Dernière réforme du gouvernement précédent, déjà largement démantelée, la réforme du collège n’a pas laissé beaucoup de bons souvenirs. Mais peu d’études ont porté sur la façon dont les acteurs, des inspecteurs aux enseignants, en passant par les principaux, ont vécu son introduction. C’est l’avantage du livre dirigé par E Broussais et G Lefeuvre. Une vingtaine de chercheurs de l’UMR Education, formation, travail, savoirs ont observé précisément comment se fabrique l’appropriation d’une réforme allant du refus pur et simple à l’invention de nouvelles pratiques. Car toute appropriation est toujours transformation et adaptation à l’existant, notamment aux pratiques des cadres comme des enseignants. Contrairement à ce qu’on pense rue de Grenelle, réformer ce n’est jamais appliquer…
Comment a été mise en oeuvre la réforme du collège impulsée en 2015 ? Mais a-telle vraiment été mise en oeuvre ? L’ouvrage d’E Brossais et G Lefeuvre (L’appropriation de la prescription en éducation. Le cas de la réforme du collège, Octares éditions) ne répondra pa s à cette question. La vingtaine de chercheurs de l’UMR EFTS sont allés observer ce qui se passait dans les réunions de chefs d’établissement comme dans les réunions en établissement. Ils ont écouté les principaux et les enseignants pour voir comment les uns et les autres s’arrangeaient avec les prescriptions officielles.
Cela donne un ouvrage très concret qui décrit les pratiques sans chercher à savoir si elles sont « bonnes » ou pas. Mais, comme le remarque C Lessard dans la préface, cela donne un ouvrage fort ambitieux car il amène une réelle réflexion sur ce qu’est l’appropriation en éducation.
Ainsi une première partie situe la réforme de 2015 dans les débats éducatif et l’histoire du collège unique. Une seconde partie s’intéresse au travail des chefs d’établissement. On suit l’observation de leur activité et on voit comment les principaux tricotent leur mise en place de la réforme. Aucun n’imagine de refuser d’appliquer. Mais tous élaborent leur mode d’application parfois en lien avec les enseignants de l’établissement, parfois plutôt en lien avec d’autres principaux. L’ouvrage montre aussi le travail qui ets fait avec les parents d’élèves, ce qui est rare.
La troisième partie montre comment les enseignants s’approprient les dispositifs de la réforme comme l’accompagnement personnalisé (AP) ou les EPI. En fait on voit que les acteurs adaptent, transforment les dispositifs à leur contexte personnel en fonction de leurs convictions, des contraintes locales, des possibles, de l’histoire de l’établissement.
Beaucoup a déjà été écrit sur la « résistance » des enseignants français aux réformes. Cette vision dominante a le vent en poupe et a même trouvé son icone, le mammouth. L’ouvrage ne se situe pas du tout dans cette ligne de pensée. Comme l’a bien montré A Barrère, il n’y a pas de résistance enseignante.
L’ouvrage se situe plutôt dans suite des réflexions d’Anthony S. Bryk. Celui-ci invite à accorder plus d’attention aux tâches que les enseignants accomplissent et aux environnements organisationnels qui façonnent la manière dont ce travail est mené pour réformer. « Plutôt que de laisser croire que la voie vers l’amélioration des résultats consiste à ajouter continuellement de nouveaux programmes (de fait « plus de pièces »), cette perspective nous encourage à nous concentrer d’abord sur l’amélioration de notre compréhension des systèmes de travail qui créent des résultats insatisfaisants. Car c’est dans cette capacité à voir le système que les progrès significatifs peuvent s’établir ».
En ce sens l’ouvrage contribue à la mise en doute du courant de l’Evidence Based qui croit détenir des solutions et pense qu’il suffit de les appliquer. Il démontre exemple à l’appui que l’application n’existe pas. Toute réforme construit de nouvelles situations qui résultent des pratiques antérieures beaucoup plus que des instructions.
Pour prétendre réformer il faut savoir regarder davantage derrière (l’existant) plutot que devant. Sinon on se retrouve vite hors de la route. Cet ouvrage en apporte une démonstration modeste mais éclairante.
F Jarraud
E Brossais et G Lefeuvre, L’appropriation de la prescription en éducation. Le cas de la réforme du collège, Octares éditions, ISBN 978-2-36630-084-0
Anne Barrère sur le malaise enseignant
Emmanuelle Brossais : Réformer c’est s’appuyer sur les pratiques des acteurs
Co directrice de l’ouvrage « L’appropriation de la prescription en éducation », Emmanuelle Brossais enseigne à l’ESPE de Toulouse. Elle revient sur l’appropriation de la réforme du collège.
Pour certains l’application d’une réforme par les enseignants peut aller de soi. Est-ce vraiment le cas ?
Le mot même d’application a une tonalité très descendante qui ne correspond pas à la réalité du terrain qui peut aller jusqu’au refus. Ce qu’on a constaté c’est par exemple des professeurs qui disaient « j’ai signé comme professeur de SVT. Je refuse le co disciplinaire ». D’autres disaient qu’ils allaient habiller avec les nouvelles formules des pratiques qui existaient déjà. On voit que le processus est complexe.
Vous dites dans le livre : « si certaines réformes ne réussissent pas à s’implanter dans les pratiques ce n’est pas parce qu’elles sont intrinsèquement inadéquates mais parce que les logiques des acteurs, leurs pratiques ne sont pas suffisamment pris en compte ». Que voulez vous dire ?
On est face à des réformes qui sont mises en oeuvre sans véritable bilan. Or si on ne s’appuie pas suffisamment sur ce que disent les acteurs, forcément c’est compliqué. Il faut tenir compte de la façon dont ils travaillent au quotidien, la manière dont le travail collectif est mis en oeuvre. Un changement de pratiques ne peut être effectif que s’il y a cette prise en compte.
Quelle est la part des différents acteurs dans l’appropriation de la réforme ?
Dans le livre on a tenu aussi à ce que la réforme du collège soit vue du point de vue des prescripteurs et pas seulement des enseignants ou chefs d’établissement. Pour nous il ne faut pas les oublier même si cela peut paraitre étonnant. On veut rompre avec l’idée qu’il y aurait d’un coté la conception et de l’autre les usages.
Ceux qui conçoivent sont eux aussi pris dans des représentations, le contexte des réformes précédentes et dans l’organisation de la réforme. Je me souviens d’un chef d’établissement qui nous a dit que cette réforme posait la question du collège unique et de son échec. L’ouvrage suit donc également les chefs d’établissement dans leur role d’intermédiaires qui doivent s’approprier la réforme et la mettre en oeuvre en faisant des choix par exemple sur les dotations.
Comment les chefs d’établissement s’y sont-ils pris pour faire « passer » la réforme ?
On ne peut pas généraliser. Il y a de fortes différences entre eux. Dans l’ouvrage un chapitre est tiré d’une longue observation en établissement. Les chercheurs ont observé des réunions, filmé et demandé ensuite aux principaux de s’exprimer sur ces vidéos.
On a vu que des choix étaient faits pour prendre en compte la sensibilité et les habitudes des acteurs dans certains établissements. Dans d’autres établissements on a observé d’autres choix. Des chefs d’établissement ont travaillé au niveau de leur établissement quand d’autres ont réfléchi entre eux et se sont mis d’accord.
Une partie du livre s’intéresse à l’accompagnement personnalisé (AP). Peut on dire qu’il y a une véritable appropriation de l’AP ?
Il y a des modalités d’appropriation. Pas de véritable appropriation. Et ces modalités comprennent également le refus de l’AP. Des enseignants radicaux ont joué la montre. D’autre sont été inventifs. Des enseignants ont créé des conditions qui n’existaient aps encore. Au tital il y a appropriation mais avec un bel éventail !
Les EPI ont -ils été perçus comme une contrainte ou un appui à des pratiques existantes ?
Les deux. Dans un chapitre on montre des enseignants très engagés dans des projets qui profitent des EPI, par exemple l’EPI corps santé bien être sécurité, pour mobiliser d’autres collègues et développer de la créativité dans le nouveau cadre institutionnel. Pour d’autres, l’EPI remet en cause leur enseignement. Certains professeurs de sciences, par exemple, étaient très inquiets des heures perdues pour le cours. Comment faire le programme dans ces conditions ? Il y a donc eu ces tensions entre programmes et EPI.
Globalement le pluridisciplinaire n’est pas la culture de base des enseignants du second degré. Les IDD aussi avaient rencontré de l’hostilité et de l’inventivité. Finalement les EPI ont été des supports pour certains enseignants, des contraintes pour d’autres.
Appliquer une réforme c’est impossible ?
C’est difficile de répondre. Au niveau macro on peut s’intéresser à la valse des réformes. Au niveau micro chacun va puiser dans ses ressources y compris psychiques. La réforme devient impossible quand elle porte des questions politiques et idéologiques. Ca rend les choses plus complexes. Pour autant réformer n’est pas impossible. La réforme des cycles par exemple qui permet d’articuler l’école et le collège est un changement en profondeur. Elle s’installe dans l’existant.
Compte tenu des ces difficultés, pourquoi le ministère s’obstine -il à lancer de grandes réformes ?
Au bout du compte le discours politique vise la réussite des élèves. Et on voit que le collège met en souffrance des élèves. Mais je m’étonne de la façon de faire des réformes sans bilan préalable.
Propos recueillis par F Jarraud