Prononcé à l’université d’été de Ludovia le 21 août, le premier discours de JM Blanquer sur le numérique marque la rupture avec la politique menée sous le gouvernement précédent. Le ministre s’engage dans une politique de protection des données personnelles des élèves avec la nomination d’un Délégué à la protection des données en la personne de Gilles Braun. Il annonce aussi son intention d’exploiter les données des évaluations nationales grâce à de nouvelles applications financées par le PIA, un programme lancé par le gouvernement précédent. JM Blanquer a mis en avant également l’enseignement de l’informatique dans le lycée réformé. Pour le reste, tout le secteur de l’EdTech est mis à la diète. JM Blanquer promet des expérimentations à intervalles réguliers. Les collectivités locales sont invitées à utiliser les outils numériques des élèves (le BYOD) plutôt qu’acheter des tablettes. Les smartphones seront interdits mais sollicités en classe…
La protection des données enfin prise en compte
« Le temps est venu de dire quelle est la stratégie numérique de ce ministère ». Il aura fallu un peu plus qu’une année d’exercice pour que JM Blanquer définisse ses projets pour le numérique. Il a choisi de faire ses annonces lors de l’université d’été Ludovia, un rendez vous important des acteurs du numérique éducatif.
La principale décision ministérielle, que le Café pédagogique avait annoncé, est la nomination d’un délégué à la protection des données (DPD). Le ministre a reconnu que « dans le passé on n’a pas toujours été assez vigilant en ce domaine », allusion à la tentative d’ouverture des fichiers des établissements aux grandes entreprises GAFAM. JM Blanquer a choisi comme DPD l’inspecteur général Gilles Braun, un expert reconnu du numérique éducatif, auteur d’un récent rapport sur la protection des données. Le DPD est chargé « d’aider et d’accompagner l’ensemble des acteurs qui utilisent ou souhaitent utiliser des services et des ressources numériques afin qu’ils sachent ce qui est réellement fait des données personnelles qui sont collectées, stockées et traitées. Le DPD national, placé auprès de la secrétaire générale, et les DPD académiques seront chargés de sensibiliser, d’informer et de conseiller les responsables des traitements, notamment les chefs d’établissements et les DASEN, mais aussi et plus largement de veiller au respect du cadre légal relatif aux données personnelles ». Un « code de conduite » propre à l’Education nationale sera rédigé fin 2018 et soumis à la CNIL. Le DPD sera accompagné d’un comité d’éthique.
JM Blanquer a beaucoup insisté sur l’importance des données personnelles des élèves au moment où il lance de nouvelles évaluations nationales en CP, CE1 et 2de. Il dévoile une vision très techniciste de l’enseignement. « On pourra établir pour chaque élève à chaque moment un état des lieux de ses forces et de ses besoins. C’est le sens des évaluations auxquelles je fais référence ». Selon le ministre l’exploitation de ces données permettra une différenciation pédagogique de l’enseignement.
De nouvelles applications surtout en cycle 2
Aussi le ministre a annoncé une série d’applications qui vont en ce sens. De nouvelles banques de ressources numériques sont annoncées pour les apprentissages fondamentaux en maths et français en cycle 2 en lien avec les évaluations nationales. Dans les classes dédoublées de CP le ministre annonce pour la rentrée 2019 une expérimentation d’applications numériques sur les fondamentaux financées par le Programme investissements d’avenir (PIA) lancé sous F Hollande. Pour ces classes le ministère va lancer aussi un réseau social destiné aux enseignants dès la rentrée.
Financé aussi par le PIA, un partenariat d’innovation pour l’intelligence artificielle pour les apprentissages de français et de mathématiques de cycle 2 a été lancé en juin 2018 pour application en 2020. Le CNED proposera à la rentrée « une aide instantanée sur les savoirs du collège » dans le cadre de Devoirs faits. Au lycée, un outil d’aide est annoncé pour la rentrée 2019 avec des activités d’entrainement en français et maths.
PIX généralisé au collège et en lycée en 2019
Le ministre relance aussi PIX, un nouveau dispositif de labellisation des compétences numériques des élèves. Il sera expérimenté cette année et généralisé en fin de 3ème et au lycée en 2019-2020. Pix avait été lancé sous le gouvernement précédent.
Fin de l’effort d’équipement
Grand silence par contre sur l’équipement des établissements et des enseignants. F Hollande avait lancé en 2015 un plan numérique avec comme objectif l’équipement de chaque collégien à la rentrée 2018. On en est loin. Le ministre a longuement parlé de l’enjeu du développement du numérique éducatif français, de sa volonté de faire face aux géants anglo saxons (GAFAM). Mais le ministère n’a pas de budget. Si le ministre n’a pas été avare de compliments pour les entreprises de la EdTech présentes à Ludovia, il ne leur a pas fait miroiter de marchés importants. Il a promis des appels à manifestation d’intérêt (AMI) pour la réalisation d’expérimentations de projets numériques innovants. « Ces AMI seront proposés à intervalles réguliers en 2019 sur les thématiques déterminées par le ministère avec l’appui du conseil scientifique de l’éducation nationale », écrit le ministère. Concrètement le numérique éducatif français va vivoter au goutte à goutte. Le message envoyé aux collectivités locales c’est qu’elles doivent miser sur le BYOD c’est à dire sur les équipements financés directement par les familles. Problème : la loi sur le portable les interdisent par défaut…
L’enseignement de l’informatique au lycée
Reste l’effort d’enseignement du numérique à l’Ecole. JM Blanquer a évoqué l’enseignement obligatoire introduit en seconde à hauteur d’une heure 30 ainsi que l’enseignement de spécialité proposé en filière générale. On attendait sa décision sur la création ou pas d’un capes numérique. JM Blanquer n’en a pas parlé et il semble que ce ne soit plus à l’ordre du jour.
Quelle vision ministérielle du numérique ?
Tout au long de son long discours, JM Blanquer a alterné entre une vision négative du numérique et des perspectives de révolution éducative grâce aux outils numériques. Ainsi il a commencé par parler longtemps des « mauvais usages du numérique », « ceux qui éloignent les enfants du réel, qui détournent les enfants des autres, qui les rendent asociaux et addictifs ». Le ministre voit des addictions dans les écrans, dans les smartphones et il a même parlé d’une addiction aux robots..
Ses propos sur le rôle des futurs CDI surprennent aussi par le vocabulaire employé. JM Blanquer ne parle pas de CDI mais de « bibliothèques ». Il n’y a pas de professeurs documentalistes mais des « documentalistes ». Et globalement il a très peu évoqué l’EMI qui est pourtant un des enjeux majeurs lié à la culture numérique.
Peut-on réellement développer le numérique éducatif sans investir massivement dans la filière ? Probablement pas. Le numérique éducatif doit-il être au service des projets des enseignants et des élèves ou être un outil d’évaluation, de contrôle et de prescriptions technicistes pour les enseignants ? Par ces deux points on peut dire qu’au delà des belles paroles, le ministre est surtout venu à Ludovia mettre un terme aux efforts, pas toujours efficaces, des années précédentes.
François Jarraud
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