Comment vont ils faire ? Les projets de programme de français du lycée et le programme de l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie » sont parus. Par rapport à la première version, dévoilée par le Café pédagogique le 9 octobre, le texte a été sérieusement amélioré. Mais quel empilement de finalités, d’objets d’étude, d’œuvres à lire, de modalités de travail, d’évaluation et parfois même de matières ! Et si, faute de choix clairs, les experts avaient additionné leurs préférences en prenant le risque de programmes qui semblent au final infaisables ?
Inflexions
Entre la version fuitée et la publication officielle, de nouvelles formulations viennent parfois nuancer et atténuer l’orientation générale des programmes de français. Une des finalités proclamées était de « faire toute sa place à l’histoire littéraire parmi les savoirs spécifiques de la discipline » : il s’agit désormais simplement de faire « toute sa place à la dimension historique qui permet de donner aux élèves des repères clairs et solides ». La première version appelait à « construire une culture de la parole, de l’écriture et de la lecture » ; la nouvelle version invite à « encourager les pratiques de la parole, de l’écriture et de la lecture ». « L’éducation de l’intelligence » est remplacée par « la formation de l’esprit ». « L’accès à ce trésor de l’esprit humain qu’est la littérature » devient plus modestement « la fréquentation des œuvres et des textes de la littérature ». La « culture des questions éthiques » se transforme en une « approche des questions éthiques ». Les 8 « évaluations sommatives » à mener dans l’année sont désormais 8 « travaux aboutis », mais la liste d’exemples proposés les limite à des exercices type bac, comme si l’écriture au lycée restait encore et toujours envisagée comme une modalité d’évaluation plutôt que comme une modalité de travail.
Certains mots disparaissent : « construire une culture littéraire structurée » est préféré à « construire une culture littéraire nettement structurée », les « parcours d’histoire littéraire » accompagnant l’étude des œuvres deviennent de simples « parcours ». Des inversions invitent à de possibles nouvelles hiérarchisations : une section était consacrée à « l’étude de la grammaire » avec la « leçon de grammaire » comme premier exemple de possible mise en œuvre ; la même section parle à présent d’ « étude de la langue » et la « leçon de grammaire » y passe après « l’analyse grammaticale ponctuelle » ; le projet souligne d’ailleurs explicitement que « l’étude de la grammaire n’est pas une fin en soi ».
Modifications
Entre la première et la seconde version des programmes de français, il faut aussi noter des changements. Disparait en particulier l’obligation de mener des explications linéaires des textes étudiés en classe et à l’oral du baccalauréat : la version 1 imposait « l’explication linéaire, qui suit le mouvement du texte et en fonde l’interprétation sur une analyse précise des principaux effets de sens » ; la version 2 ne parle plus que d’ « explication d’un texte » et précise à plusieurs reprises que « la méthode est laissée au choix du professeur » (et de l’élève à l’oral de l’EAF ?).
En ce qui concerne l’examen final, disparait cette phrase, et à travers elle ce qui s’annonçait comme une nouveauté importante : « L’épreuve orale anticipée du baccalauréat comporte désormais une courte question de grammaire ». En ce qui concerne l’écrit, n’est plus spécifiée l’obligation de consacrer 1/4 des points à l’évaluation spécifique de la langue : on invite simplement à porter « une attention spécifique » à « la correction de la langue » et à la prendre « en compte dans l’évaluation ».
Confirmations
Selon les mêmes principes que dans la version initiale, le projet structure les programmes de français en seconde et première autour de 4 objets d’étude. La littérature y est découpée en genres et en périodes plus ou moins différentes selon les niveaux : la poésie du Moyen Age au 18ème siècle en seconde et du 19ème au 21ème en première ; la littérature d’idées du 19ème au 21ème en seconde (avec une ouverture vers la presse) et du 16ème au 18ème en première ; le roman et le récit du 18ème au 21ème en seconde et du Moyen Age au 21ème en 1ère ; le théâtre du 17ème au 21ème en seconde et aussi du 17ème au 21ème en première.
Ces objets d’étude doivent être traités selon des consignes très précises. En seconde, chaque année, l’élève étudie 4 œuvres intégrales (2 pièces de théâtre, de genres et siècles différents + 1 roman + 1 récit d’une autre forme et d’une autre période), il étudie aussi 2 « parcours » (des groupements de textes autour de la poésie et de la littérature d’idées), il doit lire en plus 3 œuvres en lecture cursive. En première, les 4 objets d’étude doivent être abordés par l’étude à la fois d’une œuvre intégrale et d’un parcours associé, définis par un programme national, et 4 lectures cursives supplémentaires doivent être menées. S’annonce ainsi un programme monumental de lecture pour les élèves : 7 œuvres en seconde et 8 en première. Se déploie aussi un programme colossal d’élaboration et de mise en œuvre pour les enseignant.es : en 2019-2020, il faudra repenser entièrement les progressions de seconde et de première, étudier 4 œuvres imposées pour la préparation à l’EAF, boucler le nombre de séquences et de travaux attendus, s’approprier de nouveaux programmes de langues anciennes, l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie », une nouvelle œuvre en littérature terminale L…
En ce qui concerne les épreuves écrites du baccalauréat de français, le retour en arrière qui avait été annoncé est maintenant officiel. Disparaissent les 2 seules vraies nouveautés de la précédente mouture du bac de français : la question sur le corpus (qui permettait de travailler et d’évaluer les compétences de compréhension et de mise en relation des textes) et l’écriture d’invention (qui invitait à faire l’expérience authentique et formatrice de codes littéraires tout en développant sa créativité). En première générale, seules subsistent les deux formes scolaires traditionnelles d’écriture de glose : le « commentaire de texte » et la « dissertation » (qui portera sur l’œuvre étudiée pendant l’année et sur le parcours associé). En première technologique, l’écrit de l’EAF proposera d’une part un « commentaire de texte », d’autre part une « contraction » (d’un texte argumentatif) suivie d’un essai » (à partir d’un corpus de textes). Autant d’exercices auxquels il convient (d’ores et déjà ?) d’initier tous les élèves dès la seconde, celle-ci étant toujours à la fois « générale et technologique ».
Satisfactions
Le nouveau projet confirme enfin une innovation majeure : la mise en œuvre, tout au long des années de seconde et de première, d’un carnet personnel de lecture et de formation culturelle. Ce journal de bord d’un voyage en littérature permettra à chaque élève de consigner ses expériences des œuvres de façon plus personnalisée, plus libre, plus variée. Il accueillera en particulier les « écrits d’appropriation » que le programme s’efforce d’éclairer en donnant aux professeur.es de lettres des exemples variés : restitution des impressions de lecture, écritures d’invention ou d’intervention, associations visuelles, édition numérique enrichie, réflexion « sur l’expérience éthique et/ou esthétique tirée de la lecture », note d’intention de mise en scène, scénario …
Ce portfolio de sujet lecteur doit être rempli pour chaque objet d’étude et « visé par le professeur qui veille à ce qu’il soit régulièrement tenu ». Il servira de support pour la deuxième partie de l’oral de français au baccalauréat. Il apparait bel et bien comme une chance à saisir, si les conditions de travail et d’évaluation qu’induisent les nouveaux programmes en laissent le temps, donc en offrent le bonheur, aux élèves et aux enseignant.es.
Déceptions
La vision patrimoniale de la culture à l’œuvre dans la version initiale du programme de français se serait-elle réfugiée dans l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie », dont le projet de programme est parallèlement paru ? Quatre semestres y sont définis, chacun centré sur un objet d’étude spécifique et une période particulière : « la parole, ses pouvoirs, ses fonctions et ses usages » (Antiquité, Moyen Age), « les diverses manières de se représenter le monde et de comprendre les sociétés humaines » (Renaissance, Age classique, Lumières), « la relation des êtres humains à eux-mêmes et la question du moi » (des Lumières au début du 20ème siècle), « la définition du moderne et du contemporain, avec leurs expériences caractéristiques et la tension entre tradition et innovation » (époque contemporaine). Le projet stipule que l’enseignement de spécialité, en première comme en terminale, devra être pris en charge par les professeur.es de français et de philosophie « à parts égales », ce qui impliquera « une concertation et une coopération effectives ».
La perspective se veut chronologique, les bibliographies fournies sont denses, les contenus évoqués sont précis : un champ de connaissances universitaires plutôt qu’un programme de lycée ? une histoire de la pensée plutôt qu’une pratique des humanités ? Les enseignant.es plutôt que les élèves sont d’ailleurs ici sujets des verbes : « les professeurs choisissent les textes à étudier », « on peut être conduit à évoquer »… L’esprit et la lettre paraissent fort éloignées des problématiques qui favorisaient dans l’enseignement de « Littérature » en 1ère et terminale L de vivantes réflexions et activités : les réécritures, lire-écrire-publier, le langage de l’image … Aucune place ne semble a priori envisagée pour les humanités numériques, pour les nouvelles circulations dans les savoirs qu’il nous revient d’explorer et de penser au 21ème siècle.
Une consultation sur ces projets de programmes est annoncée : peut-être permettra-t-elle de faire encore bouger les lignes ?
Jean-Michel Le Baut
Le projet de programme de seconde
Le projet de programme de première
Le projet de programme « Humanités, littérature et philosophie »