Une bonne nouvelle en cette rentrée un peu morose : loin de l’image déprimante de jeunes obsédés par les selfies et gagnés par le « complotisme », les lycéens français ont une réelle soif d’engagement. Mais l’école peine à leur répondre. Pire : les meilleurs élèves, que d’aucuns assimilent aux « premiers de cordée », traînent des pieds et figurent parmi ceux souhaitant le moins s’engager. Ce sont les principaux résultats d’une étude inédite du CNESCO (conseil national d’évaluation du système scolaire) publiée aujourd’hui.
Alors que l’attitude des jeunes à l’égard de la démocratie est de plus en plus questionnée, notamment dans certains quartiers, la France a produit peu d’études sur le sujet. Le CNESCO entend ainsi combler un vide. Après un travail de préparation de deux ans, il a mené une vaste enquête statistique en 2018 auprès de 16 000 collégiens et lycéens, de la troisième à la terminale. Un premier volet, centré sur l’attitude des lycéens de terminale, est dévoilé aujourd’hui. D’autres volets seront publiés au fil des mois.
Associations
Premier constat : les lycéens se détournent des modes traditionnels d’engagement – adhésion à un parti, à un syndicat… – et préfèrent des formes plus modernes – manifester ou signer une pétition sur un sujet qui les concerne, faire du bénévolat pour des causes les mobilisant… Ainsi, 44% des lycéens interrogés disent qu’ils sont engagés dans une association humanitaire ou de défense de l’environnement – il peut s’agir ici d’une action ponctuelle, voire unique, ou régulière. Et ils sont même 75% à affirmer vouloir, adultes, poursuivre un engagement bénévole.
Au delà de ces chiffres montrant que les jeunes sont loin d’être aussi apathiques ou égoïstes qu’on le dit, plusieurs groupes restent en retrait. Et parmi eux, les « excellents » élèves – ce qui constitue la grande surprise de l’enquête. Ils sont 12% à répondre qu’ils n’auront aucun engagement d’aucune sorte plus tard – ils ne voteront pas, ne feront pas de politique, pas de bénévolat, etc. Les « mauvais » élèves sont, eux, 11% – la moyenne des lycéens de terminale étant de 4%.
Élite
« Les excellents élèves sont aussi parmi ceux affichant une confiance particulièrement faible dans les institutions, souligne Nathalie Mons, la présidente du CNESCO qui présentait l’enquête le 6 septembre à la presse. Ces résultats conduisent à s’interroger sur la construction de notre élite scolaire. Est-elle trop concentrée sur le scolaire ? Les élèves sont-il trop rivés à leurs résultats au point qu’ils n’accordent plus de temps à d’autres formes d’action ? Il faut y réfléchir. «
Les autres groupes où l’on retrouve des jeunes désinvestis, sont plus attendus. Il s’agit des lycéens de la voie professionnelle – 11% assurent qu’ils n’auront aucun engagement plus tard -, ceux issus de milieu défavorisé (8%) et plus encore de milieu intermédiaire (11%), enfin ceux dont les parents ne s’intéressent pas du tout à l’actualité (22%) – le contexte familial pèse lourd sur tous ces sujets.
Du côté des mauvaises nouvelles, l’école ne parvient pas à répondre à cette appétence d’engagement. Près de deux tiers (63%) des lycéens de terminale n’ont jamais participé à un projet citoyen dans leur établissement alors même que, depuis 2016, ces projets sont encouragés dans le cadre du Parcours citoyen. Ici, le privé dame le pion au public – 48% des lycéens y ont suivi un tel projet contre 33% dans le public.
Délégués
La vie démocratique au lycée passe par l’élection des délégués. Formellement, cela fonctionne : 25% des élèves de terminale ont déjà été délégués. Mais il y a peu de compétition lors de ces scrutins, donc peu de débats. Souvent, c’est un bon élève qui se présente, réputé plus sérieux et mieux vu des profs. Et l’on n’échappe pas au cumul des mandats (délégué de classe, au CA ou au CVL)….
Par ailleurs, les élèves de terminale ne sont pas naïfs. La moitié (49%) estiment que leur avis « n’est pas vraiment pris en compte dans les conseils de classe ». Ils restent toutefois attachés à cette élection et jugent utile d’avoir un délégué pour exposer leurs problèmes.
» C’est important car il s’agit de la première expérience d’engagement, explique Nathalie Mons, si elle est mauvaise, si on élit des gens dont on pense qu’ils ne seront pas écoutés, cela peut nourrir le sentiment, plus tard, de ne pas peser. Or pour les experts l’engagement à l’adolescence prépare l’engagement futur ».
Stéréotypes
Autre mauvaise nouvelle : les stéréotypes de genre ont la vie dure. Les garçons se retrouvent plus souvent délégués de classe et dans un mouvement politique. Les filles s’engagent davantage dans les activités au sein du lycée et dans l’humanitaire. De même, plus tard, les garçons imaginent volontiers se présenter à des élections tandis que les filles disent qu’elles iront voter, qu’elles défileront si besoin pour protester et qu’elles feront du bénévolat.
En toile de fond, l’étude montre que les lycéens sont un peu moins pessimistes que leur aînés. Alors que les Français sont parmi les champions de la défiance à l’égard des institutions, ils sont un peu plus confiants. L’armée arrive en tête de la confiance (74%), loin devant le gouvernement (22%) et les partis (13%), bons derniers. De plus, s’ils ne croient guère en l’action politique, ils affirment massivement vouloir voter aux élections nationales jugées à enjeu.
Opportunités
Le CNESCO avance trois préconisations. « Il faudrait davantage valoriser ces formes d’engagement, explique sa présidente. On pourait imaginer un compte temps, un nombre d’heures de bénévolat à réaliser pour avoir le bac. Les lycéens se plaignent aussi de ne pas avoir d’opportunités concrètes d’engagement : l’idée serait de mettre en place une plateforme nationale d’opportunités. Enfin, les enseignants et les CPE devraient être davantage formés aux pédagogies actives. Les équipes ne sont pas opposées à ces projets citoyens mais elles ne savent pas toujours comment faire ».
Comme avec son rapport sur la mixité scolaire, le CNESCO espère ouvrir le débat sur l’attitude civique des lycéens, sujet capital pour l’avenir. Reste à savoir comment son étude va être évaluée rue de Grenelle.
Véronique Soulé