« Etre plus accessible et plus à l’écoute des élèves sans pour autant renoncer à transmettre. Conforter une école bienveillante et exigeante… Voilà clairement établie un lien entre conditions d’enseignement et transmission des savoirs ». Omar Zanna (Iniversité Le Mans) et Bertrand Jarry (formateur académique) signent un ouvrage qui montre l’intérêt d’un enseignement de l’empathie dans le système scolaire parce que « la qualité même de l’apprentissage d’une discipline ne peut pas s’affranchir du rapport émotionnel entretenu avec elle ». L’ouvrage montre, fiches pédagogiques à l’appui, particulièrement dans l’enseignement secondaire, comment mettre en oeuvre concrètement une éducation aux émotions et à l’empathie. Il montre aussi les retombées en terme de réussite scolaire. Yoganimo, chaise des émotions, messages clairs, tout cela est évalué. Bertrand Jarry revient sur ces expériences et montre la nécessité de l’empathie dans un système éducatif qui reste inégalitaire.
Vous êtes CPE. En quoi cela appuie votre ouvrage sur l’empathie ?
Comme CPE on est confronté aux difficultés d’ordre relationnelle et aux problèmes de violence. Cela m’a amené à réfléchir sur la prise en charge des adolescents. Cela m’a amené à réfléchir au passage de la responsabilité juridique à la responsabilité morale avec Omar Zanna.
Dans les collèges on a des profils d’élèves similaires à ceux des jeunes délinquants. On voit ces enjeux se mettre en place dans la cour de récréation. On est amené à réfléchir sur ce passage et comment s’en saisir dans les heures de vie de classe. Non plus rappeler la loi et la responsabilité juridique : ils les connaissent et ça ne suffit pas. Mais travailler sur la responsabilité morale : je n’agresse pas parce que la loi l’interdit mais parce que l’autre est un prolongement de moi.
Comment pourrait on définir ce qu’est l’empathie ?
C’est la capacité à se mettre à la place de l’autre sans s’y confondre. Il y a deux formes d’empathie : cognitive et émotionnelle. L’empathie cognitive c’est ce que font les enseignants quand ils préparent un cours : ils se mettent à la place des élèves pour imaginer leurs difficultés. L’empathie émotionnelle c’est la réception émotionnelle d’autrui. Les deux formes sont différentes et complémentaires. C’est le dialogue entre les deux qui permet d’accéder à une empathie mature. L’empathie peut aussi faire le pire : exercer une perversion ou souffrir de contagion émotionnelle si je suis trop en résonance. L’empathie mature articule les deux formes d’empathie et let à distance l’empathie émotionnelle.
L’empathie est un sentiment mais dans le livre il est aussi question du corps…
L’empathie émotionnelle passe par le corps. C’est lui qui la met en route. En EMC par exemple l’activité scolaire reste exclusivement cognitive. Rarement on utilise dans l’école l’activité corporelle comme support d’apprentissage. Yves Reuter s’est intéressé à cette question en interrogeant les élèves sur leur souvenir lié aux disciplines. Or ce qui ressort en premier ce sont des situations d’apprentissage où les élèves sont mobilisés par l’émotion. On se souvient du passage au tableau ou d’une rencontre avec une pièce de théâtre par exemple.
Vous écrivez que pour un enseignant se penser en simple passeur de connaissances c’est terminé. Le rapport aux apprentissages a changé ?
Imaginer qu’aujourd’hui l’activité unique de l’enseignant c’est transmettre sans réfléchir à la façon dont on transmet et dont on incarne ce contenu me parait en effet obsolète pour peu qu’un jour enseigner n’ait été que cela. Il faut accueillir des jeunes avec des parcours tellement différents que c’est de plus en plus pressant. La scolarité s’adresse à tous les enfants, même ceux qui n’ont pas les codes de l’école. Et on est souvent interpelé maintenant en lycée avec ces questions.
Vous donnez des exemples d’apprentissage, de l’orthographe par exemple, par le corps. Ca semble marcher. Mais pourquoi ?
Il faudrait explorer plus loin pour le savoir. Ca marche car on permet aux élèves de mobiliser leur corps et pas seulement d’imaginer l’apprentissage comme cognitif. On sait que si les apprentissages mobilisent le terreau corporel ou émotionnel ils s’ancrent mieux dans la mémoire. C’est d’ailleurs mis en lumière par les neurosciences même si des pédagogues l’ont soupçonné sans le prouver. L’activité corporelle permet un meilleur ancrage dans la mémoire.
Plus la recherche avance plus on s’aperçoit que le corps est mobilisé avant la cognition. L’activité cognitive est produite par l’activité corporelle et émotionnelle. L’émotion n’est pas la conséquence de la pensée mais l’activité cognitive est la conséquence de l’émotion. C’est ce qu’on trouvait dans les apprentissages vicariants. On disait que tous les élèves doivent être en activité pour apprendre. On s’aperçoit que des enfants peuvent réussir une tâche juste en l’ayant observé sans manipuler. Il y a un apprentissage par l’observation, le mimétisme. C’est ainsi qu’apprennent les tout petits. L’apprentissage vicariant est efficace.
N’est ce pas un parcours trop long en terme d’efficacité ?
Au départ ça peut paraitre compliqué et demander un fort investissement personnel. Ca amène à se mettre dans des situations inconfortables. Mais je suis certain que c’est utile car aucun enseignant qui s’est lancé dans cette approche ne l’a abandonné. C’est utile au quotidien. Les enseignants qui se sont lancés sont persuadés de mieux faire leur travail quotidien.
Quels conseils donner aux enseignants qui voudraient cultiver l’empathie dans leur classe ?
Il faut d’abord qu’ils cherchent à comprendre pourquoi ils le font. Si je ne le fais que pour un bénéfice immédiat en terme de climat scolaire il va y avoir une déception. C’est une activité systémique où leur investissement personnel sera primordial dans les bénéfices reçus. Le second conseil c’est de s’engager collectivement et pas isolément. Cette mise en place doit être le fruit d’échanges entre collègues.
Enfin il faut bien comprendre qu’on n’a pas de boite à outils mais un fond de sauce. Certains vont travailler le passage au tableau , d’autres la récitation à plusieurs voix, d’autres le champ artistique par exemple. Il faut s’autoriser à modifier ce qui est proposé.
Peut-on développer l’empathie dans un système éducatif inégalitaire ?
Développer l’empathie ce n’est pas que pour les élèves. Ca marche dans les deux sens. Il faut cultiver l’empathie dans ses pratiques et pas seulement dans les activités de classe. C’est aussi une façon d’être avec les élèves au quotidien. L’Ecole doit pouvoir repenser ses missions. Si elle se cantonne à former les esprits elle reproduira les élites. Il faut cultiver l’empathie pour que demain on ait des adultes éclairés responsables et à même de vivre ensemble. L’empathie, la responsabilité morale sont au coeur de nos questions de société. On rêve d’ailleurs de faire nos formations à l’empathie dans les quartiers favorisés…
Propos recueillis par François Jarraud
Omar Zanna, Bertrand Jarry, Cultiver l’empathie à l’école, Dunod, 2018, ISBN 978-2-10-077899-7