Print Friendly, PDF & Email

Le bonheur peut-il être est un moyen de penser l’inclusion scolaire, c’est à-dire le respect des diversités dans toutes ses dimensions : culturelles, sociales, linguistiques, intellectuelles, physiques, dans une école en phase avec la société ? L’originalité de l’université des artistes, consiste théoriquement à penser le bonheur par la Relation et méthodologiquement à penser de manière réflexive les ingénieries du bonheur dans le cadre d’une société apprenante, qui peut agir sur elle-même par la collaboration active de ses membres. Tel est le sens de l’utilisation de la musique pour travailler la laïcité et de participer à construire un autre monde auquel chacun prendrait part car il aurait sa part. L’art en général et la musique en particulier permettent un mode d’accès aux savoirs mobilisant émotions, affects, corps que l’Ecole privilégiant la raison et les cadres formels a peu utilisés, voire délégitimés. Croisée à la recherche biographique, la musique (ici le rap) peut être vectrice d’apprentissage de vivre ensemble.

L’université des artistes, un dispositif pédagogique.

L’université des artistes organisée par le Laboratoire BONHEURS de l’Université de Cergy-Pontoise et par l’EPSS (École Pratique de Service Social) à Cergy-Pontoise est un projet hybride de recherche-formation dont la visée est de former par la recherche en sciences sociales et par la musique pour favoriser l’apprentissage du Vivre-ensemble des sujets dans (et hors) l’école.

Ce projet transdisciplinaire « Les musiques de la diversité, vecteur de communautarisation ou d’attachement au monde ? » répond à l’exigence du monde d’aujourd’hui de composer les savoirs pour mieux comprendre les enjeux du monde contemporain en réunissant des partenaires scientifiques et universitaires mais aussi des artistes et des usagers (professeurs, CPE, proviseurs, élèves, étudiants …). Les musiques de la diversité (i.e toutes les formes musicales qui se confrontent d’une manière ou d’une autre aux questions d’altérité, rap, Afro-Trap, reggae, chansons populaires etc.), portent-elles des contenus peuvent constituer des « lieux apprenants » ? Peuvent-elles constituer des leviers d’apprentissage pour les éducateurs et les professeurs et de mise en mots pour les jeunes ?

L’objectif était de proposer un projet pédagogique pour savoir comment se déconstruit et se reconstruit un sentiment d’appartenance collective activé par ces musiques. Il s’agissait de penser une laïcité ouverte à la pluriculturalité par un dispositif pédagogique de co-construction de pratiques. L’idée est d’articuler recherche scientifique en sciences humaines et sociales, performances d’artistes, dispositifs pédagogiques, pour proposer un regard qui donne aux usagers (élèves, étudiants, publics, formateurs, professeurs, CPE, éducateurs spécialisés …) un rôle de « spect-acteur ».

Face à la crise du modèle français d’intégration, les musiques de la diversité sont-elles vecteur de communautarisation et de désaffiliation ou plutôt d’attachement au monde et de production d’un vivre-ensemble ? En quoi les objets de la culture peuvent-ils être un levier pédagogique ? Par quels dispositifs nourris par la recherche biographique et facilitant la mise en mots, l’accès à la parole des jeunes et la construction du Vivre-ensemble ?

Le pari pédagogique est d’utiliser les objets de la culture adolescente pour penser, pour apprendre, pour vivre-ensemble, ici la musique. Sciences sociales et arts donnent sens au monde. Emancipation, apprentissages, questionnement critique passent par la mise en commun des dissensus, par la délibération au sens d’Habermas. Car la musique se meut aussi sur d’autres plans que les signifiants. L’expérience esthétique se joue du clivage entre le cognitif et l’émotif et devient en elle-même un mode de connaissance ancré sur un investissement affectif intense avec des objets comme siège de sentiments, d’émotion, de passion, d’enthousiasme, de plaisir, de situations imbriquées dans leurs dispositifs techniques et sociaux. Les chansons sont des œuvres ouvertes fondamentalement ambigües, portant une pluralité de signifiés en un seul signifiant et mues par l’émotion de la musique qui met en mouvement le corps comme l’esprit. Le récepteur de la chanson participe à l’œuvre de façon active. La partition n’est pas figée mais une interprétation que chacun construit en y apportant son histoire, son langage, sa liberté.

L’université des artistes a justement pour objet de penser autrement le rapport à l’altérité que produit la musique et peut-être de panser quelques blessures de silence et de mémoires de l’oubli et ouvrir des modes d’empowerment inédits.

L’université des artistes, la pop culture et l’école

L’université des artistes est un lieu de partage des savoirs où tous les acteurs sont conviés à discuter de travaux et/ou de pratiques en éducation à partir de formes originales de communication sous forme de communications scientifiques ,spectacles, présentation de dispositifs pédagogiques mis en œuvre dans le établissements (voire les centres sociaux maisons de quartier, PJJ, associations locales etc.), dialogue avec les chanteurs, documentaire, théâtre-forum. Dans une logique de Pop’Science à l’instar de la Pop’Philosophie, au sens de Deleuze, l’idée procède de l’affirmation d’une connexion possible entre les sciences sociales et la « pop culture », entendue comme l’ensemble des productions culturelles de masse du monde contemporain. Une attention particulière sur le rapport de relation entre éducation et culture en interrogeant la dimension formatrice et éducative des objets de la culture populaire à partir de leur impact sur les modes de sociabilité des jeunes, qui vivent dans des quartiers populaires et les autres. Dans la production/reproduction/diffusion des discours ou des sentiments d’appartenance des jeunes générations, des espaces sociaux hétérogènes sont en interaction : l’École, les musiques émergentes, les collectifs d’engagement, les médias comme outils de production d’une culture musicale sont producteurs de discours et de représentations du vivre-ensemble.

L’enjeu consiste à interroger notamment la manière dont la singularité de l’expérience sociale des adolescents vivant en milieu populaire peut être mobilisée dans le cadre de dispositifs éducatifs visant à favoriser le discernement des positions sociales subjectives et objectives, dans le cadre de l’apprentissage et de l’appropriation des valeurs qui sous-tendent les notions inclusives de citoyenneté et de laïcité.

Parmi les musiques de la diversité, le rap occupe une place de choix chez les jeunes. Cet art contemporain, objet de la culture populaire, se forge à partir des tensions, des contradictions sociales et politiques qui animent une société, et il se donne à voir et à entendre autant du point de vue de ses praticiens que de ses auditeurs. Pour autant, les racines comme l’horizon symbolique de ce genre Rap restent globalement ancrés dans les « quartiers d’immigrés » marqués par l’immigration nord-africaine et subsaharienne. Souvent relégué aux marges, réduite à une culture urbaine, et en ce sens limité à un espace spatial et pensé hors du champ culturel. L’univers du Rap dit de rue est-il vecteur de socialisation, voire même d’ «empowerment » ?

Ce dispositif hybride de recherche-spectacle-formation avait donc pour objet d’utiliser la musique dans l’école ou les organisations d’éducation et de formation comme vecteur de mise au travail des tensions, de questionnements réflexifs, de construction collective d’espace de délibération collective qui font souvent défait à l’institution scolaire.

L’organisation de l’évènement s’est structurée de manière originale. Il d’agissait à la fois d’un colloque scientifique avec un appel à communications classique et un comité scientifique, d’un projet de formation initiale et continue de professeurs, des CPE et des éducateurs, d’un évènement artistique et d’une séquence pédagogique pour des élèves.

L’Observatoire de la laïcité a inauguré l’évènement avec une conférence de Nicolas Cadène suivie par une conférence de l’historien Patrick Weil. Le théâtre-forum a ensuite été proposé. Un groupe d’élèves du Lycée Louis Jouvet de Taverny ainsi que des jeunes d’une maison de quartiers de cavaillon d’une part et un groupe de professeurs ( débutants ou en poste) ont joué des scènes de vécu quotidien de la laïcité dans le cadre d’un dispositif de théâtre forum et de scènes préparées le matin. Le théâtre-forum est une technique, mise au point dans les années 1960 par Augusto Boal, dans les favelas de São Paulo. C’est une des formes du théâtre de l’opprimé. Le principe en est que les sujets improvisent puis fixent une fiction des situations d’oppression ou des sujets problématiques de la réalité. Puis dans une visée technique de théâtre participative, l’idée est de jouer ces scènes devant un public qui va mettre en débat, produire une délibération collective, qui ouvre des perspectives nouvelles à la discussion pour faire émerger des significations.

Dans l’école, la question de la laïcité n’est le plus souvent pas ou peu abordée sous l’angle d’une discussion qui ouvre les enjeux. Les professeurs craignent les débordements, les élèves ne se sentent pas entendus. Cela se borne souvent à une charte de laïcité collée dans le carnet scolaire et jamais lue ni interrogée.

Dans notre Université des artistes, toute parole (sauf raciste ou diffamante) peut être dite et débattue ; de manière à produire un sens collectif, qui ne se réduit pas à l’expression d’injonctions verticales inefficientes.

Frédéric Guignot professeur de théâtre et Frédéric Cotégah spécialiste du théâtre-forum ont produit un cadre ouvert et sécurisant, permettant la circulation de la parole et l’utilisation du corps pour s’exprimer. Le constat est que pour ces élèves de lycée populaire, laïcité et discriminations ethnqiue font écho puisque ceux-ci ont produit des scènes de discrimination ethnique dans et hors école pour illustrer la laïcité. Quant aux professeurs des scènes mettant en jeu leurs difficultés dans leurs pratiques pédagogiques. Le vécu des sujets s’y est exprimé souvent en contre-point aux discours.

Scènes de théâtre forum

Dans eu second un dialogue entre chercheurs, artistes invités et participants s’est organisé sur la question « Les musiques populaires influencent-elles les représentations du monde de la jeunesse et sont-elles un impact sur le comportement social des jeunes ? »  : Des artistes [Juliette Fievet, animatrice, journaliste Fred Musa (animateur radio, Skyrock) ; Singuila (rappeur), Djamil Ramdane de Drunkouls (chanteur). Bintsi Sira (chanteuse) Phil Darwin (humoriste), Steevy Gustave (producteur militant programmateur de télévisions), Maguy Villette (artiste coach vocale) ] et les chercheurs spécialistes de la construction du commun et/ou delà musique [Rémi Astruc Antoine Hennion Alain Jaillet Sondes Zouaghi et François Durpaire. ]

Dialogue chercheurs/chanteurs/professionnels/élèves

La question posée avait pour objet de e demandé comment les jeunes utilisent les musiques de la diversité pour se penser dans le monde alors même que le discours scolaire du vivre-ensemble est peu ou pas entendu.

Le lendemain des communications scientifiques internationales ont questionné la laïcité à l’aune de la musique.

Puis des dispositifs pédagogiques dans et hors l’école mis en œuvre par de professeurs et des CPE en établissements, ou des éducateurs dans des quartiers, co-construits avec des chercheurs et investigués par la recherche ont été présentés : Lavilliers et les chansons de l‘exil, comme outil pédagogique pensé par un professeur de SES, Michel Potoudis dans lycée st Charles de Marseille., du rôle des encadrants et des intervenants dans le cadre d’une action culturelle portant sur le vivre-ensemble mis en oeuvre dans des ateliers rap ou slam par l’Association la Ruche de Cergy avec des établissements scolaires, de Reg’arts dyonésien » proposé par Shérine Soliman professeur de collège utilisant le slam pour penser les mémoires singulières et collectives des élèves, l’intervention socio-culturelle autour de la notion d’identité dans les lycées au collège Martin-Luther-King (Villiers-le-Bel) mis en œuvre par le Collectif Fusion, du Retour d’expérience sur Melting potes , creuset de la Laïcité ? de Magali Piron un CPE de Toulon, des dispositifs pour donner du sens à la laïcité, proposés par Medy Labidi, Inès Abid des Conseillers principaux d’éducation, ou des Instants Passions pour mieux vivre l’Espe de Richard Guérault ainsi que d’une 20aine de dispositifs mis en œuvre par les professeurs stagiaires de lycée professionnels de l’ESPE de Versailles présentés sous forme de posters.

Parmi les pratiques culturelles, la musique et en particulier les musiques de la diversité sont au cœur de la socialisation juvénile. Utiliser pour penser la mise en mots subjectifs, le récit de soi, la démarche de la recherche biographique, les affects, les émotions par le truchement du support musical est atypique dans le mode scolaire. Cette manière inédite dessiner à la laïcité avait comme visée principale de produire une délibération collective, de proposer des ingénieries du bonheur aux professionnels (au sens de dispositifs d’empowerment) dans et hors l’école, de faire dialoguer arts sciences s sociales et pratiques professionnelles.

Si l’idée de bien-être dans l’école (voire dans la société) et plus largement de bonheur est lié à la question de l’émancipation, c’est au sens de la participation, au double sens de prendre part et d’avoir sa part.

Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

Université de Cergy-Pontoise

Un film de Lewis Fleury a été réalisé sur l’évènement.