Publiée au bulletin officiel du 29 mai, la circulaire de rentrée fait grincer des dents. Sur la forme, sur le fond, les craintes sont multiples. Professeur des écoles, directeurs et inspecteurs de l’éducation nationale font part de leur ressenti. D’autres ont préféré passer leur tour, « cette circulaire à la fois vide de sens didactique et pédagogique, est insupportable par son cadrage des enseignants ».
« On peut faire du lire-écrire-compter jour et nuit, on n’améliorera pas le niveau en gavant nos élèves comme des oies »
Mathieu est directeur depuis plus de dix ans. Il en a lu des circulaires mais celle-ci lui semble particulièrement injonctive et directive. « Le ministre reste sur son idée d’une seule pédagogie, d’un seul type d’apprentissage en oubliant que la construction des compétences ne peut se limiter à un seul courant de pensée. Où est la marge de manœuvre des enseignants ? Où est l’adaptabilité nécessaire aux façons d’apprendre des élèves ? Va-t-on vers une société standardisée ? » Il n’est pas plus rassuré lorsque l’on aborde le contenu et les préconisations du ministère. « Il enfonce des portes ouvertes. Oui un enseignant ne peut se passer de séances d’apprentissage systématisées. Mais il ne peut s’en contenter. Qu’en est-il de la transversalité ? De l’épanouissement de l’élève, qui n’est abordé que pour les maternelles ? De la culture humaniste ? J’ai l’impression que nous devenons une fabrique de bons soldats et non plus de citoyens. On peut faire du lire-écrire-compter jour et nuit, on n’améliorera pas le niveau en gavant nos élèves comme des oies. Il faut autre chose… »
Mourad est directeur lui aussi. Selon lui, « la circulaire est extrêmement directive. Pour de jeunes enseignants c’est peut-être rassurant d’être guidé notamment s’ils débutent avec un CP. Mais pour des enseignants chevronnés les préconisations, si ce ne sont que des préconisations, peuvent paraître étranges. La plupart des PE ont conscience de l’importance de tous ces points, tels que la relation aux parents, la mise en confiance des élèves… Ils mettent déjà en place des dispositifs permettant un traitement individualisé de leur parcours. Ainsi avec ce texte, les enseignants peuvent se demander si leur travail est réellement reconnu car on a l’impression qu’on découvre des pratiques qui sont déjà ancrées dans notre quotidien. Cette circulaire apporte des recommandations qui sont tellement précises qu’elles ressemblent à des prescriptions. En tant qu’ancien enseignant de CP et directeur d’école je vois à quel point la pression est mise depuis l’an dernier sur les enseignants de CP. Le nom du dispositif, 100% de réussite, ajoute à lui seul une énorme pression ».
« Nous allons être pris dans des dilemmes moraux douloureux »
Mathilde, coordinatrice REP des écoles, avoue avoir rapidement parcouru la circulaire, qu’elle nomme malicieusement « circulaire de rentrée, circulaire de contrôle ». Mais ce qu’elle en a lu l’interpelle déjà « douloureusement ». « Le premier point du BO s’intitule mission de contrôle pédagogique, le ton est donné, difficile de faire croire à une autre intention. L’enseignement et les enseignants et enseignantes passent sous contrôle. Et au-delà d’une perte de liberté de conception, c’est une perte de sens du métier qui se profile. On se trouve face à une double remise en question : ce qui fonde l’engagement professionnel et les enjeux d’une démocratisation. C’est en cela que cela remet en cause nos valeurs professionnelles, les origines de nos choix dans le service public d’éducation. Comment se satisfaire, en tant qu’enseignante, de réduire l’enseignement à un formatage de répétiteurs ? A qui devrons nous être loyaux ? Aux programmes ? Au BO ? Aux élèves ? A nos valeurs et notre métier ? Nous allons être pris dans des dilemmes moraux douloureux. Soit on applique et alors on trahit nos engagements, nos missions et l’ambition que l’on doit à nos élèves, et en particulier à celles et ceux pour qui les raisons de l’école ne sont déjà que des injonctions d’emploi du temps et non un espace où grandir et apprendre. Soit on résiste, mais dans un contexte où le collectif fait défaut… Les temps s’annoncent amers ou combatifs ! ».
Sur les recommandations autour du lire-écrire-compter, elle n’est pas en reste non plus. « Sous des allures d’évidences, de soi-disant bases fondamentales, on s’éloigne au contraire d’un apprendre ambitieux. Évidemment qu’il faut entraîner la mémoire ou apprendre le vocabulaire mais cela ne peut être une priorité en soi. Les apprentissages décrits, imposés, ne sont pas mis en contexte, sont détachés des enjeux d’une connaissance du monde. Réciter la comptine numérique, ânonner l’alphabet, puis décoder, est-ce cela l’objectif de notre société pour les enfants ? On mise sur des techniques mesurables qui sont censées prouver l’efficacité d’une instruction obligatoire. On fait le choix d’élèves sages et dociles au détriment de la construction de citoyens et citoyennes éclairées. On sait quelles familles auront les codes pour éveiller l’esprit en dehors des apprentissages mécaniques et lesquelles seront les perdantes. Et l’entrée ludique ne peut suffire à permettre de faire qu’une répétition prenne sens. Ni même de la proposer avec un sourire secure ! Sur la maternelle, il existe, entre autres, une confusion entre une attention portée à l’enfant et une bienveillance visant simplement à un bien-être individuel, négligeant l’enjeu d’apprendre ensemble et renvoyant hors l’école la construction de la pensée ».
Une circulaire qui divise des IEN
Blanche est inspectrice de l’éducation nationale (IEN). La nouvelle circulaire, qu’elle trouve très prescriptive, ne l’enchante pas non plus. « On devient des exécutants contraints d’appliquer sans alternatives et avec aucune possibilité de répondre aux réalités de terrain et aux besoins des enseignants ». Pour Michelle, IEN aussi, cette circulaire n’est pas très éloignée de ce qu’elle a connu jusqu’à présent. « Une circulaire de rentrée qui témoigne toujours d’une volonté de porter une attention aux apprentissages fondamentaux avec, en outre cette année, une focalisation sur la maternelle. Du côté des apprentissages, enrichir le vocabulaire n’est pas nouveau. Et pour finir du côté des enseignants, avec une partie sur la formation ».
Une circulaire, qui comme nous vous la présentions il y a quelques semaines, montre clairement ses intentions : faire exécuter coûte que coûte les préconisations ministérielles.
Lilia Ben Hamouda