Le terme « hybride » est désormais le plus souvent employé pour indiquer qu’un dispositif, une action de formation se déroule en présence et hors présence. Parfois appelé blended, ou même encore FOAD (Formation Ouverte et à Distance), le type de formation dit « hybride » fait rêver nombre de responsables de formation des institutions et entreprises qui y voient d’une part un renouvellement de la formation et d’autres part des économies possibles. Ne nous y trompons pas l’injonction d’hybrider les formations (ou les enseignements) est d’abord un levier pour un changement éventuel dans les modèles de formation et d’enseignement considérés comme parfois peu efficaces et trop coûteux. Marcel Lebrun reprend de son côté l’expression à propos de la classe inversée dans l’ouvrage co-écrit avec Julie Lecoq (Classes inversées, enseigner et apprendre à l’endroit, Canopé 2015). Effet de mode, opportunité, requalification d’une vieille pratique ? Hybrider se réduit-il seulement à alterner présence et distance ? Deux questions sont d’abord à examiner : la première est celle de savoir si hybride se limite bien au couple présence/distance. La seconde est de s’interroger sur l’histoire de la formation, de l’enseignement et d’essayer de comprendre d’où vient l’hybridation.
Les autres hybridations possibles
Le terme « hybride » est à rapprocher du terme « croisement », comme l’indiquent les différentes définitions du terme utilisés dans des domaines scientifiques variés. L’idée de croisement suppose donc de prendre en compte deux éléments/univers qui vont être associés dans un dispositif, une organisation. Il faut bien entendre ici que de multiples hybridations sont possibles et dans le domaine de l’éducation, l’enseignement ou la formation, elles peuvent prendre des formes différentes. Ainsi peut-on évoquer des hybridations en formation entre des publics en formation initiale et formation continue, stagiaires jeunes avec des stagiaires âgés, novices avec expérimentés. Plus simplement, l’alternance (apprentissage) est une forme d’hybridation en associant dans le même dispositif deux modalités différentes qui se croisent au service du même objectif de formation. On pourrait compléter cette liste
Les anciennes hybridations présence/hors-présence (distance)
Rappelons d’abord que la distance n’est pas qu’une disposition spatiale ou géographique, mais c’est aussi une forme psychique d’éloignement : ainsi les contenus scolaires sont-ils à distance de la réalité quotidienne ou encore dans la salle de classe l’espace de réflexion et de travail est organisé par l’enseignant et est éloigné des activités spontanées des élèves. L’hybridation est en fait une pratique ancienne dans la formation et l’enseignement en commençant par les classiques travaux à faire à la maison (devoirs, leçons et autres activités à faire en dehors du temps de cours, le fameux travail personnel). Les stages en milieu professionnel pour les élèves de l’enseignement technique sont aussi une hybridation certes différente de l’alternance mais qui s’en inspire. Comment croiser théorie et pratique, apprentissage et action réelle, milieu scolaire, milieu de travail etc.… voilà quelques-unes des hybridations bien connues et pas vraiment nouvelles. Lorsqu’un enseignant n’a pas terminé son programme, il lui arrive d’hybrider son enseignement en distribuant un polycopié ou des liens vers des ressources dont il sait qu’il n’aura pas le temps de les étudier dans son temps de cours. Hybrider n’est pas nouveau, sauf dans le cas de l’enseignement à distance qui a été remis en cause à partir du moment où la mise en réseau s’est démocratisée. L’ayant expérimenté dès la fin des années 1980, cette hybridation émerge à partir de la généralisation du web.
L’hybridation répond d’abord à un manque. Les critiques de la formation à distance traditionnelle (FAD) s’exprimaient à partir d’un modèle fondé uniquement sur la correspondance écrite entre un organisme et les apprenants (appelé parfois « modèle CNED »). Le manque de contact humain se faisait sentir, surtout au vu du nombre d’abandons …. la FAD s’est progressivement transformée en FOAD. Le O signifiant Ouvert est aussi l’occasion d’introduire de la présence dans la distance. Or cette présence est un élément souvent considéré comme essentiel voire indispensable en particulier pour éviter les abandons, mais plus simplement pour faire « exister » les participants à la formation proposée, on parle alors de construction identitaire de celui qui apprend et se forme. On part dans ce cas de la formation à distance pour y introduire de la présence, mais c’est aussi l’inverse qui est en train de se développer.
Le modèle du stage de formation pour adulte a longtemps été vu comme une copie du cours vécu dans la scolarité. L’expert formateur délivre son savoir sans parfois même s’intéresser au contexte de travail auxquels il s’adresse. Il reproduit ainsi le modèle de l’enseignant devant ses élèves. Mais la différence vient des stagiaires qui eux, adultes, ont un vécu professionnel, une expérience dont on sait et on mesure aujourd’hui combien ils sont formateurs. Aussi lors des stages, comment ignorer ces apprentissages non formels ou expérientiels. Pour le dire autrement, l’hybridation d’une formation c’est d’abord la prise en compte de « l’autre lieu » de l’apprendre qu’est le contexte de vie quotidienne, personnel ou professionnel.
L’hybridation peut être une plus-value pour le stagiaire, l’apprenant. Mais il y a quelques conditions à ne pas négliger. La première est le lien entre les différentes parties de la formation. Comment le « en présence » renvoie au « à distance » et réciproquement. La deuxième est de ne pas négliger le soutien aux stagiaires (tutorat) pendant les périodes hors regroupement. La troisième, et qui n’est pas la moindre, est la nécessité de mesurer la capacité « d’apprenance » des stagiaires dans un tel contexte. En formation continue, mais aussi en formation initiale, il serait dangereux d’imposer des hybridations sans analyser réellement ces trois points. A ceux-là il faut bien sûr ajouter les questions de logistique et de finance : les coûts ne se réduisent pas forcément mais se déplacent (en amont souvent de l’action elle-même), la nécessité d’infrastructures matérielles et logicielles robustes et fiables s’impose. Enfin les compétences spécifiques des intervenants (concepteurs, formateurs, enseignants, experts…) doivent être travaillées en commun et s’appuyer sur une bonne compréhension de la notion d’hybridation en formation et en enseignement.
Bruno Devauchelle