Les nouveaux programmes de maths du lycée sont-ils en train de tuer les maths ? Christophe Frediani, « simple » professeur de maths, s’inquiète du devenir de ses élèves et de l’avenir des maths. » Il ne reste que des mathématiques élitistes, sélectives, uniquement pensées pour faire émerger les rares élèves qui intégreront Polytechnique ou Normale Sup ».
J’ai lu avec attention les parogrammes
Mes élèves de seconde doivent en ce moment choisir les enseignements de spécialité qu’ils suivront en classe de 1ère. Pour ceux qui vont passer en 1ère technologique, le choix sera du même type que les années précédentes : STMG, STI2D, etc. Pour la voie générale c’est nettement plus compliqué. En effet, les mathématiques ne seront pas dans le tronc commun et donc la question de la poursuite de cette matière se pose sous la forme Stop ou Encore. Comment les aider dans ce choix ?
J’ai, bien entendu, lu avec attention les nouveaux programmes de l’enseignement de spécialité « mathématiques » de 1ère. Il ne faut que quelques minutes à un professeur qui a souvent eu en charge des 1ère S pour voir que ce programme est celui qui était enseigné en S, agrémenté de quelques chapitres complémentaires (fonctions exponentielles, fonctions trigonométriques, probabilités conditionnelles et…la fameuse programmation en Python).
Cela fait déjà quelques années que ce programme posait beaucoup de problèmes aux élèves de 1èreS : trop dur à intégrer en 4 heures par semaine pour nombre d’entre eux. Souvent mal assimilé en 1ère, ce programme conduisait à des difficultés très importantes en Terminale S. Et donc ce programme, déjà bien âpre pour des élèves de S, devient l’unique programme proposé aux élèves de 1ère de la voie générale !
Un programme inabordable
Les élèves des séries L ou ES avaient un programme plus abordable que celui de S tout en étant ambitieux et intéressant. La plupart des élèves de ES que j’ai eu en classe s’en sortaient bien mais n’auraient pas pu, ni voulu, ingérer l’indigeste programme de S. Ils représentent pourtant un fort pourcentage des élèves de série générale.
Mon expérience personnelle me fait donc dire que ce nouveau programme de mathématiques de 1ère n’est abordable pour environ 10 à 15 % de mes élèves de 2de. Mon lycée est un lycée ordinaire de 1200 élèves situé dans une zone ni aisée ni franchement défavorisée comme une grande partie des 4 000 lycées de France. Mon échantillon est donc assez représentatif. J’imagine que la proportion des élèves capables de suivre cet enseignement sans le subir est beaucoup plus forte dans les grands lycées parisiens pourtant moins représentatifs de la population globale…
Elitisme et sélection
Que dois-je donc conseiller à mes élèves ? D’arrêter les mathématiques car le programme sera trop dur alors que beaucoup d’entre eux auront besoin de cette matière pour obtenir leur affectation dans ParcourSup ? De prendre l’EDS mathématiques quitte à ne pas pouvoir suivre le rythme infernal qu’il va falloir suivre ? C’est un choix bien peu motivant…
En tant que professeur, ce futur très proche n’est pas bien enthousiasmant : je vais devoir mener à la baguette des classe de 1ère dans lesquelles peu d’élèves vont apprécier mes cours ! Et, à coup sûr, c’est bien l’EDS Mathématiques qu’ils vont choisir d’abandonner en fin de 1ère…
En résumé, j’ai mal à mes maths : tout ce qui a été fait pour les L et ES part à la poubelle, il ne reste que des mathématiques élitistes, sélectives, uniquement pensées pour faire émerger les rares élèves qui intégreront Polytechnique ou Normale Sup.
Alors pourquoi ? Pourquoi avoir sorti les mathématiques du tronc commun ? Je ne trouve aucune raison à ce choix. Ou peut-être une, d’ordre technique : cela fait plusieurs années que le CAPES de maths ne trouve plus assez de candidats pour couvrir les besoins. Alors en diminuant le nombre d’heures de maths en lycée, car à très court terme très peu d’élèves vont continuer les maths, on aura moins besoin de profs et le problème du recrutement sera réglé. Mais si c’est la bonne explication alors c’est lamentable.
Et avec quelles conséquences ? Le nombre d’élèves qui vont se diriger vers les filières scientifiques va diminuer appauvrissant la formation d’ingénieur.e.s, de technicien.ne.s., de statisticien.ne.s, d’informaticien.ne.s, ..et de profs de maths…
Et pourtant ! Il y une nécessité absolue d’éducation populaire mathématiques : nous vivons dans un monde fortement numérisé dans lequel les mathématiques sont des clés de compréhension et de maîtrise des technologies. Plus que jamais nous devons faire ce travail d’éducation scientifique, gage de cohésion citoyenne. C’est la voie contraire qui a été choisie dans cette réforme du ministre Blanquer. Cela me révolte et m’inquiète pour la jeunesse actuelle.
Christophe Frediani,
Professeur de Mathématiques, lycée Victor Hugo, Gaillac (81)