Baptisé « loi pour une école de la confiance », le projet de loi Blanquer est marqué par la défiance certaine, tant son caractère principal est que le ministre y avance masqué. Pour cette raison, présenté rapidement par le Café pédagogique le 9 octobre, le projet mérite une analyse précise tant certains points pourront avoir des implications difficiles à déchiffrer. Car le projet permet d’avancer des cartes bien camouflées : l’annualisation des services d’enseignement, le remplacement des enseignants par des surveillants (AED), la création d’un nouveau type d’établissements, la réforme territoriale par ordonnance sans oublier le remplacement du Cnesco par une instance d’évaluation de l’Ecole totalement dans la main du ministre. Le projet de loi est présenté au CSE du 15 octobre.
L’article le plus ridicule
Baptisée « loi pour une école de la confiance », la loi commence par cette phrase : » Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. » Autrement dit le ministre remet sur les personnels la problématique de la confiance envers l’Ecole, lui-même, sa politique et son administration n’y étant sans doute pour rien…. On peut d’ailleurs se demander si cette formule peu élégante va rester dans le texte définitif car elle semble sortir du cadre d’une loi.
L’article le plus ridicule est l’article 20. Il modifie le territoire des caisses des écoles des 1,2 , 3, et 4e arrondissements de Paris.
L’article positif
L’article positif est l’article 15. Il prévoit que les statuts des personnels d’éducation, de psychologues et de personnels de direction peuvent déroger au statut d ela Fonction publique. Sur ce point, le ministre répond à la demande des syndicats depuis que le Conseil d’Etat a estimé que les CPE ne constituent pas un corps dérogatoire au statut général de la Fonction Publique. Le reste est nettement moins positif (voir cet article).
Un tiroir caisse ouvert pour rien…
Les articles 2 à 4 traitent de la scolarisation obligatoire à 3 ans, une annonce présidentielle. C’est surtout un affichage, 97% des enfants concernés étant déjà scolarisés. Mais c’est aussi un cadeau pour le privé. Le texte stipule que » L’Etat attribue à chaque commune les ressources correspondant à l’augmentation des dépenses obligatoires qu’elle a consenties en application des dispositions des articles L. 212-4, L. 212-5 et L. 442-5 du code de l’éducation au cours de l’année scolaire 2019-2020 par rapport à l’année scolaire précédente dans la limite de la part d’augmentation résultant directement de l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire ». La loi va donc imposer aux communes la prise en charge des frais des écoles maternelles privées là où ce n’était pas encore fait. Mais ce texte semble aussi dire qu’une commune qui devrait construire une école maternelle pour accueillir des enfants pourrait se faire rembourser par l’Etat. Cet article 4 pourrait aboutir à des effets inattendus : pour un effet nul puisque les enfants de 3 ans sont déjà scolarisés, l’Etat pourrait avoir à prendre en charge des dépenses supplémentaires. Les départements d’outre mer , comme Mayotte ou la Guyane, où on est très loin de l’application de la scolarisation à 3 ans, pourraient y voir un boulevard. L’Etat lui n’a pas prévu de postes d’enseignants supplémentaires en maternelle pour 2019…
Des « academies » anglaises à la française ?
L’article 5 prévoit un renforcement du contrôle sur la scolarisation à domicile avec l’obligation d’inscrire son enfant à l’école en cas de deux controles négatifs.
L’article 6 traite des établissements locaux d’enseignement international. Un établissement de ce type a été créé à Strasbourg pour renforcer la dimension de capitale européenne de cette ville en 2012. Cet article ne se justifie que si le ministre veut multiplier ce genre d’établissement largement dérogatoires pour ses enseignements tout en restant public. Autrement dit on peut se demander si JM Blanquer ne pense pas aller vers des « academies » à l’anglaise, des écoles publiques à large autonomie.
Une porte vers l’annualisation des services
L’article 8 modifie le régime des expérimentations issu de la loi Fillon. Le texte précise que « ces expérimentations peuvent concerner l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire, l’utilisation des outils et ressources numériques, la répartition des heures d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire dans le respect des obligations réglementaires de service des enseignants et les procédures d’orientation des élèves ». Autrement dit il ouvre la voie à l’annualisation des services d’enseignement là où l’institution le souhaite. Une réflexion qui est à lier à l’article 6… mais pas uniquement.
On n’est jamais aussi bien contrôlé que par soi-même
L’article 9 crée un Conseil d’évaluation de l’Ecole composé de 10 dont 8 choisis par le ministre qui a été décrit dans cet article. Avec 8 membres sur 10 désignés par le ministre dont 4 sont des fonctionnaires, le nouveau conseil n’a plus aucune indépendance. La durée de leur mandat, 3 ans seulement aggrave cette dépendance. Clairement JM Blanquer a fait le choix de confier l’évaluation de sa réussite au ministère à… lui-même. Les nouvelles missions du Conseil d’évaluation interrogent également. Ce nouveau Conseil d’évaluation de l’école n’évaluera plus les politiques scolaires ! Si ce projet voit le jour, il ne restera plus que les évaluations internationales pour avoir un regard indépendant sur l’Ecole française sans avoir le travail d’explication et d’analyse extrêmement riche qu’a produit le Cnesco salué encore récemment par un rapport parlementaire.
Les remplacements effectués par les AED
Les articles 10 à 12 remplacent les ESPE par des INSP. Leurs directeurs seront choisis par les ministres, et non plus par la procédure universitaire normale.
L’article 13 prévoit que » lorsqu’ils sont recrutés alors qu’ils sont inscrits dans une formation préparant aux concours d’accès aux corps des personnels enseignants ou des personnels d’éducation, (les assistants d’éducation) peuvent également se voir confier, respectivement, des fonctions pédagogiques et d’enseignement ou des fonctions d’éducation ».
Cet article surprend. Aujourd’hui des AED ayant une licence peuvent déjà effectuer un remplacement. Si le ministre choisit de mettre cela dans sa loi c’est probablement qu’il pense à une réforme de la formation inscrivant les remplacements dans la tâche des AED avant la licence dans la cadre d’une réforme de la formation. On aurait là une évolution de la formation des enseignants aboutissant à la banalisation d’un corps de sous enseignants.
La réforme territoriale par ordonnances
Les article 17 et 18 prévoient que le gouvernement effectuera la réforme territoriale de l’Education nationale par voie d’ordonnances. Il se donne donc carte blanche pour cette opération à grands risques pour les enseignants. Ce nouveau découpage pourra affecter les procédures d’affectation des enseignants de façon importante et aura aussi des effets importants de « rationalisation » de la carte scolaire. A noter que le projet veut aussi « simplifier » le fonctionnement des conseils de l’éducation nationale.
Ce projet de loi peut porter des modifications substantielles de l’Ecole. Bien loin d’être à l’image de l’Ecole de la confiance, le ministre y avance masqué. Mais si le projet de loi est obscur c’est aussi parce que c’est un bric à brac de mesures sans logique interne. Et les parlementaires pourraient bien y trouver à redire.
François Jarraud