Une française meilleure enseignante mondiale ? C’est aujourd’hui que la fondation Varkey annonce la liste des cinquante finalistes qualifiés au Prix mondial des enseignants 2019 qui en est déjà à sa cinquième édition. Le prix final sera remis lors du Forum mondial de l’Éducation et des Compétences à Dubaï, le 24 mars 2019. Et cette année encore, après Marie-Hélène Fasquel de Nantes et Patrick Saoula de Marseille, une enseignante française fait partie de la liste des finalistes, sélectionnée parmi dix mille candidatures parvenues de trente-neuf pays différents. Il s’agit d’Anne Fischer, enseignante de français langue étrangère, en UPE2A – Unité Pédagogique pour les Élèves Allophones Arrivants – à l’École élémentaire Charlemagne de Villeparisis (77). Et même si on peut s’interroger sur la nature de ce prix, aucun doute sur la qualité des finalistes…
La découverte du plurilinguisme
La fondation Varkey a publié le « Global Teacher Status Index 2018 » – Répertoire mondial du statut des enseignants- qui établit le lien entre la reconnaissance faite au métier d’enseignant et la réussite des élèves. « Notre dernier Global Teacher Status Index prouve enfin, sur le plan académique, ce que nous avons toujours su au fond de nous : le lien entre le statut des enseignants dans la société et les performances des élèves à l’école. Nous pouvons désormais affirmer sans le moindre doute que le respect des enseignants n’est pas seulement un devoir moral important, mais qu’il est indispensable à la réussite scolaire au sein d’un pays » explique Sunny Varkey, fondateur du prix.
La finaliste française, Anne Fisher est professeure des écoles depuis 1994. Après avoir enseigné pendant quatorze ans en Seine-Saint-Denis, elle intègre le département de Seine-et-Marne où elle enseigne actuellement. Lors d’une inspection en 2015 son inspectrice lui suggère de passer l’examen de la CCFLS (Certification Complémentaire d’Enseignement de langue Seconde) pour enseigner aux élèves allophones. « J’ai découvert de nouveaux champs disciplinaires tels que la didactique du français langue étrangère, la didactique du français langue seconde, le statut de l’erreur en didactique des langues », nous dit-elle. Mais Anne ne s’arrête pas à la certification, elle ressent le besoin d’approfondir ses connaissances et se lance dans un Master en didactique du plurilinguisme.
Un pont entre langue d’origine et langue française
Anne ne connaissait pas vraiment le Prix discerné par Varkey, comme beaucoup d’enseignants. « C’est le directeur d’une école sur laquelle j’interviens, David Barquero, qui m’a inscrite à ce concours. Je lui parle souvent de la didactique du plurilinguisme, de l’intérêt de reconnaître et de s’appuyer sur les langues et cultures de nos élèves allophones pour une meilleure appropriation du français et pour qu’ils se sentent bien en classe, tout simplement. Il a remarqué que cet enseignement était efficace et allait souvent à l’encontre des idées reçues et a eu envie de le diffuser », nous a-t-elle confié.
Et en effet, il y a de quoi s’intéresser aux pratiques d’Anne. Elle ne prend pas sa mission à la légère, et saisit l’élève tel qu’il est, dans sa globalité, riche de ses apprentissages précédents, même s’ils ne sont pas en langue française. « Je m’inspire des approches plurielles des langues et des cultures et des travaux menés par le Conseil de l’Europe concernant la compétence plurilingue et pluriculturelle », nous dit-elle. « Le simple fait de montrer un intérêt pour les langues et cultures des élèves est très réconfortant pour ces derniers. Certains ont parfois tout quitté et leur langue et culture sont la seule trace de leur passé. Lorsqu’un élève allophone arrive dans le dispositif, j’essaie de m’attacher aux compétences langagières ou disciplinaires qu’il a acquises dans sa langue d’origine, plutôt que de me dire il ne connaît pas le français ».
Au cours de l’année, elle élabore avec chacun de ses élèves des outils pour les aider à s’approprier leur langue d’adoption, mais aussi, et cela c’est nouveau, pour qu’ils ne perdent pas leur langue d’origine. « Nous élaborons par exemple un imagier plurilingue, complété chaque jour de l’année, dans toutes les langues des élèves. Au début de l’année, cet imagier concerne les objets de l’école afin de pouvoir réunir les élèves autour d’une culture qui doit devenir commune à tous : la culture scolaire française. Au fil de l’année, les élèves peuvent apporter les images de leur choix pour compléter l’imagier. Cette activité a plusieurs objectifs : enrichir le vocabulaire en français, établir des comparaisons entre les langues et faire en sorte que les élèves n’oublient pas leur langue maternelle. J’ai en effet remarqué que même si les élèves continuent à parler leur langue dans le cadre familial, certains mots non utilisés fréquemment sont petit à petit oubliés ».
Elle a créé, par ailleurs, un blog de recettes culinaires pour permettre aux étudiantes allophones d’améliorer leur niveau de français tout en découvrant des plats régionaux. Les recettes sont accompagnées de petits exercices pour accompagner l’apprentissage de la langue mais aussi pour s’imprégner de la culture française.
Un prix qu’elle utilise pour promouvoir la didactique des langues
Pour Anne, concourir à ce prix permet de mettre en lumières la didactique des langues, encore trop peu connue. « Toutes les recherches démontrent qu’il est primordial de s’appuyer sur son répertoire langagier dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, et ce, quelle que soit la langue des élèves. Il n’existe pas de hiérarchie dans les langues. Les élèves doivent être autorisés par les enseignants à s’appuyer sur leurs langues dans l’apprentissage de la langue française. L’enseignant doit les aider à prendre conscience des stratégies mises en œuvre dans l’apprentissage de la nouvelle langue. Outre un intérêt pédagogique certain, cela permet de reconnaître et de valoriser les compétences des élèves. Reconnus dans leur identité, ils sont beaucoup plus sereins et motivés pour se lancer dans l’apprentissage de la langue française ».
Si cela permet de parler des élèves allophones, des dispositifs UPE2A, des stratégies d’apprentissage, Anne estime que ce prix est une bonne chose. Et puis, « un autre aspect tout aussi primordial pour moi, c’est de mettre en avant les enseignants de l’Éducation nationale française qui accomplissent un travail quotidien remarquable dans toutes les écoles de France ».
Lilia Ben Hamouda