Valérie Masson-Delmotte : Des heures pour les sciences du climat
Le changement climatique est-il le grand absent des nouveaux programmes de lycée ? Pour Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, cette absence pose problème. « L’enjeu est de permettre aux élèves d’avoir une image d’ensemble de ce qu’est le réchauffement climatique, ses causes, ses conséquences et des options possibles ». Membre du GIEC, elle déplore « un manque flagrant de mise en œuvre des objectifs de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Climat et de l’Accord de Paris » mais aussi un manque de coordination et d’évaluation des connaissances essentielles dispensées au collège et au lycée. Valérie Masson-Delmotte appelle à faire des établissements scolaires des lieux de vie exemplaires pour les élèves de la « génération anthropocène ». « Un volume de 10 heures de cours par an, sur toute la scolarité de collège et de lycée, au travers des différentes disciplines, serait pertinent ».
Quelles sont les méthodes et connaissances scientifiques les plus récentes sur le climat et la biodiversité qui manquent aux projets de programme de 2nde et 1ère ?
Je souligne tout d’abord à quel point ces deux enjeux sont majeurs, et associés à un foisonnement de connaissances scientifiques nouvelles au cours des dernières décennies. Ce sont aussi deux enjeux d’un développement soutenable pour nos sociétés, avec une urgence à agir sur leurs causes.
Je vais mettre l’accent sur la partie changement climatique. Elle est quasi absente des nouveaux programmes de seconde et de première. Par exemple, quel enseignement du lien entre émissions de gaz à effet de serre, déséquilibre du bilan radiatif de la Terre, et modification du bilan d’énergie de la Terre ? Quel enseignement sur les causes du réchauffement climatique (principaux gaz à effet de serre et ordres de grandeur), et leurs liens avec les activités humaines (au niveau mondial, au niveau français, au niveau individuel) ? Quel enseignement des faits scientifiques permettant de comprendre les relations entre activités humaines et réchauffement, montée du niveau des mers, et intensification de phénomènes comme les vagues de chaleur, ou l’intensité des pluies torrentielles ? Quel enseignement permettant de situer le changement climatique en cours par rapport aux variations naturelles du climat ? Quel enseignement permettant de comprendre l’Accord de Paris sur le climat et ce que représente 1°C de réchauffement (aujourd’hui), 1,5°C, 2°C ou davantage ? Quel enseignement sur les risques climatiques, en croisant les aléas aux vulnérabilités et expositions, et sur les enjeux de l’adaptation ? Quel enseignement sur le défi de l’atténuation, à savoir aller vers le net zéro émission de CO2 mondiales à horizon 2050 pour avoir une chance de stabiliser le réchauffement à 1,5°C au-dessus du niveau préindustriel, à horizon 2070 pour 2°C ? Quel enseignement sur les outils pour explorer les évolutions climatiques futures ? Sur les risques de perte d’habitats et de biodiversité en fonction du rythme et de l’intensité du réchauffement ? Sur les limites d’adaptation pour les sociétés humaines les plus fragiles ? Sur les enjeux croisés pauvreté, inégalités, changement climatique, et effondrement de la biodiversité ? Sur les émissions de gaz à effet de serre dans le monde ?
L’enjeu est vraiment de permettre aux élèves d’avoir une image d’ensemble de ce qu’est le réchauffement climatique, ses causes, ses conséquences, et des options pour y faire face par la gestion de risque (l’adaptation), et par les grandes transitions de systèmes nécessaires (systèmes énergétiques, gestion des terres et systèmes agro-alimentaires, systèmes urbains, systèmes industriels), ainsi que les faire réfléchir également à la responsabilité individuelle (modes de consommation responsables, développement au sens de l’amélioration du bien-être de tous).
Cette image d’ensemble est nécessaire pour donner sens à l’actualité et pour exercer pleinement sa citoyenneté, en comprenant le raisonnement scientifique et en s’appropriant des données essentielles.
En 2014, vous demandiez déjà « un enseignement cohérent des sciences du climat au lycée avec une approche transverse ». Combien d’heures sont nécessaires sur une scolarité pour comprendre le dérèglement climatique ? En quoi est-ce important de former tous les lycéens à ces notions ?
Je pensais que l’enseignement au développement durable allait être renforcé au cours du temps, et s’appuierait sur les connaissances scientifiques récentes.
Visiblement, il n’y a eu aucune coordination ni aucune évaluation des connaissances essentielles pour un élève au début du 21ème siècle, depuis le collège jusqu’au lycée, sur ces questions, dans les nouveaux programmes.
Je pense qu’il faudrait construire un enseignement du collège jusqu’au lycée (pas tout sur une seule année) et en particulier dans les années d’examen, la compréhension des grands enjeux environnementaux me semblant être des compétences essentielles pour de jeunes citoyens.
L’idée est vraiment d’améliorer ce que les anglo-saxons appellent la « climate literacy », c’est à dire la capacité de tous à comprendre comment le climat fonctionne, pourquoi il change, comment il change, et comment il va changer, de sorte à permettre à tous de s’approprier ces enjeux et mettre les jeunes en situation d’acteurs pour construire une culture de l’adaptation et de la résilience et également pour leur donner des clés pour être porteurs de solutions pour l’atténuation, que ce soit dans les parcours professionnels, technologiques, comme dans les parcours généraux. Tous les jeunes du monde entier qui se penchent sur le changement climatique réclament d’avoir davantage de clés pour comprendre et agir dans leurs programmes d’éducation plutôt qu’avoir à se former par eux-mêmes.
Je pense qu’un volume de l’ordre de 10 heures de cours par an, sur toute la scolarité de collège et de lycée, au travers des différentes disciplines, serait pertinent. Cet enseignement relève au moins de la physique-chimie, des sciences de la vie et de la Terre, de l’histoire –géographie, de l’éducation civique, de la philosophie (« penser l’Anthropocène »), et peut fournir des exemples d’applications pour l’enseignement en mathématiques, en langues ou en français, et en informatique.
Aujourd’hui, des élèves de Terminale (anciens programmes) n’ont eu qu’une approche de l’effet de serre en physique en 4ème. Combien d’heures sont prévues sur le changement climatique dans les nouveaux programmes ? Quelqu’un a-t-il pensé à cet enseignement dans leur mise en œuvre ?
Avez-vous personnellement participé à la conception des programmes ? Vos collègues ont-ils été contactés ?
Non, je n’ai pas été contactée, ni aucun de mes collègues en sciences du climat (souvent physiciens), à notre grande préoccupation.
C’est aussi un manque flagrant de mise en œuvre des objectifs de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Climat et de l’Accord de Paris, qui mentionnent le renforcement de l’éducation dans leurs priorités.
Cela est aussi en contradiction avec la déclaration du partenariat interacadémique sur l’éducation et le changement climatique.
En quoi les lycéens d’aujourd’hui incarnent-ils la « génération anthropocène » ?
Ils ont grandi, depuis leur enfance, dans un monde où l’on connaît les causes du réchauffement climatique et de la destruction de la biodiversité, et intégré ces enjeux à leur vision du monde. Regardez les numéros du « Petit Quotidien » utilisés il y a une dizaine d’années à l’école maternelle ou en début de primaire : ces questions y sont largement abordées. Les adultes d’aujourd’hui illustrent souvent la dissonance cognitive : d’un côté, on sait ; de l’autre, on ne change rien à notre mode de vie. Ce n’est pas tenable pour cette nouvelle génération.
Les principes du code de l’éducation sont mis en avant dans l’appel, pourquoi ?
Je suis très attachée à la réflexion sur les principes qui conduisent à mettre en œuvre une politique publique. De ce fait, j’ai lu avec attention le code de l’éducation, qui mentionne explicitement l’éducation à l’environnement et au développement durable, et la charte des programmes, qui mentionne, pour les élèves, que ces programmes se caractérisent par leur « contribution à une culture commune, leur exigence de cohérence, leur objectif de structuration de la personne, la clarté de leur statut, leur fonction de transmission critique des héritages, leur ouverture, et par le fait qu’ils relèvent d’une éthique de responsabilité par rapport à chaque élève comme par rapport à la collectivité aussi bien qu’à l’humanité et à l’environnement. »
A quel point les nouveaux programmes de lycée intègrent-ils, par exemple, les objectifs du développement durable 2030 dans l’éducation au développement durable ?
La météo et le climat sont désormais enseignés quelques heures au collège. Quel regard avez-vous sur ces enseignements ?
J’ai demandé à 3 élèves de 3ème s’ils avaient eu des cours sur le climat, et leur réponse a été négative (3 collèges différents d’Ile de France).
Les programmes mentionnent une initiation aux zones climatiques, à la circulation atmosphérique et océanique, donc à la climatologie telle que je l’avais apprise il y a 35 ans. N’est-ce pas surprenant qu’il n’y ait pas d’enseignement en lien avec le progrès des sciences de ces derniers 35 ans, qui nous montrent la réalité du changement climatique et ses conséquences déjà visibles, du fait de nos rejets de gaz à effet de serre, qui continuent à augmenter, année après année dans le monde ?
Quels conseils donneriez-vous aux enseignants pour mieux s’informer et se former ?
Je suis très admirative du travail fait en particulier par les enseignants de SVT pour se former en permanence et réactualiser leurs connaissances à mesure des progrès scientifique.
Je pense que les rapports d’évaluation internationaux comme ceux de l’IPBES pour la biodiversité et le GIEC pour le climat peuvent être des portes d’entrée vers les connaissances récentes. Le rapport sur 1,5°C est en ligne en anglais et certains aspects (glossaire, résumé pour décideurs, FAQs seront traduits dans les autres langues de l’ONU dont le français d’ici au mois de février).
Toutes les opportunités de contact direct entre le monde de la recherche académique et le monde de l’éducation et l’enseignement sont appréciées de manière réciproque. Il est possible de mettre en place des formations et de construire des outils à vocation pédagogique, qui s’inscrivent dans les connaissances les plus récentes, en partenariat avec les sociétés savantes et les réseaux ou fédération de recherche. Je pense par exemple à l’Institut Pierre Simon Laplace, ou bien l’European Geoscience Union, qui organise chaque année des sessions sur l’éducation aux géosciences. Les enseignants sont aussi les bienvenus lors des fêtes de la science et des portes ouvertes des laboratoires. Beaucoup de projets de recherche cherchent à développer un volet autour de l’éducation et au partage des connaissances, voire des projets de sciences participatives.
De nombreuses institutions de recherche, comme le CNRS, publient régulièrement des actualités scientifiques qui permettent de se tenir au courant des développements les plus récents.
L’Office for Climate Education, récemment mis en place par la Main à la Pâte, propose des formations aux enseignants et des ressources pédagogiques validées par la communauté scientifique.
Enfin, les approches de pédagogie active, comme les activités d’éco-délégués, sont aussi d’excellentes occasions de mettre tout le monde en situation d’acteurs, dans le cadre des établissements scolaires, pour des projets concrets, souvent remarquables.
Je termine en partageant mon aspiration : que les lieux de l’éducation (écoles, collèges et lycées) soient des lieux d’expérimentation de transitions, allant vers le zéro plastique à usage unique, vers le zéro déchet non recyclable, vers le recyclage maximum de tous les déchets, vers une alimentation saine et respectueuse de l’environnement, vers l’autosuffisance énergétique, et vers zéro émissions de gaz à effet de serre tant pour les transports scolaires que pour la construction et le fonctionnement des bâtiments. En faire des lieux de vie exemplaires permettant de se projeter dans des transitions réussites qui améliorent le bien être de tous.
Entretien par Julien Cabioch
Ressources évoquées dans l’article :
Exemple de programme d’éducation
Déclaration du partenariat interacadémique sur l’éducation et le changement climatique
Rapport d’évaluation international sur 1.5°C
LaMap lance un programme d’éducation au changement climatique
Dans le Café
SVT : Comment enseigner le climat ?
60 profs à l’université d’été Mer-Education sur le réchauffement climatique
COP 21 : Quelles ressources pour l’événement ?
Des pistes pour enseigner le climat au collège avec Alain Mazaud
Pétition : Davantage de climat dans les programmes
« Les nouveaux programmes du lycée pour les cinq prochaines années ne laissent pas assez de place pour la transmission des bases scientifiques essentielles à la compréhension des problèmes majeurs que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, leurs causes, et les solutions permettant d’agir pour les enrayer », déplore l’appel lancé par une centaine de scientifique. L’appel lancé au ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer rappelle que « seule une petite fraction d’élèves choisissant l’enseignement de spécialité SVT en terminale auraient le droit à une formation plus complète et consistante sur ces enjeux majeurs. »
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/12/18122018Article636807098698321687.aspx
Valérie Masson-Delmotte : Des heures pour les sciences du climat
Le changement climatique est-il le grand absent des nouveaux programmes de lycée ? Pour Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, cette absence pose problème. « L’enjeu est de permettre aux élèves d’avoir une image d’ensemble de ce qu’est le réchauffement climatique, ses causes, ses conséquences et des options possibles ». Membre du GIEC, elle déplore « un manque flagrant de mise en œuvre des objectifs de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Climat et de l’Accord de Paris » mais aussi un manque de coordination et d’évaluation des connaissances essentielles dispensées au collège et au lycée. Valérie Masson-Delmotte appelle à faire des établissements scolaires des lieux de vie exemplaires pour les élèves de la « génération anthropocène ». « Un volume de 10 heures de cours par an, sur toute la scolarité de collège et de lycée, au travers des différentes disciplines, serait pertinent ».
Quelles sont les méthodes et connaissances scientifiques les plus récentes sur le climat et la biodiversité qui manquent aux projets de programme de 2nde et 1ère ?
Je souligne tout d’abord à quel point ces deux enjeux sont majeurs, et associés à un foisonnement de connaissances scientifiques nouvelles au cours des dernières décennies. Ce sont aussi deux enjeux d’un développement soutenable pour nos sociétés, avec une urgence à agir sur leurs causes.
Je vais mettre l’accent sur la partie changement climatique. Elle est quasi absente des nouveaux programmes de seconde et de première. Par exemple, quel enseignement du lien entre émissions de gaz à effet de serre, déséquilibre du bilan radiatif de la Terre, et modification du bilan d’énergie de la Terre ? Quel enseignement sur les causes du réchauffement climatique (principaux gaz à effet de serre et ordres de grandeur), et leurs liens avec les activités humaines (au niveau mondial, au niveau français, au niveau individuel) ? Quel enseignement des faits scientifiques permettant de comprendre les relations entre activités humaines et réchauffement, montée du niveau des mers, et intensification de phénomènes comme les vagues de chaleur, ou l’intensité des pluies torrentielles ? Quel enseignement permettant de situer le changement climatique en cours par rapport aux variations naturelles du climat ? Quel enseignement permettant de comprendre l’Accord de Paris sur le climat et ce que représente 1°C de réchauffement (aujourd’hui), 1,5°C, 2°C ou davantage ? Quel enseignement sur les risques climatiques, en croisant les aléas aux vulnérabilités et expositions, et sur les enjeux de l’adaptation ? Quel enseignement sur le défi de l’atténuation, à savoir aller vers le net zéro émission de CO2 mondiales à horizon 2050 pour avoir une chance de stabiliser le réchauffement à 1,5°C au-dessus du niveau préindustriel, à horizon 2070 pour 2°C ? Quel enseignement sur les outils pour explorer les évolutions climatiques futures ? Sur les risques de perte d’habitats et de biodiversité en fonction du rythme et de l’intensité du réchauffement ? Sur les limites d’adaptation pour les sociétés humaines les plus fragiles ? Sur les enjeux croisés pauvreté, inégalités, changement climatique, et effondrement de la biodiversité ? Sur les émissions de gaz à effet de serre dans le monde ?
L’enjeu est vraiment de permettre aux élèves d’avoir une image d’ensemble de ce qu’est le réchauffement climatique, ses causes, ses conséquences, et des options pour y faire face par la gestion de risque (l’adaptation), et par les grandes transitions de systèmes nécessaires (systèmes énergétiques, gestion des terres et systèmes agro-alimentaires, systèmes urbains, systèmes industriels), ainsi que les faire réfléchir également à la responsabilité individuelle (modes de consommation responsables, développement au sens de l’amélioration du bien-être de tous).
Cette image d’ensemble est nécessaire pour donner sens à l’actualité et pour exercer pleinement sa citoyenneté, en comprenant le raisonnement scientifique et en s’appropriant des données essentielles.
En 2014, vous demandiez déjà « un enseignement cohérent des sciences du climat au lycée avec une approche transverse ». Combien d’heures sont nécessaires sur une scolarité pour comprendre le dérèglement climatique ? En quoi est-ce important de former tous les lycéens à ces notions ?
Je pensais que l’enseignement au développement durable allait être renforcé au cours du temps, et s’appuierait sur les connaissances scientifiques récentes.
Visiblement, il n’y a eu aucune coordination ni aucune évaluation des connaissances essentielles pour un élève au début du 21ème siècle, depuis le collège jusqu’au lycée, sur ces questions, dans les nouveaux programmes.
Je pense qu’il faudrait construire un enseignement du collège jusqu’au lycée (pas tout sur une seule année) et en particulier dans les années d’examen, la compréhension des grands enjeux environnementaux me semblant être des compétences essentielles pour de jeunes citoyens.
L’idée est vraiment d’améliorer ce que les anglo-saxons appellent la « climate literacy », c’est à dire la capacité de tous à comprendre comment le climat fonctionne, pourquoi il change, comment il change, et comment il va changer, de sorte à permettre à tous de s’approprier ces enjeux et mettre les jeunes en situation d’acteurs pour construire une culture de l’adaptation et de la résilience et également pour leur donner des clés pour être porteurs de solutions pour l’atténuation, que ce soit dans les parcours professionnels, technologiques, comme dans les parcours généraux. Tous les jeunes du monde entier qui se penchent sur le changement climatique réclament d’avoir davantage de clés pour comprendre et agir dans leurs programmes d’éducation plutôt qu’avoir à se former par eux-mêmes.
Je pense qu’un volume de l’ordre de 10 heures de cours par an, sur toute la scolarité de collège et de lycée, au travers des différentes disciplines, serait pertinent. Cet enseignement relève au moins de la physique-chimie, des sciences de la vie et de la Terre, de l’histoire –géographie, de l’éducation civique, de la philosophie (« penser l’Anthropocène »), et peut fournir des exemples d’applications pour l’enseignement en mathématiques, en langues ou en français, et en informatique.
Aujourd’hui, des élèves de Terminale (anciens programmes) n’ont eu qu’une approche de l’effet de serre en physique en 4ème. Combien d’heures sont prévues sur le changement climatique dans les nouveaux programmes ? Quelqu’un a-t-il pensé à cet enseignement dans leur mise en œuvre ?
Avez-vous personnellement participé à la conception des programmes ? Vos collègues ont-ils été contactés ?
Non, je n’ai pas été contactée, ni aucun de mes collègues en sciences du climat (souvent physiciens), à notre grande préoccupation.
C’est aussi un manque flagrant de mise en œuvre des objectifs de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Climat et de l’Accord de Paris, qui mentionnent le renforcement de l’éducation dans leurs priorités.
Cela est aussi en contradiction avec la déclaration du partenariat interacadémique sur l’éducation et le changement climatique.
En quoi les lycéens d’aujourd’hui incarnent-ils la « génération anthropocène » ?
Ils ont grandi, depuis leur enfance, dans un monde où l’on connaît les causes du réchauffement climatique et de la destruction de la biodiversité, et intégré ces enjeux à leur vision du monde. Regardez les numéros du « Petit Quotidien » utilisés il y a une dizaine d’années à l’école maternelle ou en début de primaire : ces questions y sont largement abordées. Les adultes d’aujourd’hui illustrent souvent la dissonance cognitive : d’un côté, on sait ; de l’autre, on ne change rien à notre mode de vie. Ce n’est pas tenable pour cette nouvelle génération.
Les principes du code de l’éducation sont mis en avant dans l’appel, pourquoi ?
Je suis très attachée à la réflexion sur les principes qui conduisent à mettre en œuvre une politique publique. De ce fait, j’ai lu avec attention le code de l’éducation, qui mentionne explicitement l’éducation à l’environnement et au développement durable, et la charte des programmes, qui mentionne, pour les élèves, que ces programmes se caractérisent par leur « contribution à une culture commune, leur exigence de cohérence, leur objectif de structuration de la personne, la clarté de leur statut, leur fonction de transmission critique des héritages, leur ouverture, et par le fait qu’ils relèvent d’une éthique de responsabilité par rapport à chaque élève comme par rapport à la collectivité aussi bien qu’à l’humanité et à l’environnement. »
A quel point les nouveaux programmes de lycée intègrent-ils, par exemple, les objectifs du développement durable 2030 dans l’éducation au développement durable ?
La météo et le climat sont désormais enseignés quelques heures au collège. Quel regard avez-vous sur ces enseignements ?
J’ai demandé à 3 élèves de 3ème s’ils avaient eu des cours sur le climat, et leur réponse a été négative (3 collèges différents d’Ile de France).
Les programmes mentionnent une initiation aux zones climatiques, à la circulation atmosphérique et océanique, donc à la climatologie telle que je l’avais apprise il y a 35 ans. N’est-ce pas surprenant qu’il n’y ait pas d’enseignement en lien avec le progrès des sciences de ces derniers 35 ans, qui nous montrent la réalité du changement climatique et ses conséquences déjà visibles, du fait de nos rejets de gaz à effet de serre, qui continuent à augmenter, année après année dans le monde ?
Quels conseils donneriez-vous aux enseignants pour mieux s’informer et se former ?
Je suis très admirative du travail fait en particulier par les enseignants de SVT pour se former en permanence et réactualiser leurs connaissances à mesure des progrès scientifique.
Je pense que les rapports d’évaluation internationaux comme ceux de l’IPBES pour la biodiversité et le GIEC pour le climat peuvent être des portes d’entrée vers les connaissances récentes. Le rapport sur 1,5°C est en ligne en anglais et certains aspects (glossaire, résumé pour décideurs, FAQs seront traduits dans les autres langues de l’ONU dont le français d’ici au mois de février).
Toutes les opportunités de contact direct entre le monde de la recherche académique et le monde de l’éducation et l’enseignement sont appréciées de manière réciproque. Il est possible de mettre en place des formations et de construire des outils à vocation pédagogique, qui s’inscrivent dans les connaissances les plus récentes, en partenariat avec les sociétés savantes et les réseaux ou fédération de recherche. Je pense par exemple à l’Institut Pierre Simon Laplace, ou bien l’European Geoscience Union, qui organise chaque année des sessions sur l’éducation aux géosciences. Les enseignants sont aussi les bienvenus lors des fêtes de la science et des portes ouvertes des laboratoires. Beaucoup de projets de recherche cherchent à développer un volet autour de l’éducation et au partage des connaissances, voire des projets de sciences participatives.
De nombreuses institutions de recherche, comme le CNRS, publient régulièrement des actualités scientifiques qui permettent de se tenir au courant des développements les plus récents.
L’Office for Climate Education, récemment mis en place par la Main à la Pâte, propose des formations aux enseignants et des ressources pédagogiques validées par la communauté scientifique.
Enfin, les approches de pédagogie active, comme les activités d’éco-délégués, sont aussi d’excellentes occasions de mettre tout le monde en situation d’acteurs, dans le cadre des établissements scolaires, pour des projets concrets, souvent remarquables.
Je termine en partageant mon aspiration : que les lieux de l’éducation (écoles, collèges et lycées) soient des lieux d’expérimentation de transitions, allant vers le zéro plastique à usage unique, vers le zéro déchet non recyclable, vers le recyclage maximum de tous les déchets, vers une alimentation saine et respectueuse de l’environnement, vers l’autosuffisance énergétique, et vers zéro émissions de gaz à effet de serre tant pour les transports scolaires que pour la construction et le fonctionnement des bâtiments. En faire des lieux de vie exemplaires permettant de se projeter dans des transitions réussites qui améliorent le bien être de tous.
Entretien par Julien Cabioch
Ressources évoquées dans l’article :
Exemple de programme d’éducation
Déclaration du partenariat interacadémique sur l’éducation et le changement climatique
Rapport d’évaluation international sur 1.5°C
LaMap lance un programme d’éducation au changement climatique
Dans le Café
SVT : Comment enseigner le climat ?
60 profs à l’université d’été Mer-Education sur le réchauffement climatique
COP 21 : Quelles ressources pour l’événement ?
Des pistes pour enseigner le climat au collège avec Alain Mazaud
Pétition : Davantage de climat dans les programmes
« Les nouveaux programmes du lycée pour les cinq prochaines années ne laissent pas assez de place pour la transmission des bases scientifiques essentielles à la compréhension des problèmes majeurs que sont le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, leurs causes, et les solutions permettant d’agir pour les enrayer », déplore l’appel lancé par une centaine de scientifique. L’appel lancé au ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer rappelle que « seule une petite fraction d’élèves choisissant l’enseignement de spécialité SVT en terminale auraient le droit à une formation plus complète et consistante sur ces enjeux majeurs. »
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/12/18122018Article636807098698321687.aspx