Après 18 mois de politique assumée de restriction budgétaire, le gouvernement vient d’effectuer une surprenante volte-face dans sa communication. » Le Gouvernement travaille depuis 18 mois pour améliorer le pouvoir d’achat et les conditions de travail des enseignants », affirme un communiqué gouvernemental du 10 janvier adressé de surcroit aux stylos rouges. Comme il y a peu de chance que les enseignants soient collectivement frappés d’amnésie, cette réponse aux stylos rouges vise le grand public pour qu’il ne soutienne pas le mouvement enseignant. Mais à affirmer des contre vérités on prend le risque d’un rappel des réalités…
Le gouvernement travaille à améliorer le pouvoir d’achat des professeurs
» Les problèmes pointés par les « stylos rouges », en matière de pouvoir d’achat et de conditions de travail des enseignants, sont bien identifiés par le Gouvernement », affirme le communiqué , citant JM Blanquer. » Ces préoccupations viennent de loin ; elles existent depuis des décennies, pas seulement depuis 18 mois. D’ailleurs, le Gouvernement n’a pas attendu les stylos rouges pour s’y attaquer. Cela fait 1 an et demi qu’il travaille à améliorer les conditions de travail et le pouvoir d’achat des enseignants. »
Et le communiqué cite « 700 M€ consacrés à l’avancement de carrière des personnels de l’Education nationale chaque année » ; « +1 Md€ sur le quinquennat pour financer le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) » et la prime pour les professeurs de REP+ ». Enfin les heures supplémentaires.
Des chiffres insincères
Tout cela est-il réel ? Notons d’abord que les chiffres indiqués ne correspondent pas à ceux du budget. Le glissement vieillesse technicité (GVT), c’est à dire la hausse automatique des salaires suite à l’avancement à l’ancieneté, est évalué à 379 millions et non 700 millions en 2019. L’application des accords PPCR est estimée à 264 millions en 2019. On atteindra bien un milliard sur le quinquennat. Mais on a l’impression que le gouvernement a ajouté le PPCR au GVT en 2019 pour arriver à 700 millions. Il le compterait donc deux fois ! La prime de Rep+ est créditée à hauteur de 57 millions pour 2019. Enfin, comme nous l’avons déjà signalé, la hausse des heures supplémentaires dans le second degré est chiffrée à 18 millions dans le budget et non 64 comme le ministère le dit. On peut conclure qu’iln’ya pas beaucoup de sincérité dans les chiffres données par le gouvernement.
Une succession de mesures pour réduire le salaire des enseignants depuis 2017
Il y a t-il de la sincérité sur le fond ? » Cela fait 1 an et demi que (le gouvernement) travaille à améliorer les conditions de travail et le pouvoir d’achat des enseignants », affirme le communiqué officiel.
C’est quand même oublier que le gouvernement n’a eu de cesse de réduire la dépense d’éducation, et notamment les salaires des enseignants, depuis l’alternance politique.
D’abord en rétablissant le gel de la valeur du point Fonction publique, la base sur laquelle se calculent les salaires. Gelé sous Sarkozy, le gouvernement Hollande l’a dégelé en 2016 permettant une hausse de 1.2% du point. Une des premières mesures du gouvernement d’E Macron a été de geler le point à nouveau à partir de 2018.
Le 16 octobre 2017 G. Darmanin annonçait également le gel des accords PPCR décidés par le gouvernement précédent, violant ainsi un engagement de l’Etat. Les 264 millions versés en 2019 auraient du être versés en 2018 et devraient déjà se trouver dans la poche des enseignants sans cette mesure gouvernementale. Cette soustraction effectuée sur les fonctionnaires n’avait pas plus été annoncée par le candidat Macron que le gel du point.
En octobre 2017, le gouvernement annonçait tout d’un coup la couleur. »L’évolution de la masse salariale de l’État et de ses opérateurs fera l’objet d’une maitrise stricte. En particulier le point d’indice est stabilisé en 2018 et un jour de carence est introduit pour réduire le micro-absentéisme. Par ailleurs, les effectifs de l’État et des opérateurs s’inscriront en baisse sur le quinquennat. Les créations d’emplois prévues dans les ministères stratégiques comme les armées, l’intérieur ou la justice seront ainsi compensées par des réductions d’effectifs plus importantes dans les autres domaines », disait le dossier ministériel.
La prime Rep+ promise par le candidat Macron a été elle aussi décalée. Finalement elle ne sera versée qu’à la rentrée 2018 de façon très partielle et on ne sait pas encore comment et quand elle sera versée en totalité. Il est probable que seule une minorité de professeurs « méritants » pourra toucher d’ici 2022 les 3000 euros promis en 2017.
Cette volonté de baisser le salaire enseignant s’est retrouvée dans d’autres mesures. D’abord avec le jour de carence installé par Sarkozy, annulé par Hollande et rétabli début 2018 par Macron. Pour l’Education nationale il rapporterait 40 millions à l’Etat. La dernière mesure annoncée, les deux heures supplémentaires obligatoires, devrait rapporter, selon la Cour des comptes, 235 millions d’euros. Notons également que cette mesure prise par le gouvernement aboutit à augmenter les inégalités entre les enseignants aux dépens des femmes en général , des professeurs du 1er degré et au bénéfice des enseignants déjà les mieux payés (CPGE, chaire supérieure).
Affirmer sans vergogne comme le fait le communiqué gouvernemental que » ces préoccupations viennent de loin ; elles existent depuis des décennies, pas seulement depuis 18 mois. D’ailleurs, le Gouvernement n’a pas attendu les stylos rouges pour s’y attaquer » c’est prendre le risque de se faire rappeler ces vérités.
Que sait-on des salaires enseignants ?
Il y a peu de chance que cette communication convainque les enseignants : un simple regard sur leur fiche de paye de janvier et son évolution balaye les arguments gouvernementaux. Ce qui a changé c’est que le gouvernement ne peut plus utiliser l’argument de la rigueur budgétaire alors qu’il trouve plus de 10 milliards en urgence et qu’il augmente les salaires des policiers.
Cette argumentation vise donc le grand public de façon à ce qu’il ne soutienne pas les mouvements des enseignants. Aussi faut il rappeler quelques réalités sur les salaires enseignants en France.
Les salaires des enseignants français sont nettement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Comme le montre Regards sur l’éducation 2018, en moyenne, dans l’OCDE le salaire annuel d’un professeur des écoles s’établit à 32 258 $ en début de carrière et 41 884 au bout de 15 ans de service contre 29 516 et 35963 en France. L’écart est donc significatif et défavorable. Il reste négatif au collège : 33 948 en début de carrière contre 31 003 et 46 780 au bout de 15 ans contre 37450. Au lycée l’écart perdure : 34 943 contre 31 003 en début de carrière et 48697 contre 37 450 au bout de 15 ans. En fait 19 pays sur 37 ont un salaire des enseignants plus élevé que celui versé en France. Ainsi pour un enseignant de collège en début de carrière, le salaire va de 79 551 $ au Luxembourg à 14 267 en république slovaque en passant par 63 555 en Allemagne, 39 707 aux Etats Unis et 30 739 en Italie.
Plus compliqué, l’OCDE calcule aussi le coût salarial moyen des enseignants. Celui ci varie selon le niveau des salaires mais aussi selon la durée de l’enseignement et bien sur la taille des classes. On a alors une image de la vraie considération d’une société pour ses enseignants.
Evidemment la France se trouve dans les pays de l’OCDE avec le coût salarial le plus faible. Ainsi un enseignant coute en moyenne par élève 2936 $ dans l’OCDE contre 1827 en France dans le premier degré. Au collège c’est 3604 et 2615 et au lycée 3723 contre 2999. Plusieurs facteurs expliquent cet écart. Non seulement les enseignants français sont moins bien payés mais le temps d’instruction est généralement plus long en France (comprenez : on les fait travailler davantage) et surtout les classes plus chargées.
En effet en France on compte davantage d’heures de cours : 8100 heures pour l’école obligatoire contre 7500 dans l’OCDE et même 7250 pour l’UE. C’est surtout à l’école élémentaire que l’écart est fort : 864 heures en France contre 793 dans l’OCDE.
Parlons de la taille des classes. Au primaire en France c’est 23 élèves en moyenne contre 21 dans l’OCDE et au collège 25 contre 23. Cette taille des classes a augmenté en France depuis 2005 ce qui n’est pas le cas de tous les pays…
Dernière particularité : depuis 2005 les salaires des enseignants ont augmenté dans les pays de l’OCDE en moyenne de 8% au primaire, 7% en collège et 5% en lycée. La France fait partie, avec la Grèce, l’Angleterre, l’Espagne, le Japon et le Danemark, des exceptions. Chez nous le salaire a diminué. Et ça continue.
François Jarraud
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