Une transformation de grande ampleur de l’administration de l’Éducation nationale est en train de se mettre en place, discrètement, par le biais d’un amendement glissé fort opportunément dans la loi sur « l’école de la confiance », l’amendement AC501, devenu l’article 6 bis de la loi. Il s’agit d’une mesure très technique, difficile à déchiffrer, ce qui la rend d’autant plus redoutable. Cet amendement, en rattachant administrativement des écoles primaires à des collèges, permettra de réduire les postes de professeurs des écoles et privera les écoles de leur directeur, alors que celui-ci est une interface indispensable entre les familles, les mairies et l’administration de l’éducation nationale.
Rattacher les écoles à un collège ou les subordonner à un collège ?
La mesure décrite par l’amendement AC 501 se présente sous la forme de la création d’« établissements publics des savoirs fondamentaux », issus du « regroupement d’écoles avec un collège au sein d’un même établissement public local d’enseignement ». Auprès du grand public et des syndicats d’enseignants du primaire, pour rendre plus suave ce dispositif, ces nouveaux établissements sont baptisés « écoles du socle ». Mais sur le plan administratif, il s’agit en fait de subordonner les écoles au collège de leur secteur. Une petite astuce permet au texte de rendre moins visible cette annexion des écoles : l’acronyme EPLE qui désigne en langage administratif les collèges et les lycées est remplacé par sa formule développée, peu interprétable par les non-initiés. En clair, le texte prévoit donc l’annexion administrative des écoles par le collège de leur secteur.
À première vue, les dispositions prévues par cet amendement présentent deux avantages : d’une part, elles favorisent la continuité de l’enseignement en créant des établissements prenant en charge des élèves de la maternelle jusqu’à la troisième et en reliant entre elles des écoles dispersées ; d’autre part, elles paraissent répondre à une demande des directeurs d’école qui souhaitent voir leur fonction mieux reconnue.
Mais il faut regarder les choses de plus près pour voir les conséquences de ces dispositions. Actuellement, chaque école primaire constitue une entité. Lorsque les écoles sont petites, elles sont regroupées dans une structure, le Regroupement pédagogique intercommunal (RPI), de façon à fonctionner en réseau et à permettre un maillage du territoire en conservant des écoles dans de petites communes. À quel besoin répond donc la création d’un autre type de regroupements d’écoles, à même de réunir toutes les écoles du bassin d’un collège ?
Une économie d’échelle
Le profit escompté de cette mesure est d’abord budgétaire car le dispositif permet une économie d’échelle qui se traduira par une diminution du nombre de postes d’enseignants du primaire. En effet, si une entité accueille 105 élèves et que le ratio fixé est d’un poste d’enseignant pour 25 élèves, l’entité dispose de bons arguments pour obtenir non pas quatre mais cinq postes d’enseignants. Cet ajustement permet que le nombre moyen d’élèves par classe dans le primaire public soit actuellement de 23,6 élèves. Mais si on change d’échelle, et que l’entité prise en compte est plus importante, on élève les seuils d’attribution de postes. Au niveau national, le profit escompté n’est pas mince puisque 46,6% des écoles primaires publiques comportent actuellement de deux à quatre classes, et les regrouper dans de grands établissements est donc bien tentant pour l’administration centrale.
Le cas des directeurs d’école : une fausse réponse à un vrai problème
L’amendement répond aussi – mais seulement en apparence – à la demande de reconnaissance institutionnelle exprimée par les directeurs d’école. En effet, « directeur/trice » désigne uniquement un type d’emploi exercé par un-e professeur-e des écoles, ce n’est ni un grade, ni un corps. L’indemnité attachée à cette fonction est légère et les décharges accordées ne couvrent pas l’étendue réelle du travail à accomplir. Une première lecture a pu donner à penser aux directeurs d’école qu’ils allaient enfin être reconnus et que serait créé, en quelque sorte, un corps de « personnel de direction » de l’enseignement primaire, à l’instar de l’enseignement secondaire : les principaux de collège, les proviseurs de lycée et leurs adjoints sont des « perdirs ». Mais ce n’est pas ce que dit le texte de l’amendement. On peut en effet y lire « L’établissement public des savoirs fondamentaux est dirigé par un chef d’établissement […]. Un directeur-adjoint exerce, sous son autorité, les compétences attribuées au directeur d’école par l’article L. 411-1 » Cet article L 411-1 du code de l’éducation est tout simplement celui qui définit actuellement les tâches du directeur d’école. Autrement dit, le dispositif défini par l’amendement ne définit toujours pas de statut pour les directeurs. En revanche, il en fait des subalternes des principaux de collège.
En admettant que cette mesure confère de la légitimité à des directeurs en les installant auprès d’un principal, cela ne règle pas pour autant le manque de reconnaissance dont pâtissent les directeurs, car seule une faible part d’entre eux pourrait accéder à cette place : il y a en France 45 000 écoles – et donc 45 000 directeurs – et seulement 5300 collèges. Mais comme le disait J-M. Blanquer dans L’école de demain (p. 129) : « Faire évoluer les statuts pour créer 45 000 postes de directeurs d’école paraît hors d’atteinte en termes budgétaires ».
Il s’agit donc juste d’assurer la promotion symbolique de quelques directeurs, pour mieux centraliser les décisions et piloter de façon plus serrée l’école primaire en la soumettant aux objectifs du collège. Il y a sans doute aussi des économies à faire au moment du transfert des primes et décharges jusque là attribués aux directeurs des petites écoles, vers ceux d’entre eux qui deviendront directeurs-adjoints sous l’autorité d’un principal.
Ajoutons que l’exposé sommaire accompagnant l’amendement dit avec une fausse naïveté : « Les tâches qui incombent aux directeurs d’écoles […] pourraient ainsi être réparties entre le directeur-adjoint et l’équipe administrative du collège ». L’auteur de l’amendement croit-il vraiment que toutes les tâches incombant à un directeur d’école soient délocalisables ? Assurer la réception de la livraison de repas (on n’a plus le droit de préparer les repas dans les écoles), organiser la surveillance des élèves, appeler les parents d’un enfant malade, comptabiliser les absences, signaler un incident ou un besoin de réparation, être le représentant de l’institution scolaire dans la commune… rien de cela ne peut être traité à distance. De plus, avec l’éloignement du directeur qui siègera désormais au collège, et surtout avec le feuilletage administratif imposé aux « écoles du socle » en raison de la multiplicité des tutelles (département, communauté de communes, communes…) tâcher d’obtenir des fonds sera une entreprise désespérée. Seule l’administration centrale, qui disposera grâce à la présence du directeur adjoint au principal d’une instance facilitant la remontée des données tirera son épingle du jeu.
Sylvie Plane
Ex vice présidente du CSP