Les évaluations au primaire ont une longue histoire. En 2015, un numéro d’Education & formations (n°86-87), une revue de la Depp (division des études du ministère) la retrace sous la plume de Bruno Trosseille et Thierry Rocher. Sans revivre 40 ans d’histoire, la parcourir apporte des réponses aux questions d’aujourd’hui. Surtout quand l’histoire des évaluations croise celle du ministre actuel.
» Depuis une quarantaine d’années, le ministère de l’Éducation nationale a mis en oeuvre des évaluations tantôt « de masse », tantôt sur échantillons. Ces évaluations peuvent avoir deux fonctions principales : de diagnostic lorsqu’elles sont élaborées pour fournir aux enseignants des outils professionnels qui leur sont nécessaires pour adapter leur enseignement en fonction des acquis de leurs élèves ; de bilan lorsque l’objectif est d’observer les acquis des élèves et leur évolution pour le pilotage d’ensemble du système éducatif. La confusion, dans une même évaluation, de ces deux fonctions est potentiellement source d’erreurs et de troubles, tant sur le plan scientifique que sociétal », expliquent Bruno Trosseille et Thierry Rocher d’emblée.
2006-2007
Ici nous reviendrons sur deux épisodes seulement. Ceux des évaluations en 2006-2007, époque où JM Blanquer est directeur adjoint du cabinet du ministre G de Robien et celles de 2008-2012 époque où il est à la tête de l’enseignement scolaire (Dgesco).
» Pour répondre à la demande de repérage des élèves rencontrant le plus de difficultés, sont donc expérimentées6 en 2004 et en 2005, et généralisées dès la rentrée 2006, de nouvelles évaluations en début de CE1, en lien avec les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE). Elles s’inscrivent dans le dispositif de prévention de l’illettrisme et en cohérence avec les nouveaux programmes de 2002. Elles seront suivies du même type d’évaluations en début de CM2, sous statut expérimental à la rentrée 2007″, racontent les deux auteurs. » Le cahier des charges de l’évaluation en CE1 précise qu’elle ne fera pas l’objet de statistiques au niveau national et qu’il n’y aura donc pas de remontées vers le Ministère. Cependant, dès 2006, dans une note interne du 16 octobre, le directeur de cabinet demande de produire pour le 20 décembre « une synthèse des résultats de l’évaluation nationale de CE1 » et, pour l’année scolaire suivante, la préparation d’un dispositif fonctionnel de remontée exhaustive des résultats des évaluations aux différents niveaux territoriaux pour « permettre aux différents échelons de pilotage pédagogique du premier degré d’appréhender finement la situation réelle de nos élèves en matière de maîtrise des compétences du socle commun ».
Mais ces évaluations de 2006-2007 sont mal reçues. « Ce mélange des genres est mal reçu au niveau local comme en témoigne le rapport établi en mars 2007 par Claus et Mégard », rappellent les auteurs. Elles disparaissent en 2007, en même temps que JM Banquer quitte la rue de Grenelle, mais au profit de nouvelles évaluations qui vont faire encore plus de bruit.
2009-2012
Cette fois ci c’est la Dgesco qui va s’emparer des évaluations avec le retour de JM Blanquer, nommé Dgesco par Luc Chatel sous le président Sarkozy. Celui-ci a fixé au ministre de l’éducation nationale un objectif précis. « Nous voulons que la rémunération des enseignants corresponde mieux à l’importance de leur rôle pour la nation… Nous souhaitons que le mérite soit reconnu, tant au niveau individuel que collectif. C’est possible tout en étant objectif », écrit N Sarkozy. « Nous souhaitons que vous mettiez en place un dispositif d’évaluation beaucoup plus conséquent de notre système éducatif. Celui-ci devra comprendre quatre volets : une évaluation systématique de tous les élèves tous les ans, afin de repérer immédiatement les élèves en difficulté et de pouvoir les aider ; une évaluation régulière des enseignants sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves ».
Les « nouvelles évaluations en CE1-CM2 sont en totale rupture avec les évaluations précédentes à ces niveaux scolaires », expliquent B Trosseille et T Rocher. « Situées en fin d’année scolaire pour le CE1, en janvier pour le CM2, elles sont présentées au départ comme des bilans devant également servir à évaluer les enseignants. La publication des résultats sur Internet, école par école, est même annoncée… Devant la levée de boucliers suscitée tant chez les enseignants que chez les parents d’élèves, l’idée de la publication des résultats école par école fait long feu. Toutefois, subsiste chez les enseignants une défiance quant à la vraie nature de ces évaluations, présentées à la fois comme bilan et comme diagnostic, en insistant tantôt sur un aspect, tantôt sur l’autre, et pouvant servir à contrôler leur valeur professionnelle ». Ce qui va tuer ces évaluations c’est leur manque de fiabilité dénoncé par la Depp et aussi par une instance d’évaluation de l’Ecole réellement indépendante : le HCE. La gauche les enterre en arrivant au pouvoir en 2012.
La conclusion qu’en tiraient les deux chercheurs de la Depp en 2015, en citant le HCE, c’était qu’il ne fallait pas mélanger les genres. » Il n’est pas de bonne méthode de confondre deux types d’évaluations : d’une part les évaluations dans la classe dont l’enseignant a régulièrement besoin pour adapter son enseignement en fonction des acquis de ses élèves, d’autre part une évaluation nationale destinée au pilotage du système éducatif ».
Aujourd’hui ce rappel historique nous permet d’interroger les nouvelles évaluations de CP et de CE1 notamment sur la question des remontées nationales et de leur utilisation. Ona déjà vécu tout cela.
François Jarraud
L’article dans Education & formations n°86