Depuis de nombreuses années, la demande de formation par les enseignants dans le domaine du numérique (comme dans d’autres domaines) est forte. Répétée et souvent complétée par l’autoformation ou la formation par les pairs, la formation traditionnelle en présence ou à distance via des plateformes comme m@gistere ne semble pas correspondre complètement aux besoins profonds des enseignants. Du côté des pouvoirs éducatifs, le terme formation est souvent présenté, tel un étendard, pour indiquer qu’on en fait, mais très peu voire pas de réflexion sur les modèles de formation retenus. Si les enquêtes rapportent en continu l’importance de l’autoformation et de la formation par les pairs c’est soit que l’offre de formation ne correspond pas à la demande (insuffisante, pas adaptée) soit que la modalité de formation telle qu’elle est proposée encore souvent ne correspond pas aux besoins de développement des enseignants, dans le domaine du numérique comme dans d’autres.
Plus de trente années de formation des enseignants dans le domaine de l’informatique, des TIC et du numérique ne semblent pas avoir transformé de manière significative les pratiques de la majorité des enseignants. On peut trouver de multiples raisons à cette faible rentabilité des formations. Parmi celles-ci, la contextualisation semble être au cœur des difficultés rencontrées. Si l’on observe que dans la dernière enquête Profetic disponible en ligne (2016), c’est la formation en établissement qui apparaît après l’autoformation et la formation par les pairs, on mesure mieux le problème. Comment transférer des apprentissages ponctuels (en stage) dans sa pratique habituelle dans l’établissement où l’on travaille ? Quand on sait la disparité des équipements matériels et logiciels, des cultures et pratiques de l’informatique dans les établissements, on n’est pas vraiment étonné.
Depuis de nombreuses années on parle de modalités, non pas forcément de formation, mais de développement de compétences et de connaissances sous la forme de la « recherche action ». Plus récemment on a vu aussi émerger l’idée de la formation action. On le verra plus loin les deux démarches ne sont pas identiques. Dans la même dynamique, Philippe Perrenoud a proposé la notion d’enseignant réflexif (Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant : Professionnalisation et raison pédagogique ESF 2010) comme principe essentiel à l’exercice du métier. René Barbier a longtemps travaillé la notion et la pratique de la recherche action dans le laboratoire CRISE de l’université de Paris 8. Il en a fait, outre une approche particulière dans la recherche, une véritable manière de faire ayant sa propre épistémologie. Cependant la recherche-action a longtemps été mal considérée par des courants de recherches basés sur des méthodes de recueil et d’analyse plus distantes de leur sujet d’étude. La recherche-action ne serait pas de la « vraie recherche ». Sachant que toute recherche vise à produire des connaissances, nouvelles ou pas, la recherche-action peut-elle être reconnue et si oui comment.
Nous avons pris le parti de ne pas aborder cette question de la validité scientifique de ces activités, mais de proposer une démarche qui nous semble pouvoir permettre de développer des compétences au sein d’un collectif enseignant et d’améliorer la contextualisation et l’adaptation des compétences au contexte local. Cette démarche s’appuie sur plusieurs piliers : un groupe au sein d’un établissement scolaire, des constats partagés, l’envie de répondre à des questions que l’on partage, le souhait d’essayer de s’appuyer sur la rigueur scientifique pour avancer dans les pratiques, la nécessité d’agir « en réalité » dans l’établissement, l’appui sur une méthode itérative, le souhait de partager les résultats des travaux menés et évalués, le retour vers la recherche par la confrontation des résultats avec des travaux effectués dans d’autres contextes.
Le mot recherche effraie beaucoup dans le monde enseignant : parfois il se sent jugé par les chercheurs, parfois il ressent un sentiment d’infériorité de connaissances, parfois il a du mal avec les démarches expérimentales, parfois les lectures des travaux et des théories lui semblent bien éloignées de ses pratiques. C’est pourquoi on préfère souvent l’expérimentation de terrain, voir la formation action. Qu’est-ce que cela signifie ? Nombre d’équipes enseignantes redoutent de faire en plus de leur travail. Nombre d’enseignants ne souhaitent pas revenir « aux études scientifiques » au vu de leur propre parcours étudiant qui s’est parfois heurté à l’hermétisme de certains chercheurs.
Au vu des pratiques effectives d’auto et de co-formation dans le domaine du numérique, il ne faut pas grand-chose pour que, dans un établissement, se mette en place, en complément des dispositifs de formation existants une démarche de recherche action. En étant accompagné à intervalles réguliers d’un chercheur (qui sait ce qu’est la recherche action), il est possible de développer de véritables compétences autour de tels projets. Qu’elles soient disciplinaires ou pédagogiques, de tels dispositifs pourraient permettre aux enseignants de consolider leurs échanges de savoirs mais aussi de les valoriser. La course à l’innovation ou à l’invention ne concernent souvent que très peu de personnes dans un établissement. Une démarche de recherche action permet d’associer aussi bien des passionnés que des personnes plus distantes, pourvu que chacun accepte de participer activement avec ses élèves et que chacun puisse le faire à hauteur de ses compétences. Certes le développement du numérique n’est pas le seul domaine qui pourrait se mettre en place. Au moins soulève-t-il suffisamment de questions pour permettre la mise en place de telles démarches.
Au-delà de la recherche-action elle-même, il est intéressant de développer, par ce procédé, un pilotage collaboratif d’un nouveau genre. Le développement de chacun se produit aussi bien dans le cœur de la recherche elle-même mais aussi dans tout ce qui l’entoure. Car cela donne aussi un cadre à la formation par les pairs et à l’autoformation en finalisant les apprentissages que chacun choisit de faire. Bien plus encore, il s’agit de mettre au service des élèves une manière de travailler qui devra leur permettre eux aussi de progresser. On pourra imaginer des projets aussi bien autour de l’éducation aux médias que de la maîtrise du code ou la découverte d’algorithme, du traitement des big data. A la différence d’autres démarches, la recherche action tente de faire du lien, or c’est ce qui manque actuellement dans l’éducation. Certes des initiatives se multiplient comme celles de Jean Philippe Lachaux dans les sciences cognitives ou dans une autre mesure les travaux de Margarida Romero autour du codage, et des compétences numériques. Attention, dans cette démarche de recherche-action, il ne s’agit pas d’instrumentaliser l’école, la classe ou les élèves pour un chercheur ou une équipe ce qui est encore trop souvent le cas. Au contraire, il s’agit d’imposer au chercheur le rythme, les modalités du terrain propres aux activités habituelles de l’enseignant.
La recherche dans le domaine du numérique éducatif peut s’enrichir fortement de cette démarche. Malheureusement quelques échecs dans le domaine laissent à penser qu’il y a des limites à s’imposer. La première est celle de l’engagement de l’équipe. La seconde est la localisation de l’équipe et du projet à l’établissement. Certes il est possible de travailler seul, mais les résultats seront très peu enrichissants et valides. La dynamique des équipes engagées dans ces dispositifs doit aussi être contenue afin qu’elle soit durable dans le temps. Une telle démarche peut durer d’une à quatre années, parfois plus. Trop peu de recherches-actions sont menées véritablement dans le domaine du numérique éducatif. Cela semble être un déficit à combler afin de compléter les moyens à disposition pour mieux se former, se co-former.
Bruno Devauchelle