« Les acteurs de l’éducation populaire sont des précurseurs ». Christian Chevalier et Jean Karl Deschamps présentent le 28 mai leur rapport « L’éducation populaire : une exigence du 21ème siècle » au CESE. Le texte veut convaincre les pouvoirs publics d’investir à nouveau dans l’éducation populaire « pour contribuer à réconcilier la société ». Il envisage un « plan volontariste » permettant de relancer les colonies de vacances et les PEDT. Un pari pris à la suite du mouvement des gilets jaunes qui veut rompre avec des années de réduction des aides publiques.
Co secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, Jean Karl Deschamps co signe avec Christian Chevalier, ancien secrétaire général du Se-Unsa, un rapport sur l’éducation populaire qui fait date. Le CESE devrait émettre un avis favorable sur ce texte le 28 mai avant d’aller le porter auprès des autorités. Christian Chevalier explique pourquoi le moment est venu de cette relance et montre ce que l’éducation populaire peut apporter à la société et la démocratie.
Pourquoi le CESE a-t-il demandé ce rapport en ce moment ?
La décision a été prise en septembre 2018, avant le lancement du mouvement des gilets jaunes. Après plusieurs rapports sur l’orientation, les réseaux sociaux etc., la section éducation culture du CESE s’est rendu compte que l’éducation populaire n’avait jamais fait l’objet d’un rapport alors même que nombre de ses membres viennent de ce mouvement. Finalement l’éducation populaire, qui mobilise des milliers de bénévoles, passait sous le radar. C’était paradoxal.
Or l’histoire de l’éducation nationale et de l’éducation populaire sont très liées. Le plan Langevin Wallon préconisait le travail ensemble des deux éducations. L’Education populaire est restée très active mais on ne parle peu. Peut-être parce que le mot « populaire » pose problème. C’est devenu un angle mort et il nous a paru intéressant de regarder ce qui s epasse et de lui donner de la visibilité.
L’éducation populaire est menacée ?
Elle rencontre de vraies difficultés économiques. Son modèle économique était basé sur l’aide publique. Mais petit à petit elle est passé dans ne dérive libérale où les associations doivent se soumettre aux règles des marchés publics et des appels d’offre. Là elles sont en concurrence avec des structures privées.
Récemment la semaine de 4 jours et demi a donné du sens à l’éducation populaire. Mais tout cela a tourné court avec le retour à la semaine de 4 jours.
Pourtant vous dites que l’éducation populaire c’est « moderne »…
Par ses démarches l’éducation populaire est moderne. Notamment par les principes de l’éducation par les pairs, de l’éducation bienveillante. Des structures comme les CEMEA ou le Planning familial ont développé une méthodologie des apprentissages qui n’est pas descendante mais transversale. On pense que c’est une vraie modernité. L’éducation populaire est aussi moderne par sa visée émancipatrice du citoyen. Avec elle on apprend à changer d’avis, on fait l’expérience de la démocratie participative. Et c’est ce que recherchent nos concitoyens. On l’a vu aussi bien avec les Gilets jaunes qu’avec Nuit debout ou la marche pour le climat. C’est aussi ce que demandent beaucoup d’enseignants qui ne veulent plus du vertical.
La crise sociale du pays montre que les structures de l’éducation populaire peuvent porter ce mouvement pour plus de transversalité. Ils ont souvent fait bouger la société : que l’on pense au Planning familial et son impact sur le droit à la pilule ou l’avortement, à Actup et le mariage pour tous. L’accueil des migrants aujourd’hui ce sont des structures de l’éducation populaire qui s’en chargent. Son coté précurseur fait bouger la société.
Vous lui fixez un double objectif : réconcilier la société et conforter la citoyenneté. Mais comment l’éducation populaire peut-elle faire ?
Par l’exemple du fonctionnement de ses structures elle permet l’émancipation du groupe et des individus. Après 2015 on est allé chercher ces associations pour lancer le plan sur les valeurs de la République. Dans les territoires l’éducation populaire contribue à réconcilier la société avec ses structures comme les Fabriques d’initiatives citoyennes qui rompent l’isolement. Mais pour aller au bout il faut une politique publique d’accompagnement.
Vous souhaitez une relance des PEDT. Mais qu’en reste-il ?
CE qui donnait du sens aux PEDT c’était la semaine de 4 jours et demi. Elle a disparu et les PEDT se sont racornis. Une politique éducative avec l’éducation nationale pourrait lui redonner de la cohérence car ce qu’apporte l’éducation populaire c’est bien ce lien fort avec les territoires.
Mais ce qu’on voit c’est que sur le terrain les acteurs de l’éducation nationale et ceux de l’éducation populaire se parlent peu…
C’es un enjeu. Ceux qui ont connu les PEDT sont convaincus de l’intérêt de faire travailler les deux éducations ensemble. Quand on faut venir le Planning dans un lycée, il arrive avec ses méthodes interactives qui ne sont pas celles du lycée. Mais elles sont intéressantes pour les jeunes. Dans le passé la porosité était grande puisque beaucoup d’enseignants travaillaient aussi dans l’éducation populaire. Je suis certain que cette question du PEDT reviendra . L’école ne peut pas vivre repliée sur elle-même.
Vous préconisez une relance des colonies de vacances. Mais aujourd’hui les colonies sont souvent devenus des services destinés aux familles aisées…
C’est un vrai sujet. Aujourd’hui elles portent de moins en moins la mixité sociale. On nous dit que la citoyenneté et le vivre ensemble passeront par le Service national universel. Mais les colonies et les classes de découverte peuvent aussi être des éléments importants pour faire l’apprentissage du vivre ensemble. Elles mériteraient d’être soutenues. JM Blanquer nous a dit d’ailleurs qu’il serait le ministre des colonies de vacances.
Le rapport est présenté au CESE le 28 mai. Et après ?
Les différents groupes du CESE vont s’exprimer sur ce rapport et devraient l’adopter. Si le ministre ne vient pas nous irons lui présenter el rapport, tout comme à l’Elysée, Matigon et aux groupes parlementaires. Notre objectif c’est qu’une ou deux de ses préconisations soient intégrées dans les politiques publiques.
Propos recueillis par François Jarraud