« On va établir pour chaque élève à chaque moment un état des lieux de ses forces et de ses besoins. C’est le sens des évaluations auxquelles je fais référence ». Dans son discours de Ludovia, le 21 août, le ministre de l’éducation nationale est revenu sur la place qu’il entend donner aux évaluations nationales mises en place à la rentrée 2018. JM Blanquer répond ainsi à une promesse électorale du président de la République. Mais il leur donne une place plus grande. Pour lui, ce sont elles qui doivent piloter la pédagogie, leur exploitation permettant de déceler les difficultés des élèves et d’ordonner des pratiques pédagogiques.17 ans après les Etats-Unis, la France pourrait basculer dans le pilotage par les résultats. Une vision de l’éducation qui est pourtant très critiquée.
La promesse d’une ère éducative nouvelle
Ce n’est pas tant la mise en place d’évaluations nationales en CP, CE1 et 2de qui marque une nouvelle orientation dans la politique éducative que les outils utilisés. En effet ces évaluations toucheront tous les élèves. Elles seront passées sur tablettes. Les résultats remonteront au niveau national. C’est là qu’elles seront exploitées. Redescendront en cascade une sorte de diagnostic pour chaque élève et chaque classe et, si on suit bien le ministre, une ordonnance à appliquer par l’enseignant.
A Ludovia, le 21 août, le ministre de l’Education nationale a expliqué que grâce à l’intelligence artificielle, « le traitement des données va permettre de mener une politique éducative au plus près des besoins scolaires. Dès cette année on ira dans ce sens avec les évaluations de Cp Ce1 et 2de… On va établir pour chaque élève à chaque moment un état des lieux de ses forces et de ses besoins. C’est le sens des évaluations auxquelles je fais référence ». Et le ministre de promettre des applications connectées aux évaluations et accessibles aux élèves pour s’auto-évaluer à la demande et se voir offrir des remédiations.
A l’origine de cette politique, il y a une promesse du candidat Macron. « Nous introduirons, au début de chaque année, des bilans personnalisés, de la classe de grande section à la troisième, afin que les enseignants disposent d’une base fiable et utile pour mesurer les progrès de chaque élève, et qu’ils choisissent les meilleurs outils pour un enseignement adapté aux besoins de chacun » avait annoncé Macron en 2017.
Un engagement gouvernemental
Cet engagement est confirmé dans le communiqué-programme du premier ministre du 2 aout 2018 sur la politique éducative. » Une véritable culture de l’évaluation, transparente et publique, doit se déployer au service de la réussite des élèves et de la qualité de la vie scolaire », annonce E Philippe. « La mise en place d’évaluations des acquis des élèves en début de CP, mi-CP, début de CE1, début 6ème et début de 2nde générale, technologique et professionnelle sera effective à la rentrée 2018 ». Le premier ministre lie cette culture de l’évaluation à la création « d’une instance d’évaluation (de l’Ecole) par voie législative au 1er trimestre 2019 », une structure qui devrait remplacer le Cnesco.
Enfin, en février 2018 la Cour des Comptes avait plaidé en ce sens demandant un maillage de tests nationaux. » La massification des populations scolaires impose une sommation de la mesure des savoirs transmis, maintenant possible par l’emploi de modes d’enquêtes, plus systématiques et globaux, sous forme de tests le plus souvent numérisés », écrivait la Cour. Elle soulignait aussi la nécessité d’une évaluation régulière des enseignants et s’en prenait aussi au Cnesco.
Une vision née aux Etats-Unis
Mais on aurait tort de ne voir dans ces annonces qu’une décision française. Ce qu’annonce le ministre de l’éducation nationale c’est la mise en place d’un système dévaluation permanent , probablement étendu d’année en année, totalement informatisé, produisant en flot continu des données évaluant niveau des élèves et efficacité des enseignants.
Cette vision techniciste de l’école s’est développée dans les pays développés depuis le début du 21ème siècle. Les Etats Unis l’ont initié dès les années 1960 avec la mise en place d’évaluations tests. Elle sont devenues un vaste système en 2001 avec la loi No Child Left Behind. La loi NCLB mettait en place des batteries d ‘indicateurs et définissait des objectifs à atteindre. Les résultats étaient publics, ce que prévoit peut-être aussi le gouvernement. On obtenait ainsi une évaluation de chaque établissement, un thème porté aussi par JM Blanquer. L’avenir des écoles et établissements était lié aux résultats aux tests. Dans plusieurs Etats on a lié aussi « tout naturellement » le salaire et l’emploi des enseignants aux résultats des évaluations. Des primes au mérite ont vu le jour , attribuées aux enseignants obtenant les meilleurs résultats aux tests jugés infaillibles. Et là aussi on retrouve cette idée dans le déploiement de la prime Rep+ annoncée par JM Blanquer.
Mais déjà remise en questions là-bas
Rien de nouveau sous le soleil si ce n’est l’arrivée en France, avec 17 ans de retard, d’une pratique institutionnelle américaine ? Cela pourrait paraitre logique voire inévitable si le modèle n’avait pas disparu dans son pays natal. La loi No Child Left Behind a été supprimée en 2015. Un nouveau système, beaucoup plus souple le remplace. En Angleterre aussi les tests sont combattus et récemment ceux de CP ont été supprimés car jugés trop traumatisants pour les enfants.
Cela n’est pas arrivé par hasard. En apparence NCLB a permis aux établissements de s’améliorer et particulièrement de réduire les écarts sociaux de réussite. Mais de nombreux scandales ont accompagné le déploiement de la loi NCLB. Des enseignants ont triché aux tests et même des établissements entiers.
Mais les tests ont eu des effets pire encore. Il est devenu banal d’enseigner… les tests. Et de laisser tomber les disciplines qui ne sont pas évaluées. Sur ce plan, l’insistance dans les tests Blanquer de n’évaluer que français et maths pourrait avoir des effets négatifs à court terme. Pire encore, ces tests ont fait évoluer en profondeur le métier enseignant. D’un métier d’artisan qui conçoit et pilote son enseignement il devient un technicien de bout de chaine répondant aux commandes d’u outil informatisé.
Une rupture pour l’Ecole
Aux Etats Unis il aura fallu la multiplication des scandales et des fraudes pour que ce type de système soit remis en question. Comme l’explique Anthony S. Bryk, tout cela a surtout apporté des désillusions. Si cette politique définit de « bonnes pratiques » elle ne dit pas » ce qu’il faudrait faire pour que l’intervention fonctionne pour différents sous groupes d’élèves et d’enseignants ou dans différents contextes. Pour AS Bryk cela doit nous inviter à nous focaliser non sur la pratique mais sur son application. » Ces observations suggèrent que nous accordions plus d’attention aux tâches que les enseignants accomplissent et aux environnements organisationnels qui façonnent la manière dont ce travail est mené. Plutôt que de laisser croire que la voie vers l’amélioration des résultats consiste à ajouter continuellement de nouveaux programmes (de fait « plus de pièces »), cette perspective nous encourage à nous concentrer d’abord sur l’amélioration de notre compréhension des systèmes de travail qui créent des résultats insatisfaisants. Car c’est dans cette capacité à voir le système que les progrès significatifs peuvent s’établir », écrit-il.
JM BLanquer avait du reculer après un premier essai de généralisation de tests en 2010 qui aussi l’évaluation de chaque enseignant. Aujourd’hui la vision techniciste de l’éducation est au pouvoir. Elle arrive avec les mêmes arguments que la loi NCLB et en plus l’aura liée à l’intelligence artificielle qui promet de régler les problèmes pédagogiques à la place des enseignants. C’est bien une rupture pour l’Ecole qui se prépare.
Des syndicats réservés
Les syndicats sont très réservés sur ces évaluations. Le Se Unsa relève que » au vu de la nature des retours de la DEPP (profil des élèves et profil de la classe) une fois les évaluations traitées, le seul but qui pourrait être atteint est celui du pilotage de proximité. Les informations ne sont pas suffisamment précises pour un travail pédagogique fin ». Concernant les évaluations de seconde le Se Unsa note que » ces évaluations ne seront pas d’une grande utilité pour connaître les performances nationales des élèves. Les évaluations sur échantillon représentatif suffisent et la DEPP sait faire. De plus, l’ utilité pédagogique de ces évaluations paraît faible ».
Dans le premier degré, le Snuipp » réaffirme que les enseignants sont des professionnels concepteurs et non de simples exécutants. Dans une véritable école « de la confiance », ni les élèves ni les enseignant•es ne doivent être soumis au stress permanent d’une évaluation à laquelle ils n’accordent que peu de sens. Si une évaluation par échantillon permet une analyse du système, elle ne saurait se confondre avec l’évaluation formative, conçue et analysée par les enseignants ni avec une évaluation normative de l’ensemble des élèves destinée à entrer dans une culture de l’évaluation pour piloter le système ». Il appelle les enseignants à » reprendre la main sur l’évaluation ». En effet, selon le syndicat » les évaluations standardisées au service du pilotage du système éducatif par les données chiffrées, restent aveugles à l’étude des progrès de chaque élève, et pourraient être utilisées à des fins de contrôle des pratiques enseignantes, voire de mise en concurrence des écoles ».
François Jarraud
Prime au mérite histoire d’une obsession
D Bucheton : Des évaluations opaques pour une politqiue rétrograde
2017 : Evaluations Blanquer l’huere est à la résistance
Le grand ratage des évaluations BLanquer
Comment la FRance a échappé à l’évaluation par les résultats