus en plus grand de logiciels (appelés désormais apps…). Cette obligation ne semble pas rebuter les élèves qui s’appuient sur leur expérience personnelle (et l’abonnement connecté de leur smartphone) d’utilisation d’Internet par le wifi chaque fois que c’est possible et en secours sur la 3G-4G. Car au-delà des usages déclarés, il y a les usages cachés.
Plus de 40% des enseignants de lycée déclarent faire utiliser le smartphone personnel des élèves dans la classe (source Profetic). Ce chiffre est impressionnant et fait réfléchir, même s’il faut nuancer au vu des répondants et de l’échantillon retenu. Si on élargit à l’ensemble des EIM, on confirme notre analyse précédente de la disponibilité immédiate. Dans les établissements scolaires secondaires, il convient donc de hiérarchiser les équipements en prenant en compte ces éléments. On peut bien sûr évoquer les élèves qui ne disposent pas d’équipement personnel, mais ils sont rares (sans pour autant qu’il faille les ignorer). Si on élargit notre propos aux utilisations en classe du numérique, il nous faut désormais prendre en compte d’autres éléments que le taux d’équipement (ratio nombre d’élèves/nombre de matériels). Si l’on veut affiner cette analyse, il va falloir segmenter les situations vécues selon les installations mises en place. On ne peut comparer ce qui est si différent d’un établissement à l’autre.
Les enseignants sont confrontés au déploiement général des moyens numériques dans leur environnement de travail professionnel. Après 50 années de volontarisme politique et au moment où l’on ressent l’absence de véritable vision de la part du ministère, alors que les élus s’en sont emparés (Commission Studer, Mme Morin Desailly) l’an passé. Ne croyons pas qu’il suffira d’enseigner le code ou de raviver la flamme de l’éducation aux médias pour que le numérique soit un véritable vecteur d’apprentissage dans les établissements. Le pilotage de notre système scolaire a beaucoup à apprendre des pratiques réelles du quotidien. Trop souvent les politiques, mais aussi ceux qui tournent autour voire travaillent à leurs services, oublient qu’il y a une vie sociale qui chaque jour montre l’urgence de donner une impulsion politique forte aux éducateurs. Mais le monde scolaire a-t-il réellement les capacités à se « réinventer » dans ce contexte et donc à réécrire sa place dans le développement de la société ?
Bruno Devauchelle