« C’est un premier grand jour car ce sont les premiers résultats sur une politique phare du ministère ». Pour donner les premiers résultats des évaluations sur les CP dédoublés, tout le ministère s’est déplacé le 23 janvier. JM Blanquer est intervenu dans le JT de TF1. Son directeur de cabinet, le directeur de la Dgesco et la directrice de la Depp ont communiqué les résultats à la presse. Selon le ministère 2000 élèves en français et 3000 en maths auraient nettement amélioré leurs résultats. L’étude de la Depp montre donc une amélioration sensible des résultats en français et en maths mais moitié moins forte que ce qu’on pouvait attendre.
Une évaluation portant sur 15 000 élèves
« Depuis 20 mois on s’est donné les moyens de corriger cette inégalité à la racine ». Christophe Kerrero, directeur de cabinet de JM Blanquer, s’est déplacé pour présenter le 23 janvier les premiers résultats des élèves de CP des classes dédoublées. Il rappelle « les moyens exceptionnels » que le gouvernement a débloqué pour ces dédoublements qui sont devenus la vitrine sociale ‘E. Macron. Et « ce qu’on retient c’est que les résultats sont positifs et même très positifs ».
Les résultats portent sur l’année 2017-2018, explique Fabienne Rosenwald, directrice de la Depp, la division des études du ministère. L’évaluation porte sur un échantillon de 15 000 enfants de CP, appartenant à des classes de Rep+ dédoublées ou , pour constituer un groupe témoin, à des élèves « au profil social proche » mais qui n’ont pas bénéficié du dédoublement. A la rentrée 2017 seulement 2200 classes de Cp ont été dédoublées en Rep+, soit 60 000 élèves. Ces élèves ont été testés sur tablettes et non dans le cadre des évaluations nationales.
Une baisse des élèves en grande difficulté
Les résultats montrent une baisse sensible de la proportion d’élèves en très grande difficulté dans les classes de rep+. « Le dispositif permet une baisse de cette proportion d’élèves de 7.8% pour le français et de 12.5M en maths », déclare le ministère. Autrement dit, sur 60 000 élèves de Rep+, 24 000 auraient du être en grande difficulté. Avec le dispositif il y a 2000 élèves de moins en très grande difficulté en français et 3000 en maths. Il en reste quand même 22 000 et 21 000 en grand difficulté.
L’effet du guide orange ?
Pour Jean Marc Huart, directeur de la Dgesco, cela tient pour beaucoup aux « recommandations » de JM Blanquer et au guide orange, des instructions publiées bien tard : en avril 2018. JM Huart rappelle aussi les réunions de cadres et notamment d’inspecteurs à l’ESEN , intervenues cette fois ci cet automne… C’est aussi seulement cette année que les 18h de formation ont été dédiées aux maths et au français (9h chaque).
D’après l’étude de la Depp, les professeurs des CP dédoublés en REP+ « décrivent des classes mieux disposées aux apprentissages scolaires : les élèves y sont plus attentifs, plus concentrés, plus efficaces dans leur travail, plus motivés et ils présentent moins de difficultés de comportement, de lecture et d’apprentissage… Les professeurs se distinguent par des pratiques pédagogiques plus actives et davantage orientées vers la différenciation, comparativement aux professeurs du groupe témoin. En termes d’enseignement du français, les professeurs des classes de CP dédoublées en REP+ recourent plus fréquemment à des pratiques individualisées et à l’enseignement systématique du code alphabétique ».
F Rosenwald souligne que l’étude continue sur 3 années ,avec aussi un échantillon de près de 6000 professeurs suivis. « Il faudra des analyses complémentaires pour voir quels types d’élèves ne ont profité le plus », dit-elle. « Il faudra voir aussi si les résultats sont durables ».
Quand le ministre se convertit à la réduction des classes…
Comment expliquer ces résultats ? Réduire les effectifs élèves n’a pas toujours été bien vu par le ministère. Longtemps la doxa ministérielle était de nier l’utilité de la réduction de la taille des classes (RTC). En 2001, une étude de Denis Meuret sur une RTC en classe de CP concluait en insistant sur les limites de la réduction de la taille des classes. « Les recherches ne justifient donc certainement pas une réduction de la taille des classes (RTC)… C’est le résultat le plus clair des études menées en France ». Le propos étaient ensuite plus nuancés : « Elles ne justifient pas non plus une attitude fondée sur l’idée que la RTC est forcément la politique la moins efficiente qui soit. Elles peuvent effectivement, semble-t-il, servir d’argument à une politique visant les populations défavorisées pendant les premières années du primaire, pourvu que la baisse soit importante, que des mesures de formation adéquates soient prises ».
En 2006, T Piketty et M Valdenaire mettent les pieds dans le plat en publiant une étude qui prouve l’intérêt de réduire les effectifs en éducation prioritaire et qui explique que cela peut se faire à moyens constants. La grande force de leur travail c’est de s’appuyer sur une méthode incontestable. Elle utilise les effets de seuil qui font que de façon aléatoire certaines classes sont éclatées en deux groupes classes et se retrouvent à petits effectifs. Pour M Valdenaire « la diminution de 5 élèves des tailles de classes de ZEP conduirait à une réduction des inégalités de 37% au primaire, 13% au collège et seulement 4% au lycée ». Si l’impact est faible au lycée et même au collège, il est majeur à l’école.
Aujourd’hui cette étude pionnière n’est pas citée par le ministère qui cite par contre les travaux de Gurgand. C’est que quand Piketty et Valdenaire ont sorti leur étude dans une revue ministérielle en 2006 elle a immédiatement été censurée par le ministre de l’époque G de Robien dont JM Blanquer dirigeait le cabinet…
Depuis d’autres études ont renforcé la thèse des partisans de la RTC. En 2013, P Fredriksson, B Ockert et H Oosterbeek publient une étude sur le devenir des jeunes suédois entrés à l’école entre 1967 et 1982. « Réduire la taille des classes est bénéfique dans les tests cognitifs et non cognitifs à l’âge de 13 ans et 16 ans », écrivent-ils… « Plus important, nous trouvons que des classes plus petites augmentent la durée de l’éducation, les salaires et les revenus à 27 ans et 42 ans ». Autrement dit l’effet est durable, il est permanent. Pour les auteurs, « réduire d’un élève par classe dans les 3 dernières années du primaire (de 10 à 13 ans) augmente la durée de l’éducation de 20 jours ». Cela augmente donc la probabilité d’accéder à l’enseignement supérieur. La même réduction se traduit par une hausse de 1,2% du revenu.
Beaucoup plus récemment, après l’arrivée au pouvoir d’E Macron qui met le dédoublement dans son programme, une étude de A Bouguen, J Grenet et M Gurgand, publiée à la rentrée 2017, conclue à l’efficacité des dédoublements de CP. » Le dédoublement de la taille des classes (de 24 à 12 élèves par classe) conduirait, d’après les études recensées dans cette note, à une amélioration des performances scolaires comprise entre 20 % et 30 % d’un écart-type », expliquent les auteurs. Un tel effet est important : dans une classe de 24 élèves, il correspond pour l’élève médian à une progression de 2 à 3 rangs et il est d’un ordre de grandeur comparable à la moitié de l’écart de performance moyen que l’on observe à l’entrée en CP entre les enfants de PCS favorisées (cadres, professions intellectuelles supérieures) et les enfants de PCS défavorisées (ouvriers, personnes sans activité professionnelle). »
Des résultats en dessous de l’attendu
L’étude de la Depp publiée le 23 janvier évoque des écarts types de 8% en français et 13% en maths. On est donc sur des scores très moyens par rapport à ce qui état attendu. Pour le ministère la faite e revient aux enseignants qui n’ont pas assez modifié leurs pratiques…
Le ministère profite aussi de cette publication pour vanter pour la première fois officiellement les mérites de l’association Agir pour l’école, une association proche de l’Institut Montaigne et de JM Banquer. Il se garde pourtant de donner des chiffres ! » Un article sur les données de la cohorte 2015-2016 de CP estime l’impact du programme à 20% d’écart type pour la fluence et 30% d’écart type pour la compréhension écrite; il est en cours de publication », précise le dossier de presse. Autrement dit il ne concernerait pas les CP dédoublés et il n’y a toujours aucune évaluation scientifique à l'(appui de ce soutien . Aujourd’hui 2700 élèves de CP Rep+ subissent le protocole d’Agir pour l’école.
Les progrès réalisés dans les classes dédoublés sont bien réels et il faut en créditer le ministre même si ces dédoublements ont été réalisés en prélevant des moyens ailleurs, sans que cela coute un poste supplémentaire. On peut quand même s’interroger sur la modestie des résultats par rapport à al communication officielle. D’autres outils (les maitres + ?), d’autres démarches pédagogiques que l’accent mis sur le déchiffrage auraient peut -être permis d’avoir de meilleurs résultats. Pour les 100% de réussite promis aux familles il reste du chemin…
François Jarraud