À l’école La Gravette de Carcassonne (11), les élèves se produisent sur les planches du grand théâtre municipal et cela depuis plusieurs années. Il ne s’agit pas d’une petite représentation avec des saynètes comme pour beaucoup d’écoles. Non, ici il est question d’opéra. Et lorsqu’on assiste à la représentation, on pourrait presque oublier qu’il s’agit d’enfants et de spectacle scolaire. Et c’est normal. Car dans cette école de quinze classes située en éducation prioritaire, depuis plus de douze ans, il existe un parcours Classe à Horaires aménagés Musique (CHAM) que présente Ben Aïda, enseignant de l’école.
Pour les adeptes de Twitter, Ben n’est pas un inconnu. Il faut dire que son profil est assez particulier. Maître formateur avec une « spécialité » d’animation de groupes de formation et d’analyse des pratiques, coauteur de l’outil PIDAPI mais aussi de « GRECO pour mieux écrire… » avec Fabienne Sala et pour finir membre du comité de rédaction des cahiers pédagogiques, son investissement pour la réussite de tous les élèves n’est un secret pour aucune des personnes le connaissant, virtuellement ou dans la vraie vie. Il enseigne depuis 1996 dans l’école de La Gravette et a donc assisté à la naissance du parcours CHAM, en 2006 sous l’impulsion de Patrick Oustric, « conseiller pédagogique très engagé, notamment auprès de nos élèves en éducation prioritaire ».
Ce dispositif, plus fréquent au collège, permet aux élèves de pratiquer la musique sur le temps scolaire. Pour certains enfants de milieux populaires, c’est l’une des rares occasions où cela est possible. « Il s’agit d’un dispositif porté par la communauté de communes, la mairie et la DSDEN. Il concerne un tiers des élèves de l’école, 100 sur 295, du CE1 au CM2. Ils reçoivent sur le temps scolaire aménagé un enseignement poussé et exigeant dispensé par les professeurs de musique du conservatoire : solfège, culture musicale, chant choral, expression scénique, pratique instrumentale – à partir du CM1, orchestre. Une partie des cours a lieu à l’école et l’autre au conservatoire ». Les élèves sont répartis dans toutes les classes plutôt que dans un cursus spécial et à part dans l’école, « c’était une condition essentielle de l’équipe ». On peut s’interroger sur un tel choix. Quid des apprentissages lorsque ces élèves vont au conservatoire, au moins un après-midi par semaine, ou lorsque l’intervenant se déplace à l’école, pour au moins la même quotité horaire ? Afin d’éviter pour ces élèves une perte des apprentissages fondamentaux, l’équipe enseignante s’est engagée dans une organisation pédagogique alternant temps collectifs et temps individualisés.
Un aménagement de la scolarité du CE1 au CM2, et plus si affinités…
Les élèves intégrant le dispositif ne le sont pas forcément sous l’impulsion des parents, ce sont les enseignants de CP qui les ciblent. « Concrètement, tout au long du CP, l’ensemble des élèves est observé par les enseignants durant les enseignements artistiques et musicaux. Il est recherché une appétence certaine dans ces domaines ». Mais ce n’est pas le seul critère, l’élève doit aussi être assez autonome, mais pas forcément d’un bon niveau scolaire. Ensuite, l’équipe propose à la famille que l’enfant intègre le parcours. Si elle est donne son accord, le dossier est présenté en commission. « La commission est composée de la DASEN, de représentants des parents d’élèves, de la directrice de l’école et du directeur du conservatoire. Elle examine le dossier de chaque candidat et l’auditionne accompagné de ses parents ou de son enseignant. En plus des enfants de l’école, le dispositif est ouvert sur dérogation à tous les élèves de la communauté de communes. C’est un outil intéressant en termes de mixité sociale ». Et c’est ainsi que débuté l’aventure CHAM pour 24 élèves et ce pendant au moins quatre ans. Les premières années, il s’agit surtout de solfège, d’éveil à la culture musicale, de chants dans le cadre d’une chorale et d’expression scénique. « La pratique instrumentale commence en CM1 : ils choisissent dans la mesure du possible entre tuba, cor, trompette, trombone, flûte traversière, clarinette, saxophone, percussions. Les enfants reçoivent en prêt leur instrument pour pouvoir travailler toute l’année à la maison. Le dispositif se poursuit ensuite au collège jusqu’en 3e dans des conditions proches avec les adaptations que demande la différence de structure ».
Un spectacle entièrement conçu et monté par les élèves, leurs enseignants et le conservatoire
Lors de la dernière période scolaire, les élèves montent sur les planches du théâtre municipal pour un grand spectacle. Cette année, il s’agissait d’interpréter l’opéra pour chœurs d’enfants « Atchafalaya » d’Isabelle Aboulker. Un opéra qui raconte l’histoire des habitants de la Louisiane, encore colonie française, en faisant un parallèle entre les enfants d’Orléans, résidant aux bords de la Loire, et ceux de la Nouvelle Orléans, résidant près du fleuve Atchafalaya. Le répertoire musical mêle chants indiens et jazz. « Le chant d’entrée et le chant final ont été répétés en chorale d’école avec la totalité des élèves du CP au CM2. Les élèves CM CHAM ont travaillé et répété les musiques d’accompagnement des chants pour pouvoir les jouer en direct. La conception des différents tableaux et des intermèdes a été répartie et prise en main au sein de chaque classe ». Parce qu’en effet, les élèves ne font pas que monter sur scène. « Tous les ans, tout ce travail donne lieu à la création d’un grand spectacle auquel participe l’ensemble des enfants, des enseignants et du personnel de l’école. C’est un projet lourd et dense qui demande un travail d’équipe conséquent tout au long de l’année : costumes, décors, mise en scène, répétitions des chants, enregistrements des dialogues… ». La municipalité, partie prenante du projet, met à la disposition de l’école le grand théâtre municipal « avec tous les moyens techniques nécessaires durant deux jours. Le premier pour finaliser les derniers filages en contexte, le second pour une répétition générale le matin, une première représentation l’après-midi pour un public scolaire et les amis de l’école et une autre en soirée principalement pour les parents ».
Un dispositif ambitieux qui porte les élèves fragiles scolairement
C’est ainsi que tous les ans, tous les élèves de cette école située en zone d’éducation prioritaire montent des spectacles allant du récital au spectacle artistique complet, et qui n’ont rien à envier à ceux de professionnels. Ils ont pu ainsi s’emparer de l’Odyssée, des contes traditionnels, des arts du cirque mais aussi des Fables de la Fontaine. « À chaque fois, le défi est d’en faire une œuvre dont les enfants se souviendront comme la réalisation d’un travail certes très exigeant mais tellement valorisant ».
Un dispositif dont Ben a encore du mal à évaluer les effets. « Le recul que nous en avons, nous a montré que la CHAM avait littéralement porté beaucoup d’élèves plutôt fragiles scolairement. Nous avons beaucoup appris, nous, enseignants, en voyant chez ces mêmes élèves leurs capacités de travail et d’attention lorsqu’ils sont face à un pupitre avec une partition indéchiffrable pour la plupart d’entre nous. La récompense ultime est d’en voir un certain nombre s’inscrire par eux-mêmes ensuite ou concomitamment, hors temps scolaire au conservatoire de l’autre côté de la ville ».
Alors loin de l’image ministérielle des écoles en zone d’éducation prioritaire où seuls les fondamentaux, lire, écrire, compter semblent accessibles aux élèves, Ben et son équipe nous montrent l’importance de toujours être ambitieux pour eux, quel que soit leur milieu d’origine.
Lilia Ben Hamouda