« Comment accepter la suffisance et le mépris de ceux qui , face aux difficultés éducatives d’aujourd’hui, tout en n’ayant que le mot « confiance » à la bouche, ne proposent comme grille de lecture que la désignation de boucs émissaires – le pédagogisme et l’égalitarisme – et le recours à des remèdes miracles – les neurosciences et le numérique. » Philippe Meirieu lance « La Riposte », un nouvel ouvrage qui sort aujourd’hui. Face aux bonnes vieilles méthodes qui trient les élèves, aux écoles alternatives qui exploitent les parents et aux usages abusifs des neurosciences il appelle à « en finir avec les miroirs aux alouettes » et à relever les vrais défis éducatifs. La pédagogie est de retour. Le Café pédagogique vous offre cet ouvrage pour toute adhésion à notre association de soutien.
Vous publiez une « Riposte » aux « miroirs aux alouettes ». Les miroirs aux alouettes on les lit tous les jours. Ce sont à la fois les anti-pédagos et ce que vous appelez les « hyper-pedagos », une variété plus nouvelle. Comment expliquer le succès de leurs thèses qui semblent pourtant très fragiles ?
J’ai le sentiment que nous assistons aujourd’hui à une sorte de « cristallisation idéologique », une configuration particulière de convergences et d’alliances qui méritent d’être comprises, tant à la lumière de l’histoire qu’à celle de l’examen des principaux enjeux éducatifs contemporains. Il y a, en effet, quelque chose d’étonnant à voir, simultanément et souvent plébiscitées par les mêmes médias, la montée en charge d’une gestion autoritariste et technocratique du système scolaire à travers la nostalgie des « bonnes vieilles méthodes » et l’hégémonie de l’évaluation – et d’une injonction systématique au « respect de l’enfant » – à travers la séduction qu’exerce, par exemple, la psychologie et la pédagogie « positives ». Comme il est étonnant de voir se développer, tout à la fois, la référence à l’Éducation nouvelle (à travers l’image de Maria Montessori en particulier) et la mythologie des sempiternels « retours » : retour de l’autorité, de la dictée, de la méthode syllabique, du travail « sérieux » dans le strict respect des disciplines contre une interdisciplinarité qui serait condamnée à la superficialité, etc.
Ainsi cohabitent étrangement un discours « anti-pédago » et un discours « hyper-pédago » Les « anti-pédagos » s’élèvent contre ce qu’ils décrivent comme un refus de transmettre ; ils expliquent que l’instruction ne se « négocie » pas et que la véritable éducation est une rencontre « pure » avec les savoirs, complètement incompatible avec les « gymnastiques non-directives » du constructivisme ou de la pédagogie de projet. Les « hyper-pédagos » développent, eux, une forme de spontanéisme naïf, considérant que toute contrainte est castratrice, que l’enfant est naturellement un être merveilleux, qu’il ne désire qu’apprendre, que l’école l’ennuie, le sclérose et l’éloigne des savoirs qu’elle prétend transmettre.
Les « anti-pédagos » sont, effectivement, mieux identifiés et ils ont pignon sur rue à travers une belle brochette de chroniqueurs et d’intellectuels, de Jacques Julliard à Natacha Polony, d’Alain Finkielkraut à Michel Onfray. Les « hyper-pédagos » sont apparus pourtant dans la mouvance de l’Éducation nouvelle – A.-S. Neill à Summerhill en est un bel exemple – mais leur discours est resté relativement marginal. Il se développe aujourd’hui, en phase avec tout un courant très individualiste du « développement personnel » : on y exalte la « bonne nature de l’enfant », la priorité absolue de son « bien-être », le refus de toute obligation et le développement de la créativité contre toute forme de « normalisation ». On y dénonce, comme Ken Robinson, le formatage insupportable des enfants qui ne les prépare pas à exercer leur « liberté d’entreprendre » dans la société libérale… Certes, les enseignants qui se réfèrent à ces thèses ne sont pas très nombreux. On ne les trouve guère que dans certaines écoles privées hors-contrat, comme les « écoles démocratiques », mais l’idéologie hyper-pédago est néanmoins très fortement dans l’air du temps au point qu’un hebdomadaire, pas particulièrement gauchiste, comme Le Point peut, à quelques jours d’intervalle, vilipender la réforme du collège qualifiée de pédagogisme aventuriste, et prôner le refus des sanctions, le retour à la nature, la spontanéité créatrice, à travers une interprétation, d’ailleurs discutable, de Montessori, Steiner ou de la « psychologie positive ». Résultat : l’idéologie « hyper-pédago » s’infiltre largement chez les parents qui n’hésitent pas à l’utiliser pour défendre leur propre enfant contre tout ce qu’il estime être des « maltraitances » : beaucoup d’enseignants du premier degré peuvent témoigner de cela. C’est le signe clair de la montée de ce que j’appelle le familialisme – dont la pointe avancée est l’instruction en famille – et qui est un dérivé de l’individualisme : la volonté de donner la priorité aux intérêts de l’individu à court terme contre le « bien commun », la volonté de contrôler l’éducation pour n’avoir que des écoles homogènes, idéologiquement, sociologiquement et pédagogiquement, avec l’univers familial. À terme, c’est, bien sûr, la mort ou le démantèlement du service public et la clanification de l’éducation.
Évidemment, vous n’avez pas manqué de remarquer que les « anti-pédagos » qui s’acharnent sur des gens comme moi, sont étrangement muets sur les hyper-pédagos ! Ce n’est pas un hasard : les uns et les autres sont profondément élitistes : les premiers veulent que l’École soit toute entière à l’image des classes prépas… les seconds qu’elle privilégie l’entre-soi des parents « éclairés ».
Une troisième influence s’exerce sur l’Ecole celle des neuroscientifiques. La science peut elle dicter une politique éducative ?
Je crois, pour ma part, à l’importance de la recherche scientifique… Même si je ne manque pas de faire remarquer que cette croyance est tout sauf scientifique ! Mais je crois que les sciences ne peuvent nullement dicter les pratiques, qu’elles soient pédagogiques ou politiques. En d’autres termes, toute recherche authentique doit être « scientifique » (dès lors qu’on entend ce terme au sens large et que l’on considère que la recherche philosophique ou pédagogique peut être « scientifique », c’est-à-dire rigoureuse et falsifiable), mais les pratiques relèvent toujours de ce que Michel de Certeau nommait « l’art de faire ». Un « art de faire » qui peut et doit être éclairé par les connaissances scientifiques, mais qui leur est irréductible.
Plus précisément, sur la question des neurosciences, elles peuvent – comme, d’ailleurs, les comparaisons internationales ou la myriade d’évaluations qui nous arrive – nous fournir un « tableau de bord » utile : « Là, il y a des conditions qui ne sont pas remplies ; là il y a un signal qui m’indique que cela ne fonctionne pas ; là il y a une dimension que j’avais peut-être oubliée… ». Mais le tableau de bord ne peut remplacer ni le moteur, ni le choix de la direction. Autrement dit, les neurosciences ne peuvent nous permettre d’évacuer la « passion d’enseigner » et l’engagement personnel dans le métier, pas plus qu’elles ne peuvent nous exonérer de nous interroger sur nos priorités éducatives. À écouter les neuroscientifiques, je vois bien que les neurosciences « valideraient » certaines intuitions de Maria Montessori, mais si, comme je le crois, la priorité, dans une société menacée d’exploser sous la pression des individualismes, est la construction du collectif, alors il vaut mieux aller voir du côté de Célestin et Élise Freinet.
Enfin – mais cela a souvent été dit dans ces colonnes – je crains plus que tout une idéologie des « bonnes pratiques » qui prétendrait répondre scientifiquement à tous les problèmes pédagogiques : cela prolétariserait complètement l’enseignant tout en faisant l’impasse sur l’élève comme sujet. Car l’important, à mes yeux, est bien de mobiliser la volonté de l’élève, de lui permettre de s’engager délibérément, de se donner des objectifs et de déployer des efforts pour les atteindre… plutôt que de le faire avancer comme un rat dans un labyrinthe, à la manière de l’enseignement programmé de Skinner, même si on lui facilite le parcours en le regardant avec bienveillance et en lui évitant le stress !
Vous critiquez aussi ce qui est presque devenu un dogme rue de Grenelle : l’autonomie des établissements, le pilotage par les preuves. Pourquoi les écarter face à la crise de l’Ecole ?
Je ne critique pas l’autonomie des établissements en elle-même. J’en critique la déclinaison libérale, c’est-à-dire la mise en concurrence des établissements à travers un cahier des charges à géométrie variable (ce qui va être renforcé par la réforme du baccalauréat) et une évaluation « publique » des résultats qui va stimuler considérablement les stratégies de consumérisme. En revanche, je souhaite, bien sûr, que les établissements puissent innover et construire des alternatives à la « forme scolaire » traditionnelle (un enseignant, une classe, des heures de cours, des élèves du même âge et du même niveau qui font tous la même chose en même temps)… mais à condition que cela se fasse dans le respect d’un cahier des charges national très clair et en proportionnant beaucoup plus qu’aujourd’hui les dotations aux difficultés sociales et scolaires des élèves scolarisés.
Quant au « pilotage par les preuves », il reste tributaire de la réponse à la question : les preuves de quoi ? Les preuves que les enseignants ont bien entraîné leurs élèves à passer les tests d’évaluation ? Les preuves qu’ils les ont poussé à s’engager dans des aventures culturelles de haut niveau ? Les preuves qu’ils les ont formé à une citoyenneté solidaire ? En éducation, les « preuves » n’existent pas. Ce qui existe, ce sont des « indicateurs » qui permettent de se situer au regard des finalités que l’on vise… Et puis, enfin, j’ai vraiment peur que le « pilotage par les résultats » aboutisse, dans de nombreux cas, à « arroser là où c’est mouillé », en donnant encore plus à ceux qui réussissent bien parce qu’ils ont déjà beaucoup.
Après avoir analysé la situation, vous construisez ce que vous appelez un « modèle pédagogique » qui devrait permettre de penser l’éducation aujourd’hui. De quoi s’agit-il ?
Je cherche d’abord à comprendre comment ont été bâtis, tout au long de l’histoire, les modèles éducatifs qui ont donné lieu à des avancées importantes, et je montre qu’ils se sont toujours constitués en articulant trois pôles : un pôle qui renvoie aux finalités (qui furent, d’abord, théologiques, puis politiques et philosophiques), un pôle qui renvoie aux connaissances disponibles – et que l’on décide de privilégier – sur l’enfant et les processus d’apprentissage, un pôle qui renvoie aux institutions, aux outils, aux méthodes que l’on emprunte ou que l’on invente. Cet « assemblage » n’a rien de « scientifique » en lui-même puisqu’il associe trois réalités de registres très différents dont, à un moment donné, la combinaison fait sens… Mais cet assemblage est nécessaire car ces trois réalités sont constitutives de l’entreprise éducative elle-même.
Alors, bien sûr, il arrive qu’un pôle soit oublié : c’est le cas du pôle des connaissances qui est passé à la trappe aussi bien par les « anti-pédagos », qui prônent le seul cours magistral sans prendre en compte ce que nous savons sur les conditions du conflit sociocognitif… que par les « hyper-pédagos » qui prônent le travail de groupe sans avoir le minimum d’information sur les travaux de psychologie sociale cognitive et en ignorant tout des conditions des interactions entre pairs. Ailleurs, c’est le pôle des institutions, méthodes et outils qui est ignoré : on articule alors des finalités politiques et des connaissances scientifiques, mais cela ne sert qu’à critiquer l’existant sans jamais rien proposer. Enfin, et c’est ce que nous voyons tous les jours, c’est le pôle des finalités qui est souvent oublié : on « déduit » des pratiques à partir de connaissances, en laissant croire que, dès lors, les pratiques sont « évidentes » (on dit « basées sur l’évidence »).
Or, oublier ou minimiser la question des finalités, c’est faire fi d’un certain nombre de problèmes épistémologiques délicats. Les connaissances disponibles ne sont, en effet, ni homogènes ni même, parfois, compatibles ; elles ne progressent pas de manière linéaire et on ne voit pas pourquoi les neurosciences seraient, à cet égard, un meilleur appui que la psychologie de Winnicott ou la sociologie de Bernstein. Choisir les unes plutôt que les autres n’est donc pas « neutre » : en réalité, cela en dit long sur les finalités implicites auxquelles on se réfère : le choix des neurosciences comme « fondement » – et non comme éclairage – des pratiques renvoie, pour moi, à une représentation de l’ « homme-machine » difficilement articulable avec des finalités d’émancipation, mais tout à fait compatible avec la nouvelle « industrialisation du numérique », comme dit Bruno Devauchelle. Pour ma part, je m’appuie clairement sur des connaissances – la phénoménologie, la psychologie du développement chez Vygotsky et Bruner, l’analyse institutionnelle – que j’articule avec ce que je crois devoir être les finalités prioritaires aujourd’hui – apprendre à penser et construire du commun – et des propositions concrètes en matière institutionnelle et instrumentales. L’important, pour moi, était bien de rechercher un « modèle » où les trois pôles seraient explicites et en cohérence, afin de pouvoir le soumettre au débat.
Dans le cadre de vos propositions, vous appelez à « réinstitionnaliser » l’Ecole. Mais n’est ce pas ce que JM Blanquer fait avec ses appels à la confiance ?
« Réinstitutionnaliser », c’est, pour moi, clarifier les finalités et se donner des priorités claires en termes de valeurs devant guider l’organisation de la vie collective. M. Blanquer promeut « le respect d’autrui » ? Qui peut lui donner tort ? Même si l’on préfèrerait qu’il décline précisément ce que veut dire, dans le quotidien des écoles, « liberté – égalité – fraternité » : quelle formation à la liberté ? Quelle véritable égalité ? Quelle promotion de la fraternité ?
Car il ne s’agit pas de « sauter sur sa chaise comme un cabri », pour reprendre une formule célèbre, en disant « confiance » ou « respect », il faut que les actes, au quotidien, incarnent cette confiance et ce respect. La confiance et le respect, dans une école, ça se construit à travers l’entraide systématique entre élèves de niveaux différents, grâce à une pédagogie coopérative authentique, en développant des instances de parole exigeante comme les ateliers-philo (qui semblent passer à la trappe et qui n’existent toujours pas en lycées professionnels)… La confiance et le respect, cela se construit, dans l’Éducation nationale, en travaillant avec tous les acteurs et en respectant la professionnalité de chacun. Cela ne signifie pas renoncer à ses convictions ou à son point de vue, bien au contraire. Cela signifie accepter de mettre ses convictions et ses points de vue à l’épreuve du débat démocratique.
Comment construire du collectif qui soit reconnu dans l’Ecole ?
En travaillant, au niveau de l’école ou de l’établissement, en structurant des rituels qui font sens pour les élèves et incarnent le projet de l’École républicaine : « Nous sommes là pour apprendre ensemble et apprendre à faire ensemble société ». Je sais que beaucoup d’école et d’établissements cherchent à faire cela, mais cela n’est pas assez soutenu aujourd’hui à mes yeux. On formalise la « rentrée en musique » (qui n’est qu’une forme possible pour créer du collectif) au lieu d’impulser une vraie politique de structuration de la vie scolaire, en s’appuyant sur les Conseillers principaux d’éducation par exemple. On fait du symbolique bien visible par l’opinion, au lieu d’engager des démarches de fond sur le long terme.
Et puis, le collectif, cela se structure en découvrant qu’on a besoin de l’autre et que c’est grâce à lui qu’on peut soi-même se développer. C’est pourquoi j’insiste tant sur l’entraide entre élèves qui devrait, à mes yeux, faire partie du cahier des charges imposé à tous les établissements : quand j’aide un autre, je découvre que je connais encore mieux ce que je lui explique grâce à ses difficultés de compréhension. C’est fabuleux comme découverte ! Et, bien sûr, le collectif se construit par la coopération… mais la vraie coopération : une coopération organisée, régulée, médiatisée par des outils comme ceux proposés par la pédagogie Freinet ou la pédagogie institutionnelle. Sans cela, la coopération dérive vite vers une répartition des tâches entre concepteurs, exécutants, chômeurs et gêneurs qui ne fait qu’accroître, à l’école, les fractures sociales existantes.
Comment donner le gout d’apprendre ?
La question est essentielle et c’est pourquoi je suis heureux que l’éditeur de La Riposte réédite l’ouvrage collectif que j’avais coordonné en 2014 sur Le plaisir d’apprendre. La question du « plaisir » est, en effet, une question centrale, tant sur le plan didactique que sur les plans pédagogique et politique. Au plan didactique, il faut bien distinguer le « désir d’apprendre » et le « désir de savoir » : les « hyper-pédagos » confondent l’un et l’autre et croient qu’il suffit que l’enfant désire savoir pour qu’il veuille apprendre ! C’est complètement faux : l’enfant veut plutôt « savoir sans apprendre », car apprendre demande du temps et des efforts qu’il n’est pas toujours prêt à consentir. Il est donc essentiel de passer d’une « pédagogie de la réponse » à une « pédagogie de la démarche » et de faire entrevoir le plaisir de comprendre tout autant que la satisfaction de réussir. Au plan pédagogique, il y a, je crois, l’importance déterminante du « rapport au savoir » : ce que transmet l’enseignant, c’est tout autant son rapport au savoir que son savoir. S’il a un rapport au savoir fossilisé et figé dans les seules procédures évaluatives, il ne risque pas vraiment d’engager l’élève dans un processus d’apprentissage. Ce processus s’engrène sur l’engagement du maître lui-même dans la transmission, et c’est pourquoi la formation continue, aujourd’hui sinistrée, est si importante.
Enfin, même si cela peut surprendre, la question du plaisir d’apprendre est une question éminemment politique : veut-on le faire découvrir à toutes et tous ou le réserver à ceux qui ont eu la chance de le découvrir dans leur environnement familial ? Et plus largement encore : où veut-on que nos enfants trouvent demain leur plaisir ? Dans la consommation compulsive d’objets qui épuisent les ressources de notre Terre ou dans le partage des œuvres de culture qui ont cet immense privilège de s’accroître et de se renouveler quand on les partage ?
Quel regard portez vous sur la première année de J.M. Blanquer ?
Le ministre me semble bien incarner les contradictions que j’ai pointées, y compris une double sympathie vers, tout à la fois, les « anti-pédagos » et les « hyper-pédagos ». Je crois même qu’il a dépassé, et de beaucoup, le « en même temps macronien » pour adopter une sorte de « à la fois » qui semble très œcuménique et lui vaut la bienveillance des chroniqueurs de la droite dure de comme de ceux de la gauche libertaire, des hommes politiques et des intellectuels nostalgiques de la 3ème République comme des partisans du transhumanisme qui ne pensent notre avenir qu’à travers la promotion de l’Intelligence artificielle.
On pourrait ne voir là qu’un art habile de la synthèse politicienne et une manière de répondre aux aspirations nécessairement disparates du corps social. C’est vrai bien sûr : la semaine de quatre jours satisfait toute une partie de la population pour qui le confort de vie des adultes est plus important que l’éducation des enfants… Le recours aux comparaisons internationales et aux neurosciences rassure des parents inquiets, sans boussole éducative, et qui trouvent là, enfin, des certitudes… d’autant plus, d’ailleurs, que ces « certitudes » semblent conforter leur sentiment que « c’était mieux avant », c’est-à-dire quand ils étaient plus jeunes ! Mais, en même temps, chaque parent attend de l’école et des enseignants que son enfant ne soit pas sacrifié sur l’autel des statistiques et soit traité avec « bienveillance », non seulement comme une « personne », mais bien comme une « exception ».
Pourtant, en réalité, derrière ce qui pourrait apparaître comme de l’opportunisme et qui se veut un « pragmatisme » fondé sur le bon sens et sur la preuve, il y a, je crois, un noyau idéologique parfaitement cohérent : celui d’une société libérale et individualiste où la « réussite » est réduite à la « performance », où l’humain est réduit à la machine, la vie ramenée aux chiffres et le monde à un vaste système de concurrence entre des intérêts qu’on laisse se développer avec la certitude que « le progrès » est à la clé.
Le moment est il venu de « la riposte » ?
Oui, bien sûr. Mais une riposte constructive. Le temps est passé, à mes yeux, d’attaques purement négatives et, d’ailleurs, je n’y consacre que quelques pages dans mon livre. Je crois à la nécessité d’une riposte en termes de propositions fortes sur des questions restées trop longtemps en jachère comme : qu’est-ce qu’un service public aujourd’hui qui prenne en compte des citoyens et non des usagers ? Qu’est-ce qu’une école qui transmet et émancipe à la fois ? Qu’est-ce que notre École peut faire pour garantir l’avenir du commun ? De beaux chantiers. Beaucoup de travaux en perspective. Ce n’est qu’un début…
Propos recueillis par François Jarraud
Philippe Meirieu, La Riposte. Pour en finir avec le miroir aux alouettes, Autrement. 2018. ISBN : 9782746747579