« Il ne s’agit pas de dire que tout est beau ou que rien ne va, mais de faire un premier bilan de l’éducation prioritaire refondée qui a été beaucoup attaquée ». Acteur incontournable de l’éducation prioritaire, l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) réunissait samedi 9 février un séminaire national. Au programme : concevoir et mettre en oeuvre l’évaluation de l’éducation prioritaire (EP) prévue lors de la refondation de l’EP de 2014 pour avoir lieu en 2019. Une évaluation que le ministère actuel rechigne à mettre en oeuvre. Pour cela, l’OZP réunit des experts reconnus de l’EP : M. Bablet, C. Moisan, JY Rochex, P. Picard et F. Lorcerie. De premiers éléments seront dévoilés le 18 mai lors de la Journée nationale de l’OZP.
Marc Douaire, président de l’OZP lance la réflexion en rappelant l’objet de cette journée. Il s’agit bien d’évaluer l’éducation prioritaire, comme s’y était engagé le précédent gouvernement et comme rechigne à le faire l’actuel. « Engager une démarche d’évaluation du service publique participe à la vie démocratique, et à cette fin, les intéressés engagés doivent y être associés ». Il rappelle aussi en quelques mots l’histoire de la politique d’éducation prioritaire qui approche de son trentième anniversaire. Une politique chahutée par le stop’n go de l’alternance politique. Lancée en 1981 par Savary, remise en question lors du gouvernement suivant, reprise par Jospin, reléguée par ses successeurs… Robien en 2007 la relance avec l’expérimentation des RAR – Réseau d’Ambition Réussite, mais il faudra attendre 2014, dans le cadre de la loi de refondation, pour qu’une nouvelle politique ambitieuse soit impulsée avec les assises de l’éducation prioritaire, un nouveau redécoupage de la carte scolaire, un référentiel pédagogique…
Un conseil scientifique pour évaluer la dernière mouture de l’éducation prioritaire
Alors comme prévu par l’agenda, l’OZP souhaite et demande une évaluation de cette politique pour permettre d’améliorer ce qui concours à une meilleure réussite des élèves de milieux populaires et à la démocratisation de l’école. « Cette évaluation doit mettre en évidence ce qui marche mais aussi les freins et les manquements. L’éducation prioritaire est la seule politique publique scolaire contre les inégalités sociales scolaires ». Et puis, l’OZP s’est donné comme mission de mieux faire connaître la réalité de l’éducation prioritaire, de ses agents qui ne sont pas assez reconnus dans la réalité de leur engagement. « Nous sommes frappés par la « pensée médiatique dominante », une sorte d’aversion que provoque la notion d’EP par des personnes éloignés du terrain. Comme ces médias qui titraient que l’étiquette était un obstacle à la mixité scolaire et à une meilleure réussite des couches prioritaires ».
Alors, sans réponse du ministère et afin de « prendre ses responsabilités dans la construction de l’éducation prioritaire », l’association s’est dotée d’un conseil scientifique, et pas des moindres avec F. Lorcerie, M. Bablet, C. Moisan, JY Rochex et P. Picard entre autres. Des personnalités connues et reconnues pour leurs connaissances et leurs compétences sur la question de l’éducation prioritaire. La journée du 9 février avait pour objet d’établir les éléments qui permettront une évaluation dont le sérieux n’aura rien à envier à celles de l‘inspection générale ou de la DEPP.
Une évaluation tout aussi sérieuse que celle de la DEPP ou de l’inspection générale
Anne Armand, Inspectrice générale, rappelle les conditions dans lesquelles s’appliquent une évaluation. « Les évaluations sont très rarement exhaustives. Les inspections générales choisissent cinq à dix académies ; dans ces académies, cinq établissements sont ciblés (trois dans le public et deux dans le privé) pour produire des résultats. Elles se basent donc sur un panel représentatif. Il s’agit d’une corrélation entre les chiffres, l’analyse qualitative et le ressenti des intéressés. La DEPP a le même fonctionnement. Nous arriverons ensemble à faire une vraie évaluation pour savoir à quoi ont servi les mesures prises, comment les améliorer ou que faut-il supprimer pour être plus performant. Nous ne sommes pas là pour défendre quelque chose mais pour avancer une réflexion collective ».
Un regard extérieur sur la politique de l’éducation prioritaire en France
Lee Yon-Ran est une chercheuse sud-coréenne qui travaille sur l’éducation prioritaire. « La France est un modèle dont nous voulant nous inspirer et dont nous voulons éviter les écueils ». Elle présente un état des lieux comparatif entre son pays et en France. Ce qui l’a plus marqué ? La prise en compte de la pédagogie dans l’éducation prioritaire. Elle explique qu’en Corée, il s’agit plus du bien-être des élèves, l’aspect didactique avec une approche différenciée n’existe pas. Tout comme la labélisation d’établissement, la Corée privilégiant une approche individuelle, les élèves sont fléchés selon leur condition socioculturelle. Une intervention intéressante, qui apporte un regard extérieur. Elle conclue son propos, « La politique d’éducation prioritaire en France a contribué à un changement politique et idéologique essentiel de l’éducation nationale, surtout chez les enseignants ».
Un après-midi pour construire le questionnement à soumettre aux professionnels exerçant en éducation prioritaire
Trois ateliers animés par les membres de l’association ont permis d’élaborer collectivement une première trame de l’outil que recevrons les différents acteurs de l’éducation prioritaire. A. Armand et J-Y. Rochex, grands témoins, ont rappelé qu’il s’agissait surtout, dans le cadre de cette évaluation, « d’oser poser la question du « pourquoi la mayonnaise ne prend pas » dans certains REP et pourquoi cela fonctionne dans cet autre REP ? » J-Y. Rochex rappelle qu’« évaluer ce n’est pas quantifier. L’évaluation poursuit deux objectifs : objectiver, rendre des comptes et servir à la régulation de l’action ». L’évaluation que construit l’OZP poursuit principalement ce second objectif. « L’évaluation doit être utile. Il s’agit de rendre intelligible les données statistiques existantes en expliquant les processus : mettre à jour les différentes procédures et les différents points de vigilance et non égrener un catalogue de bonnes pratiques ».
Marc Douaire conclut la journée. « Le 18 mai, lors de la journée nationale de l’OZP, nous espérons vous proposer des éléments de retour. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que tout est beau ou que rien ne va, mais de faire un premier bilan de l’éducation prioritaire refondée qui a été beaucoup attaquée. La politique actuelle engagée n’est pas dans la continuité de la refondation de l’école ni même dans la démocratisation de l’école ».
Une journée riche à laquelle ont participé chercheurs, enseignants, coordonnateurs, inspecteurs, conseillers pédagogiques, chefs d’établissements et syndicats. Un engagement collectif pour porter un projet de société ambitieux : la réussite de tous les élèves.
Lilia Ben Hamouda