C’est tout un ensemble de documents concernant le premier degré et le collège que l’éducation nationale a publié en bloc le 29 mai. Signés par le ministre, il recadrent fortement les pratiques enseignantes. Ainsi le ministère publie des « attendus » pour chaque année d’enseignement de l’école et du collège. La circulaire de rentrée ne porte que sur le premier degré. L’école élémentaire voit les instructions données par JM Blanquer en 2018 reprises et renforcées. Mais c’est surtout l’école maternelle qui est nettement réorientée vers une instruction des fondamentaux dominée par la phonologie et le lexique. Des « recommandations » sur l’enseignement du langage, des nombres et des langues étrangères en maternelle complètent ce dispositif.
Un texte adouci mais plus prescriptif
Le Café pédagogique avait publié le 16 avril le projet de la circulaire de rentrée 2019. Par rapport à ce texte, la version définitive a nettement adouci les angles, retirant les formulations les plus malheureuses (par exemple « management » est devenu « pilotage). Des points importants sont ajoutés au texte : le développement affectif des enfants, la place des parents, des arts, des langues, l’école inclusive. La partie qui annonçait un controle systématique des enseignants a été retirée. Mais au final, la circulaire est plus précise sur ce que doivent faire les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques. Et ceci est renforcé par les « recommandations » pédagogiques qui accompagnent la circulaire.
La circulaire débute par un plaidoyer pour l’action gouvernementale qui viserait « une société plus juste » grâce à « la priorité » au primaire. Le texte rappelle « l’investissement » fait au primaire avec les dédoublements et les 2300 créations de postes à la rentrée. Elle oublie de dire que ces créations de postes sont compensées par autant de suppression dans le second degré. Elle évoque les « effets significatifs » des mesures gouvernementales, alors même que ceux ci sont décevants.
La circulaire et le recadrage de la maternelle
La première partie de la circulaire concerne la maternelle. La nouvelle rédaction rappelle l’importance de la relation avec les parents et de s’adapter « aux besoins du jeune enfant » durant les « 24 heures d’enseignement ». Mais l’essentiel du texte reste « renforcer la préparation aux apprentissages fondamentaux » (le projet de texte parlait « d’actualiser les pratiques »). « Les acquisitions progressivement réalisées à l’école maternelle sont déterminantes pour la maîtrise future des savoirs fondamentaux », affirme la circulaire ce qui donne le ton de cette nouvelle approche « instructionniste » de la maternelle.
La circulaire énumère les domaines de ce renforcement en mettant d’abord l’accent sur la phonologie. « la construction d’une conscience phonologique est régulièrement travaillée. Elle se structure jusqu’à la grande section par des activités appropriées. La connaissance du nom des lettres et du son qu’elles produisent est progressivement enseignée ». La priorité est « l’enseignement structuré du vocabulaire oral » : » Ce déficit de vocabulaire, qui entraîne un défaut de compréhension orale, constitue par suite un frein très important pour l’apprentissage de la lecture ».
Ensuite est annoncé une formation spéciale pour les enseignants de maternelle. Elle est « destinée aux professeurs néo-titulaires (T1-T2-T3) nommés sur un poste en école maternelle, comme aux professeurs enseignant en école élémentaire et débutant en maternelle. La formation est construite et mise en œuvre en académie, à partir d’un cahier des charges national (à paraître prochainement).. On insistera particulièrement sur les connaissances en matière de phonologie, de syntaxe et de lexique ».
Le calendrier des évaluations de CP et CE1 en 2019
La deuxième partie concerne l’école élémentaire avec le rappel des évaluations nationales. » À la rentrée scolaire 2019, comme en 2018, tous les professeurs de CP et de CE1 assureront la passation des évaluations nationales pour leurs élèves. Afin de mettre plus rapidement à disposition des professeurs les résultats complets, le calendrier a été adapté. Les passations auront lieu du 16 au 28 septembre 2019. Les saisies pourront être réalisées du 16 septembre au 11 octobre. Les professeurs pourront disposer des résultats de leurs élèves à compter du 7 octobre, en même temps que des fiches à destination des parents », annonce la circulaire. On sait pourtant que ces évaluations sont critiquées par exemple par R Goigoux. Leurs résultats et les conditions réelles de passation sont aussi criticables.
Des instructions pour chaque année du CP au CM2
La circulaire donne ses instructions pour chaque année de l’école élémentaire, gommant totalement les cycles. Ainsi en CP les élèves s’approprient les nombre sde 1 à 10 et « le sens des 4 opérations », formule ambigüe. Mais les « attendus » ne demandent pas de division ou de multiplication en CP. Deux heures quotidiennes sont réservée à la lecture et écriture » avec, deux à trois fois par jour, des phases courtes et denses d’usage du code ». Le texte insiste sur la phonologie, le lexique, l’automatisation du décodage, le vocabulaire qui sont le crédo ministériel tout au long de la circulaire. Les autres niveaux font l’objet d’instructions.
La circulaire se fait plus souple sur le « pilotage » que la version première. Elle précise qu’en 2019 encore les 18 heures de formation seront réservées au français et aux maths en s’appuyant sur les évaluations nationales. Pour les cadres seront créées des « commissions départementales » associant conseillers techniques, dasen, et « partenaires institutionnels » » pour étudier les points de tension qui leur seraient soumis par les membres de la communauté éducative, et envisager les mesures les plus adaptée ».
Des « recommandations » pour la maternelle
Trois « recommandations » complètent la circulaire pour la maternelle. Elles fixent encore plus précisément le recadrage de la maternelle.
Celle sur le langage traite du langage oral. Elle demande « un enseignement structuré et systématique ». » Il est nécessaire d’accorder autant d’attention au lexique qu’à la syntaxe et à la phonologie », précise le texte. Suit tout un développement pour l’apprentissage du vocabulaire oral. La partie sur la lecture recommande un coin lecture et explique comment l’enseignant doit lire aux élèves. : » éviter d’asseoir tous les élèves par terre », » il sollicite l’attention des élèves » (avec des exemples) toutes recommandations sans doute très utiles… La circulaire invite aussi à un travail sur la compréhension. Toute une partie traite de la consciences phonologique auquel s’ajoutent le principe alphabétique, l’apprentissage des syllabes et du nom des lettres. Enfin le texte décrit aussi l’enseignement du geste graphique.
La recommandation sur le nombre invite à « stabiliser la connaissance des nombres jusqu’à 10″. » Dénombrer est une compétence complexe qui met en lien plusieurs connaissances et compétences qui s’acquièrent en parallèle. La connaissance de la suite orale des noms de nombres ne suffit pas pour qu’un élève parvienne à dénombrer ou constituer à coup sûr une collection d’objets d’une quantité donnée. Au-delà de la capacité de faire abstraction de certaines propriétés des objets de la collection à dénombrer (compter une grosse bille comme une petite, une bille bleue comme une rouge, etc.) et de la connaissance du principe du cardinal (le dernier mot-nombre énoncé fait référence au nombre total d’objets comptés et pas à un objet particulier), l’enfant doit maîtriser la synchronisation du pointage des éléments de la collection avec la récitation des noms des nombres et apprendre à énumérer tous les éléments de la collection (pointer une et une seule fois, sans en oublier). Cette compétence d’énumération s’acquiert dans l’action, en dénombrant activement, et il est déterminant de concevoir, et proposer aux élèves, des situations permettant des manipulations nombreuses et variées, en prenant le temps nécessaire chaque jour et dans la continuité du cycle 1″, écrit le texte.
PLus inattendue, la troisième recommandation traite des « langues vivantes étrangères en maternelle ». » L’éveil à la diversité linguistique recouvre deux volets, d’une part un éveil à la pluralité des langues et d’autre part, une première découverte d’une langue singulière, dont l’apprentissage permet de poser les jalons d’un parcours linguistique cohérent et en lien avec le cours préparatoire. La démarche consiste à exposer régulièrement les élèves à des temps courts et variés durant lesquels le professeur les met au contact des langues. Ainsi, peu à peu, ces moments où l’on joue, écoute, bouge, répète, parle, chante dans une LVE deviennent des moments familiers et attendus de la vie de la classe ». Le texte énumère les moments de la journée où pratiquer cet éveil aux langues et les pratiques à mettre en oeuvre.
La maternelle, une école comme les autres ?
Par cette circulaire, les trois recommandations et les attendus du CP (par exemple 50 mots de fluence), ces nouvelles instructions ministérielles recadrent fortement l’école maternelle. Celle-ci a toujours été une école où les enseignants veillaient à l’apprentissage du vocabulaire, faisaient découvrir la correspondance graphème phonème ou encore les premiers nombres.
Mais les instructions ne traitent que de cela. Elles ne parlent ni des autres disciplines ni de l’éducation qui est donnée en maternelle. Au contraire elles donnent des instructions très précises sur ce qui doit être enseigné en maternelle. On y retrouve les points forts de la pédagogie signée par JM Blanquer mais dont les véritables auteurs restent anonymes : le langage oral et l’enseignement du vocabulaire, une approche strictement phonologique, la répétition, l’entrainement à la fluence.
Même enrobée par le rappel à la bienveillance, cette course scolaire imposée dès 3 ans, rythmée par des évaluations puis par des attendus annuels à l’école élémentaire, ne peut que creuser les inégalités entre les enfants. Un paradoxe surgit dans ces instructions : alors que tous les textes convergent vers la transformation de la maternelle en une petite école élémentaire dédiée à l’instruction, le ministère veut mettre en place une formation spécifique pour les professeurs de maternelle.
François Jarraud