Qu’elles sont douces, les pires mesures sur les carrières des enseignants adoptées au Sénat ! L’assemblée nationale a terminé le 22 mai l’examen de la loi transformation de la Fonction publique. Or l’Éducation nationale fournit à elle seule la moitié des fonctionnaires D’État. Le texte met à plat le statut de fonctionnaire et prépare la généralisation de la contractualisation alors que le président de la République souhaite 120 000 suppressions de postes de fonctionnaires. Parmi les mesures adoptées en 1ère lecture, signalons la fin du contrôle par les commissions paritaires de l’avancement et de la mobilité des agents, la généralisation de la contractualisation pour quasiment tous les emplois, l’évaluation du mérite par le supérieur hiérarchique direct avec effet salarial, la possibilité de rompre le contrat de fonctionnaire simplement, le détachement d’office dans une entreprise privée, etc. Avec cette loi, le gouvernement « modernise » la Fonction publique en faisant sauter les verrous du contrôle syndical. L’avenir du fonctionnaire c’est le management privé ?
Une « modernisation » de la gestion des ressources humaines
« Nous voulons donner des libertés nouvelles et accorder plus de souplesse aux administrations pour qu’elles se transforment, tant aujourd’hui les contraintes administratives se sont accumulées. Nous voulons le faire en préservant les droits des agents et en leur en donnant de nouveaux, au premier rang desquels celui de retrouver la maîtrise de leurs carrières ». En présentant la loi de transformation de la fonction publique, le 13 mai, Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, pèse ses mots. Mais on verra qu’il dit l’essentiel.
« Le projet de loi opère une profonde modernisation de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique, et il porte une véritable transformation de cette dernière… L’attachement au statut implique aussi la nécessité de le moderniser et de le rénover… Nous maintenons les commissions administratives paritaires pour l’examen des situations individuelles, en les recentrant sur les questions les plus délicates, notamment disciplinaires mais pas seulement. Elles n’examineront plus les actes de mobilité et de promotion des agents publics. Quant aux nouvelles instances de dialogue social, elles auront à définir les règles de portée générale en matière de mobilité, de promotion et de valorisation des parcours professionnels… Le deuxième pilier du projet de loi vise à développer les leviers managériaux pour une action publique plus efficace, avec comme premier objectif – peut-être l’une des mesures les plus emblématiques de ce texte –, l’ouverture accrue du recours aux contrats… La seconde finalité de ce pilier managérial est de renforcer la reconnaissance de l’engagement et de la performance professionnels des agents. Cela passera d’abord par la généralisation de l’évaluation individuelle en lieu et place de la notation, par le truchement de l’entretien professionnel, mais aussi par une plus grande cohérence lors de la détermination de la rémunération de tous les agents publics… Le quatrième pilier vise à une plus grande mobilité entre versants de la fonction publique mais aussi entre secteurs public et privé pour permettre un plus grand décloisonnement ».
La contractualisation généralisée
Cette situation est résumée par Olivier Marleix (LR) : « votre texte se limite à deux évolutions : faciliter le recours au contrat et vider de leur contenu les CAP. Et sur ces deux évolutions, il apporte des garanties si peu précises que vous avez réussi l’exploit de vous mettre à dos toutes les organisations représentatives au cours des conseils supérieurs de la fonction publique ». Pour Sylvia Pinel (PRG), « En dépit de l’apparente marche arrière du Président de la République sur la suppression annoncée de 120 000 postes de fonctionnaires, nous ne sommes pas dupes : le texte définit de fait le cadre d’une réduction des effectifs de fonctionnaires à plus ou moins brève échéance ».
« Avec un contrat concurrent du concours, vous prenez le risque de l’arbitraire, de la rupture d’égalité, du clientélisme dans le recrutement », estime Boris Vallaud (PS). « Votre projet de loi affaiblira de manière inédite le dialogue social au sein de la fonction publique. D’une part, il fusionne certaines instances au détriment de celles compétentes en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, alors même que la santé au travail est un enjeu primordial dans un contexte de restructurations. D’autre part, il réduit les attributions des commissions administratives paritaires, les CAP, qui sont aujourd’hui consultées sur toutes les décisions individuelles ».
En finir avec les syndicats et le paritarisme
En effet, l’article 3 de la loi crée des « comités sociaux d’administration » qui connaissent de la gestion des services et récupèrent les compétences des CHSCT sans en avoir les pouvoirs. Avec l’article 4, les commissions administratives paritaires (CAP) voient leurs pouvoirs réduits. Elles peuvent être saisies sur « les décisions individuelles » par un salarié. Mais elles n’examinent plus d’office les mutations, l’avancement ou les sanctions. Comme le fait remarquer M Morleix dans le débat, un agent qui a été écarté à tort d’une mutation, peut toujours saisir la CAP mais cela n’annulera pas la mutation qui a déjà été décidée par la seule autorité hiérarchique sans consulter personne. Le recours est virtuel.
Or comme le rappelle B Vallaud, « une CAP apaisée est, en général, à la fois le gage et le signe d’un dialogue social de qualité qui participe de l’engagement dans le travail, de l’adhésion à des projets de service et, lorsqu’elles sont nécessaires, de restructurations. A contrario, lorsque les choses se passent mal, on peut y voir le symptôme de quelque chose de plus large. En réalité, la CAP n’est en rien un problème. Elle est éventuellement le révélateur de la façon dont les managers – puisque le terme est consacré – considèrent le dialogue social ».
Ce point n’est pas anecdotique. Une partie des soutiens du gouvernement l’attendent sur ce point. En retirant aux syndicats leur contrôle sur les actes courants des carrières des fonctionnaires (mutation, avancement) le gouvernement vise la fin de la « cogestion » et avec elle celle des syndicats de fonctionnaires. Après la loi, les agents seront seuls face à leur « manager ». Ils pourront même signer un « contrat de projet » directement avec lui. Une disposition similaire a été mise dans la loi Blanquer par le Sénat : le « contrat de mission » du professeur négocié directement avec L’État. Gageons qu’elle restera dans la loi.. La rapporteure LREM de la loi, Emilie Chalas, confirmera cette vison en expliquant qu’en 2008 la refonte des CAP n’avait finalement pas été faite. « L’actuel gouvernement l’a remise sur la table, et, cette fois, nous allons réformer ». Situation qu’elle a résumée ainsi dans la presse : « Nous aurons le courage de percuter le mode de fonctionnement des syndicats ».
Les principaux articles
Les articles 6 et 7 de la loi traitent de la généralisation de la contractualisation. Même des emplois de direction pourront être occupés par des contractuels. Cette absence de limite a fait réagir le Conseil d’État dans son étude d’impact. « Renoncez-vous à ce que tous les profs de maths – je prends l’exemple des maths car, comme M. Villani, j’aime cette matière – passent un concours ? Préférez-vous qu’ils soient recrutés juste comme cela ? Est-ce ce que vous voulez pour la fonction publique et pour l’Éducation nationale ? », demande Valérie Rabault (PS). « Je dis à celles et ceux qui nous écoutent et souhaiteraient embrasser une carrière dans la fonction publique : « inutile de perdre du temps à préparer un concours. Tâchez de nouer quelques liens privilégiés avec des élus influents et peut-être connaîtrez-vous ainsi une belle carrière pendant que d’autres, avant vous, se seront échinés à préparer un concours », déclare Hervé Saulignac (PS). « En me livrant à une sorte d’archéologie du texte, je ne vois plus aucun verrou – ni à l’article 7, auquel vous m’avez renvoyé, ni à l’article 9, qui évoque les emplois permanents », explique O Marleix. « Si donc il n’existe pas de verrou qui protège comme des emplois sur lesquels il n’est pas possible de recruter de contractuels ceux pour lesquels il existe des écoles du service public, ce que vous êtes en train de faire est assez grave et assez gênant ». L’article 9 précise les conditions au recours de contractuels en élargissant très largement les cas.
L’article 8 crée un nouveau type de contrat, le contrat de projet, un contrat à durée déterminée compris entre 1 et 6 ans n’ouvrant droit ni à un CDI ni à la titularisation par exception au droit commun.
L’article 11 dit que « l’autorité compétente procède aux mutations », sans que la CAP puisse comme aujourd’hui contrôler les dossiers individuels et intervenir en cas d’erreur.
L’article 12 traite de l’évaluation des fonctionnaires et agents. « L’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct, qui donne lieu à un compte rendu », dit le projet de loi. « Cet article, qui supprime le recours à la notation et généralise l’entretien professionnel en tant que modalité d’évaluation individuelle des fonctionnaires des trois versants, s’inscrit dans la logique de mise à mal de la qualité singulière d’agent public à la française. Il témoigne une nouvelle fois de votre volonté d’aligner le public sur le privé par la généralisation des techniques du new public management », estime Jean-Paul Lecoq (PC).
La conséquence logique c’est la rémunération au mérite instituée par l’article 13. « La rémunération des agents contractuels est fixée par l’autorité compétente en tenant compte des fonctions exercées, de la qualification requise pour leur exercice et de l’expérience de ces agents. Elle peut tenir compte de leurs résultats professionnels ».
L’article 15 traite de la discipline et crée une nouvelle sanction décidée par le supérieur hiérarchique : l’exclusion temporaire de 3 jours, sans examen préalable de la CAP.
L’article 18 bis a déjà été évoqué par le Café. Il fixe la règle des 1607 heures annuelles de travail. Et il annonce une « clarification » de cette règle pour les enseignants.
L’article 26 introduit la rupture conventionnelle dans la fonction publique, c’est-à-dire la possibilité pour l’État de supprimer les postes qu’il souhaite en accord avec le salarié. Un outil très utilisé dans le privé et qui sera sans doute fort pratique pour supprimer 120 000 emplois de fonctionnaires. L’article 28 prévoit le détachement d’office de fonctionnaires dans une entreprise privée, permettant ainsi de faire disparaitre des corps de fonctionnaires par bloc. On constate donc que la loi est largement conçue pour faire disparaitre des postes de fonctionnaires.
Quel impact sur les enseignants ?
Pour les enseignants, premiers visés par les suppressions de postes, cette loi impacterait terriblement leurs conditions de travail. La loi permettra de réduire énormément les concours pour recruter largement des contractuels, voire de mettre en extinction les fonctionnaires de l’éducation. L’augmentation rapide des contractuels pèsera sur la perception du métier. Au milieu des contractuels, le fonctionnaire sera amené à subir dans son quotidien la nouvelle normalité, celle des contractuels. La loi laissera les enseignants seuls face à l’administration, les représentants syndicaux ne pouvant plus intervenir sur les dossiers d’avancement ou de mutation dès le début du processus. Les conditions précises de la saisie des CAP par les fonctionnaires restent même à préciser.
La loi change aussi énormément le rapport à la hiérarchie. C’est le supérieur hiérarchique direct, le chef d’établissement ou l’IEN, qui décidera de l’évaluation, de la mutation et même de la rémunération de chacun des enseignants sous son autorité. Son autorité va être énormément renforcée. Ce nouveau management s’apparente d’abord à une hiérarchisation renforcée des relations humaines. Une situation bien dans l’esprit de l’article 1 de la loi BLanquer. Tous les verrous qui garantissent les droits des fonctionnaires vont-ils sauter ? La loi devrait être adoptée le 28 mai en 1ère lecture par l’Assemblée.
François Jarraud