Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie à l’université de Limoges, auteur notamment de « La mixité sociale à l’école » (Armand Colin, 2015) , a participé le 17 mai dernier à l’Hôtel de Ville de Paris, au colloque « Pour plus de mixité sociale au collège ». Il revient sur les expérimentations lancées pour favoriser la mixité sociale dans les collèges et lutter ainsi contre les inégalités, qui sont portées au niveau local alors que l’État semble s’en désintéresser.
Le ministre Jean-Michel Blanquer ne fait jamais état de ces expérimentations et il n’y a plus de pilotage national : peut-on encore parler d’une politique de mixité sociale ?
Tout d’abord, il faudrait se départir de cette vision des expérimentations qui est datée. Dans certains territoires, il s’agit à présent de véritables politiques publiques inscrites dans la durée. Lorsque l’on prend des départements emblématiques comme la Meurthe-et-Moselle ou la Haute-Garonne, ces politiques ont mobilisé des moyens considérables, des concertations citoyennes ambitieuses et des décisions lourdes, y compris sur un plan financier (plusieurs millions d’euros). Ce qui est regrettable, ce n’est pas seulement que le ministère ne fasse plus référence aux « expérimentations » mais plus globalement à ces politiques locales initialement promues par l’État. Or, elles ont besoin d’un portage national, d’un cap et de moyens.
On assiste donc à un retrait de l’État ?
Nous assistons à une situation un peu particulière où c’est le local qui fait la politique de mixité par le biais de certains conseils départementaux volontaristes, mais également parce que certaines administrations locales de l’Éducation nationale (DASEN, recteurs) jouent le jeu, parfois dans l’ignorance de leur hiérarchie.
La position du ministère n’est cependant pas tenable sur la durée. Il n’a ni abrogé la circulaire de 2015 sur la mixité sociale, ni dit qu’il la contestait. Il semble l’ignorer. Or, cette politique de mixité appelle une continuité de l’action de l’État au-delà des alternances politiques, car il s’agit d’enjeux forts qui dépassent les clivages partisans.
Le ministère doit prendre conscience de la formidable dynamique qui a pris racine au plan local alors qu’initialement, peu y croyaient.
Cependant, on ne peut pas se contenter de l’agrégation d’initiatives locales éparses pour pouvoir parler d’une politique publique de mixité sociale en France. Celle-ci doit être portée conjointement par l’État, par les collectivités et par les parents d’élèves.
L’État peut être assuré à présent des savoir-faire des collectivités locales. Son action devrait être de regarder ce qui se joue localement pour exercer son rôle de catalyseur, de capitaliser sur les initiatives prises, de comprendre ce qui a fonctionné et moins bien fonctionné, et ainsi de faciliter le transfert de ces savoir-faire à l’ensemble du territoire national.
Pour cela, il lui revient de soutenir et d’accompagner les politiques menées localement, d’apporter des éléments de cadrage et de nouvelles impulsions, y compris par la voie législative. La seule circulaire de janvier 2015 a montré ses limites.
Ces expérimentations sont en cours d’évaluation. Mais faute de moyens, les chercheurs n’ont pu inclure les dernières. Comment avancer sur cette question sans moyens suffisants ?
On ne peut pas dissocier l’évaluation de ce que je viens de dire précédemment. Le terme évaluation est peut-être encore prématuré, faute de recul. Ce qui est indispensable, c’est d’entendre la demande venant des territoires d’une « évaluation-accompagnement » qui avait été promise au départ, c’est-à-dire avec la présence de chercheurs ressources sur les sites, avec des comités de pilotage, etc.
Là où ceci a vu le jour, c’est souvent à l’initiative des acteurs locaux eux-mêmes. Il est à relever le rôle décisif joué par le réseau mixité du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), par le biais de son coordinateur, qui a démontré le rôle fondamental de l’accompagnement des territoires. Cependant, tout ceci se réalise avec des moyens dérisoires.
Comment comprendre également que certaines collectivités locales, pour s’assurer d’un minimum d’expertise et de prospective territoriale, ont dû avoir recours à des cabinets privés dont certains ne sont pas spécialisés dans les questions d’éducation ?
Tout ceci donne l’impression que le sujet de la mixité sociale à l’école s’est externalisé du champ de l’Éducation nationale. Or, les projets menés localement le sont par délégation de pouvoir, pour le compte de l’Éducation nationale.
On peut être dérouté actuellement par cette absence de l’État, ajouté à des inquiétudes sur le pilotage de l’éducation prioritaire. L’éducation dans les quartiers populaires devrait être l’une des grandes priorités de l’État. Ces quartiers ne peuvent supporter un recul de l’engagement de l’État en la matière.
Recueilli par Véronique Soulé
A paraître à la rentrée :
Choukri Ben Ayed, « La lutte contre la ségrégation scolaire un objet privilégié des processus de conscientisation politique dans les quartiers populaires : le cas de la mobilisation du Petit Bard », in Ben Ayed C., Marchan F., (dir), Regards croisés sur la socialisation, Limoges, PULIM, 2019
Choukri Ben Ayed et Etienne Butzbach, « Ce que nous apprend l’observation d’une politique de mixité sociale au collège : le cas de l’agglomération toulousaine », in Choukri Ben Ayed et Maryan Lemoine (dir), Collectifs et collectivités à l’épreuve des enjeux éducatifs, PULIM, 2019
A lire aussi :
Butzbach É, Politiques locales de mixité à l’école, Paris, Cnesco, 2018