Six ans après un premier numéro consacré au continuum lycée – enseignement supérieur, la revue « Administration & éducation de l’AFAE (une association qui réunit de hauts cadres de l’éducation nationale) revient sur un sujet que la réforme des lycées et Parcousup inscrivent dans l’actualité. Coordonné par Françoise Martin Van der Haegen, ce numéro prend de la hauteur. On retiendra trois éclairages : une histoire des frontières entre lycée et enseignement supérieur proposée par Alain Boissinot, une réflexion sur l’échec en licence introduite par Bernard Dizambourg et un regard étranger sur les parcours d’étudiants, rédigé par Nicolas Charles et Romain Delès. Tous trois relativisent ou au moins éclairent les changements impulsés récemment et laissent prévoir des évolutions ultérieures.
Secondarisation du supérieur ou domination du supérieur sur le secondaire ?
» La frontière entre secondaire et supérieur est restée longtemps floue, alors même que rares étaient ceux qui poursuivaient des études par-delà les apprentissages élémentaires », rappelle Alain Boissinot. Mais très tôt « la tendance française est plutôt d’avoir un secondaire dominant le supérieur ». A titre d’exemple, il cite le système si français des grandes écoles. « Les grandes écoles entretiennent un lien privilégié avec le secondaire par l’intermédiaire des classes préparatoires : se constitue ainsi une logique de « secondaire supérieur » qui fait qu’un nombre important d’étudiants se retrouve dans des structures parallèles à l’université. À la rentrée 2016, 42 700 étudiants sont entrés en CPGE pour 335 900 à l’université ». A ceux-ci il faudrait aussi ajouter les 257 000 étudiants des STS.
Pour lui, la massification de l’éducation, avec la monté d’une génération presque complète au lycée, a imposé une nouvelle structuration du système éducatif : « se dessine logiquement une configuration qui correspond plus à la réalité sociale et scolaire que l’ancienne tripartition primaire/secondaire/supérieur : un premier niveau du système éducatif, correspondant à la scolarité obligatoire, rassemble école primaire et collège autour de l’objectif du socle commun. Ensuite les lycées et le premier cycle du supérieur dessinent un nouvel ensemble (dont il reste à faire un continuum) qui va de bac – 3 à bac + 3. Enfin les préparations au master et au doctorat correspondent à ce temps du supérieur où enseignement et recherche se fécondent mutuellement ».
Pour A Boissinot on assiste à une nouvelle inversion du rapport de forces dans le système éducatif. « De la même façon que la massification du secondaire a, au XXe siècle, inversé un rapport de force et d’influence qui était historiquement favorable au primaire (les instituteurs étant de loin les plus nombreux), aujourd’hui l’élargissement de l’accès au supérieur fait de celui-ci un secteur prioritaire… L’affirmation d’un segment bac – 3/bac + 3 pourrait tendre à secondariser le supérieur, selon une tendance dont nous avons vu qu’elle est fortement inscrite dans la tradition française. En fait, la dynamique dont bénéficie actuellement le supérieur incite plutôt, et c’est heureux, à repenser le niveau lycée comme préparation au supérieur. Cette problématique est au coeur des réformes actuelles ».
C’est cette évolution qui frappe maintenant le lycée passé, avec Parcoursup et la réforme Blanquer sous la coupe du supérieur. Si on peut considérer , comme A Boissinot, que c’est une évolution heureuse car elle facilite le passage du lycée au supérieur, il faut quand même en voir le prix. Cette transformation du lycée risque fort de se faire aux dépens des bacheliers professionnels mais aussi des lycéens généraux et technologiques des milieux populaires. Pour faciliter l’accès au supérieur on aurait pu transformer le supérieur. En faisant le choix inverse on a choisi de privilégier la jeunesse des classes moyennes et supérieures.
Des résistances universitaires à la massification
Cette transformation a été imposée au nom de la réussite en licence. Or l’article de Bernard Dizambourg montre que celle ci dépend aussi de critères dont on parle peu.
« Nous préférons nous interroger sur la question de fond suivante : comment les universités peuvent-elles s’organiser pour favoriser la réussite des étudiants en licence dans un contexte d’une nouvelle vague démographique, d’une très forte diversité des publics entrants et avec une réforme du bac qui accorde une importance accrue à l’individualisation des parcours lycéens ? Cette question est d’autant plus essentielle que Parcoursup donne aux établissements une maîtrise un peu plus forte sur les flux entrants ; dans la plupart des cas, ce nouveau contexte demande à l’université d’être plus proactive sur la préconisation du parcours proposé », écrit B Dizambourg.
Il relève que « les établissements ont fréquemment mis en place des dispositifs de repérage des étudiants les plus fragiles mais le suivi de ces dispositifs est resté de la responsabilité des étudiants et on a pu remarquer que ce ne sont pas les étudiants les plus en difficulté qui en ont le plus bénéficié ».
Avec la réforme les universités disposent avec le « oui-si » d’une obligation d’adapter des cursus à la progression de l’étudiant. Mais ceci va contre la culture universitaire, explique A Dizambourg. « Il n’existe pas au sein des universités des contrepoids suffisants aux organisations disciplinaires (UFR, départements) pour les engager dans des processus plus coopératifs dans la définition des formations : la Commission formation des établissements a en effet une capacité d’orientation et de régulation beaucoup plus faible que la Commission recherche ; le vice-président à la formation dispose de moins de leviers que son homologue de la recherche et la politique pédagogique est beaucoup plus la juxtaposition de politiques de composantes qu’une politique privilégiant une entrée intégrant la diversité des publics », écrit B Dizambourg. « Le ministère a prévu une fonction de directeurs d’études et a dégagé une première enveloppe de postes. La façon dont les établissements dessinent ce nouveau profil est très variable ».
Il relève aussi une opposition entre la volonté d’accueillir les étudiants et les orientations des établissements. « La croissance des effectifs étudiants se fait de façon assez concentrée sur des disciplines telles que le juridico-économique, les Sciences des activités physiques et sportives ou encore la psychologie et qu’il n’est pas acquis que l’État ni même les établissements universitaires souhaitent privilégier ces disciplines dans l’accroissement des moyens de recherche ».
Aussi pour B Dizambourg, la réussite du plan licence suppose une intervention plus forte de l’Etat. « Il conviendrait que les mécanismes de financement de l’État permettent d’appuyer ces transformations dans la durée, en ne répondant pas à la seule logique de traitement des situations d’urgence et en favorisant le desserrement des contraintes relatives à la définition des activités des personnels ».
Le refus de la démocratisation, une spécialité française ?
Nicolas Charles et Romain Delès présentent une vision comparatiste des étudiants en France et chez nos voisins. CE qui en ressort c’est que la France et son université sont peu adaptés à la massification des études supérieures. Ainsi, alors que le pourcentage d’étudiants dépendant financièrement de leurs parents atteint 48% en France , elle concerne seulement un étudiant sur 10 dans les pays nordiques et un sur quatre aux Pays Bas. En cause le système d’aide publique. « Dans ces pays, les jeunes déclarent au contraire un recours massif à l’aide publique ».
Cela se lit aussi dans le parcours des étudiants : la FRance est le pays où ils sont le splus linéaires (2% seulement de transitions retardées contre 25 à 30% dans les pays nordiques) et par suite le pays où l’age moyen des étudiants est le plus jeune (22.8 ans en France 27 à 29 ans dans les pays nordiques, 25 en Allemagne). Notre système d’études s’adapte mal aux étudiants salariés et la FRance avec l’Italie en comptent deux fois moins que les autres pays européens.
N Charles et R Delès en concluent que « on continue d’observer le poids des héritages dans chaque pays. » On peut aussi s’interroger sur les raisons de ces choix. Et du coup retrouver une logique dans les 3 articles. Le choix français c’est celui ne pas adapter l’université aux jeunes des milieux favorisés et de refuser, maintenant avec beaucoup d’arrogance, la massification.
François Jarraud
Administration & éducation, Bac -3 / Bac +3, de nouveaux enjeux de formation pour les élèves et les enseignants, AFAE, n°160.