« Un consensus se dégage en faveur du maintien d’une politique d’éducation prioritaire ambitieuse, visant à accorder un traitement différencié aux écoles et établissements qui concentrent les difficultés ». Dans un nouveau rapport, la Cour des comptes ne remet pas en cause la nécessité d’une politique d’éducation prioritaire. Mais elle en bouleverse les règles. La Cour met fin à la labellisation en proposant un nouveau mode de distribution des moyens qui seront plus concentrés. Elle souhaite davantage d’autonomie pour les chefs d’établissement des réseaux qui deviendraient des écoles du socle, regroupant sous l’autorité du principal écoles et collège. Celui ci aurait une large autonomie dans l’usage des moyens et pourrait recruter sur profil ses enseignants. Le rapport vient finalement en appui à la politique impulsée par JM Blanquer à travers la mission Mathiot – Azema.
Que pèse l’éducation prioritaire aujourd’hui ?
On avait connu la Cour des comptes beaucoup plus dure avec l’Education priroitaire. Au moment où le ministre lance une mission, confiée à A Azema et P Mathiot, pour réviser en 2020 la politique d’éducation prioritaire, le rapport de la Cour sort au bon moment, même si la Cour se défend de tout alignement sur le timing ministériel. L’éducation prioritaire a fait l’objet d’autres rapports récemment, comme l’étude d’Alexia Stefanou (Depp) ou celle du Cnesco sur son efficacité
L’éducation prioritaire concerne aujourd’hui 1.7 million d’écoliers et collégiens soit 20% des premiers et 21% des seconds. On compte environ 7% des élèves en Rep+ et 13% en Rep. La politique d’éducation prioritaire (E.P.) entraine un surcoût estimé par la Cour à 1.4 milliard en 2015-16. L’essentiel du surcoût vient du sur encadrement (82%) et des primes spécifiques (15%). Au total ce surcoût représente 4% des moyens des écoles et collèges publics pour 20% des élèves et 30% des élèves socialement défavorisés. Au total ce sont 20 838 emplois d’enseignants en plus qui sont affectés en E.P. (mais ce ne sont pas les mieux payés !), 2563 AED et un millier de personnels de direction et de CPE en plus. Le montant total des primes distribuées atteint 213 millions. Calculé par élève, selon la Cour, un écolier de Rep+ coute 3789€ contre 3215 hors EP et un collégien 7780 contre 5807.
Comment apprécier ses résultats ?
Pour quels résultats ? La Cour relève que c’est difficile à évaluer. Elle demandera d’ailleurs toute une batterie d’évaluation. « L’« état des lieux » publié par la DEPP en février 2018 souligne le faible niveau des élèves scolarisés en éducation prioritaire à l’entrée au collège : en début d’année scolaire 2015-2016, 60 % des élèves de REP+ entrant en sixième maîtrisaient la langue française (compétence 1 du socle), contre 72 % en REP et 83 % dans les autres collèges publics. En matière scientifique (compétence 356), les proportions sont respectivement de 44 %, 56 % et 73 %. Finalement, un tiers seulement (36 %) des élèves de REP+ entrent en 6e en maîtrisant ces deux compétences alors que cette proportion est d’un sur deux en REP et deux sur trois hors éducation prioritaire », précise le rapport. Pour la Cour, « les performances scolaires moyennes des élèves ne sont pas améliorées grâce à la labellisation ».
Mais la Cour reconnait aussi que l’écart avec les élèves hors EP ne s’est pas accru alors que la situation sociale des élèves s’est fortement dégradée. « La dégradation de l’environnement économique et social des territoires en difficulté en fait partie comme l’ont mis en évidence les indicateurs de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV)8 ainsi que les précédentes publications de la Cour : le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté y a atteint 42,6 % en 2013 alors qu’il y était de 30,5 % en 2006, la part des allocataires du RSA socle (25,5 % en 2016) y est deux fois plus importante que dans le reste du pays (12,6 %) et le taux de chômage s’y situait à 25,3 % en 2016 contre 20 % douze ans plus tôt. » On rejoint la conclusion d’A Stefanou :la politique d’éducation prioritaire n’a pas diminué les écarts de niveau avec les autres élèves mais elle a empêché que la situation se dégrade comme elle aurait du le faire. Elle a maintenu le niveau des élèves malgré la forte dégradation de leurs conditions de vie. Et ça déjà c’est une victoire.
Comment les expliquer ?
Tout cela amène la Cour à chercher les facteurs qui expliquent la faiblesse des résultats. Pour la Cour, la labellisation (Rep Rep+) entraine une forte stratégie d’évitement des familles moyennes. « des économistes de l’éducation ont démontré que lorsqu’un collège était nouvellement labellisé RAR, la probabilité d’inscription dans le privé augmentait. Elle était presque deux fois plus forte pour les élèves issus de familles aisées. Ces auteurs en ont conclu que le simple fait de dépendre d’un collège RAR réduisait la probabilité d’y être scolarisé de 20 % à 38 % », écrit la Cour.
Autre facteur : la baisse du nombre d’élèves par classe jusqu’en 2017 a été des plus modeste. « Globalement, le taux d’encadrement en éducation prioritaire était plus favorable en 2015 de 1,3 élèves par classe soit 5,5 % ». Evidemment cela augmente avec les dédoublements Blanquer mais l’écart n’est encore que de 2.2 élèves par classe en 2017. Or pour la Cour, qui s’appuie par exemple sur le stravaux de Valdenaire et Picketty, la baisse du nombre d’élèves est un facteur important de réussite scolaire.
La Cour met en avant aussi le mode d’affectation des enseignants. On va trouver davantage d’enseignants peu expérimentés en EP et de contractuels (13% de contractuels en Rep+, 4% hors EP). Enfin le taux de rotation des enseignants est particulièrement important. Cela tient pour la Cour au mode d’affectation. Mais aussi au peu d’attractivité des primes spécifiques versées aux enseignants. La revalorisation et la bonification qui ont suivi la refondation de l’éducation prioritaire ont allongé de 03 année l’ancienneté moyenne des enseignants, selon la Cour. L’effet est marginal. La formation continue dont bénéficient les enseignants es appréciée selon la Cour mais les crédits ne sont pas tous dépensés. Enfin la Cour met aussi en question les remplacements :les absences sont plus fréquentes en EP et le sbesoins en remplacements moins bien satisfaits.
Le pilotage est aussi interrogé par la Cour. Elle juge le pilotage académique « largement perfectible ». Quant au pilotage local dans les réseaux il est « entravé par l’absence de marges d’autonomie ». On voit ainsi se dessiner les recommandations de la Cour.
Délabelliser
La cour souhaite revoir le mode de financement de l’Education prioritaire. « Les établissements de l’éducation prioritaire souffrent de leur mauvaise image entretenue par le label. Dès lors qu’il est souvent perçu comme stigmatisant, sa suppression pourra amoindrir les comportements d’évitement qui pèsent sur les établissements, même si, bien évidemment, elle n’affectera certes pas directement la composition socioéconomique des zones concernées. Par ailleurs, les effets de seuil induits par le processus de labellisation sont d’autant plus préjudiciables que les caractéristiques scolaires et sociales des établissements peuvent varier dans le temps. La politique de l’éducation prioritaire gagnerait donc à être fondée sur un processus d’identification reposant sur des outils plus facilement actualisables et introduisant une répartition des établissements plus fluide et progressive ».
Autrement dit la Cour demande la suppression des labels Rep et Rep+ et la distribution de toutes les écoles et collèges (même non EP) selon l’indice synthétique de difficulté créé par la Depp en 2014. « Dans ce schéma, l’allocation des ressources de l’éducation scolaire publique se décomposerait en trois parts : une première part en fonction du nombre d’élèves, sur la base d’un barème permettant de tenir compte du profil de chaque élève scolarisé, de sa CSP ou de sa situation de boursier ; ceci permettrait d’assurer un continuum entre l’ensemble des établissements ; une deuxième part en fonction des caractéristiques spécifiques de l’établissement ou du réseau, définie à partir de son appartenance à une des catégories constituées grâce à l’indice synthétique élargi de difficulté, cette part ne serait attribuée qu’aux catégories d’établissements concentrant le plus de difficultés ; une troisième part de la dotation horaire globale pourrait être attribuée librement par l’autorité académique sur des critères locaux, tels que la mise en oeuvre de projets particuliers ou des difficultés spécifiques des établissements ». Ainsi seraient distribués les 33 milliards finançant écoles et collèges publics. « La part de financement spécifique éducation prioritaire, visant à compenser les effets de la concentration des difficultés, qui représente aujourd’hui 1,4 Md€, serait allouée sur la base de la catégorie de l’établissement. Cette enveloppe devrait être augmentée au besoin par redéploiement des crédits existants, pour permettre l’augmentation de la rémunération des personnels et la réduction de la taille des classes ».
La Cour recommande que les dédoublements des classes soit plus ciblé et plus étendu. Pour la Cour cela devrait couvrir les 3 années du Cp au Ce2 mais que pour l’équivalent des Rep+.
S’agit -il d’une délabellisation ? Pour nous oui. D’abord parce qu’on ne parle plus de Rep et Rep+ même si les moyens restent fléchés par catégories. La Cour entend que les avantages spécifiques (primes , formations etc.) soient maintenus. Elle a estimé pour les collèges un découpage savant selon un classement des établissements en 7 ou 9 catégories. En 9 catégories on trouverait 350 collèges dans les trois premières. Il y en a aujourd’hui 1095 en rep et rep+. Un découpage en 7 catégories ne donnerait que 524 collèges dans les deux premieres et 1310 avec les 3 premières. On s’orienterait donc vers un resserrement du nombre d’établissements en EP. On voit mal aussi comment cette gestion des moyens révisée régulièrement et mouvante peut se combiner avec des politiques de réseaux.
Augmenter l’autonomie des chefs de réseaux
La Cour veut aussi que l’on augmente fortement l’autonomie des réseaux transformés en « école du socle » pilotée par le principal du collège. « Il convient d’accentuer les liens entre le collège chef de file et les écoles qui lui sont rattachées. En corollaire, l’architecture budgétaire devrait permettre une gestion souple entre premier et second degré, et la création d’établissements publics de réseau, nouvelle cellule de base de l’action éducative et incarnation de l’école du socle… La constitution des établissements publics locaux favoriserait l’autonomie et la responsabilisation des acteurs locaux. Le réseau pourrait ainsi se voir doté d’un budget de fonctionnement et d’une dotation horaire globale en heures pour le second degré et en postes d’enseignants pour le premier degré dont il pourrait plus librement disposer… La plus grande liberté donnée au chef de cet établissement en matière de recrutement lui permettrait d’embaucher sur profils en fonction du projet d’établissement. »
Choisir les enseignants
Justement parlons des enseignants. La Cour souhaite qu’on n’affecte en EP que des enseignants ayant au moins deux années d’ancienneté en usant largement du recrutement sur postes à profil. Pour cela le régime indemnitaire des enseignants devrait être amélioré mais selon leur mérite, c’est à dire « en introduisant des éléments variables d’une part liés à l’investissement individuel et à l’implication au sein des équipes pédagogiques ».
La Cour introduit aussi une hypothèse intéressante : « ouvrir la possibilité d’une affectation temporaire d’une durée de trois à cinq ans sur les postes en éducation prioritaire assortie de la garantie de retour à l’affectation d’origine ». Cette proposition serait intéressante si elle s’accompagnait du développement de collectifs enseignants. Mais si c’est pour tomber sous la coupe d’un principal à l’autorité accrue…
Le rapport de la Cour des comptes frappe d’abord par la qualité de la documentation recueillie et l’excellente connaissance de l’histoire de l’EP et des études portant sur elle en France et ailleurs.
Il reconnait l’utilité de la politique d’EP. Or ce n’était pas du tout acquis si l’on se réfère à ses rapports précédents. La Cour reconnait que cette politique a réussi à stopper les effets de la dégradation de la situation sociale dans les quartiers prioritaires.
Un appui à la politique de JM Blanquer
Les recommandations de la Cour viennent appuyer la politique dessinée par JM Blanquer dans la lettre de la mission Azema Mathiot. JM Blanquer le 2 octobre affirmait qu’il « n’est pas normal d’être dans une situation binaire en éducation prioritaire, y être ou ne pas y être ». Il soulignait le fait que les concepts de cette éducation « ont des effets pervers » et il réclamait « un changement de paradigme ». JM Blanquer noyait l’EP dans une politique territoriale associant le rural et l’outre mer ce que ne fait pas la Cour.
Dans sa réponse au rapport, JM BLanquer se range aux arguments de la Cour. Il se déclare favorable à l’école du socle. Concernant la gestion des enseignants, le ministre va plus loin. « Le ministère entend bien développer le recours aux postes à profil qui permettent aux chefs d’établissement d’adapter les postes aux besoins des élèves et au projet d’établissement. Les recteurs peuvent également déterminer une liste académique de postes spécifiques académiques et en réserver l’accès aux seuls candidats qui auront reçu de leur part un avis favorable. Cette approche pourra être développée à l’avenir pour répondre à la nécessité de stabilisation et de cohésion des équipes, notamment dans les contextes d’enseignement les plus difficiles. En réponse à la recommandation n° 10, le ministère étudie avec intérêt la possibilité de permettre aux personnels ayant décidé d’exercer plusieurs années en éducation prioritaire de pouvoir retrouver, à l’issue de cette période, leur affectation d’origine ». Onsait qu’il envisage d’attribuer la future prime rep+ au mérite.
Sur la nouvelle attribution des moyens, » L’objectif poursuivi ne peut être qu’approuvé, qui consiste à renforcer et à rendre plus visible l’allocation progressive des moyens dans les premier et second degrés. Ces recommandations viennent éclairer et conforter les réflexions actuelles du ministère pour mieux territorialiser les politiques éducatives et, par conséquent, l’allocation des moyens ». Mais » un point paraît essentiel : que les autorités académiques et départementales gardent des marges de manoeuvre pour apprécier, sur la base de données objectives et d’instruments de pilotage (dialogue stratégique, audit d’établissement, contrat d’objectifs, …), la réalité des difficultés sociales et territoriales et les moyens à accorder. Il est des réalités locales qui échappent à la modélisation », écrit le ministre.
Les dangers de la délabellisation
Si JM BLanquer n’a pas prononcé le mot délabellisation, la Cour ne le fait pas non plus mais elle critique la labellisation et dessine un nouveau système qui l’applique. Elle souligne des effets pervers comme l’évitement.
Mais celui ci est il vraiment lié à la labellisation ? Les parents connaissent ils le label Rep+ ou vont-ils observer si l’établissement compte beaucoup de « minorités visibles » ou écouté sa réputation en terme d’ordre scolaire ?
La suppression de la labellisation peut avoir des effets pervers. Le label s’accompagne de droits pour les enseignants et de moyens pour les écoles et établissements. Avec le nouveau système, les recteurs se verront doter de moyens supplémentaires en fonction de l’indice social. Mais quelle garantie a-t-on que les attribuent vraiment ces moyens là où c’est nécessaire ? L’exemple des savants calculs effectués par la Depp pour le primaire montre que les recteurs sont parfois plus sensibles aux puissances politiques locales ou au train train bureaucratique qu’aux indices. Enfin les indices ont ceci de bien qu’il permettent d’ajuster les moyens aux ressources alors que c’est plus difficile quand il faut respecter des droits.
C’est donc bien une nouvelle période déterminante qui s’ouvre pour l’éducation prioritaire. La Cour souhaite une utilisation plus efficace des moyens attribués à l’EP. C’est évidemment un souhait partagé. Mais le nouveau système qui s’annonce est un saut dans l’inconnu alors que le pilote de l’Education a jusque là montré peu d’intéret pour le pilotage de la politique d’EP et qu’il s’apprête à mettre en concurrence écoles et collèges en publiant leurs évaluations.
François Jarraud