Faut-il supprimer le bac parce qu’il « ne sert à rien » ou parce que « tout le monde l’a » ? Alors que sont publiés ce matin les résultats du bac, gageons qu’en 2018 comme en 2017, le taux de réussite au bac devrait s’établir autour de 88% de reçus. Un résultat d’ailleurs très variable selon les filières puis qu’on attend un écart de près de 10 points entre le bac général et le bac professionnel. Ce diplôme est-il vraiment donné à tout le monde ?
Cette année c’est Le Point qui a ouvert le tir sur le bac. Deux semaines avant les épreuves, le magazine dénonçait des manipulations de notes faussant les résultats. Si certains cas sont avérés, comme cette année dans l’académie de Lille, affirmer comme le magazine que « l’harmonisation est une imposture » et y voir « une manoeuvre insidieuse pour gonfler le plus possible les notes » sans jamais donner la parole à l’expérience d’autres enseignants c’est propulser comme vérité des légendes urbaines. On notera le silence du ministre pourtant très proche de ce média où il a multiplié les entretiens…
Garance plutôt que Mohamed
Celui qui veut savoir si réellement si le bac est bradé ne manque pourtant pas d’arguments solides. A commencer par l’étude des prénoms. Chaque année, Baptiste Coulmont, sociologue à Paris 8, classe les prénoms des titulaires de la mention très bien des bacs technologique et général.
Sans surprise on observe que les filles sont plus nombreuses à droite qu’à gauche où les garçons dominent. Rien d’étonnant à cela : on compte 57% de filles reçues au bac général contre 43% de garçons. On remarque que les Garance, Héloïse, Adèle, Apolline, Eléonore et les Grégoire, Augustin, Emmanuel, Théophile, Paul s’en tirent infiniment mieux que les Océane, Anthony, Kévin, Dylan, Jordan, Sofiane, Amine, Bilal, Rayan, ou Anissa. Mohamed apparait en repoussoir absolu : c’est le prénom le plus porté ayant le taux le plus faible de mention. Parfois la distinction sociale tient à une lettre : Asma a 5% de mention quand Alma en a 25%, Melike 4% et Mélie 19%, Diana 5% et Diane 15%, … Le caractère socialement et ethniquement ségrégatif du bac apparait clairement dans ce simple constat.
Une fausse démocratisation
Et c’est confirmé par les données statistiques. Certes la part des bacheliers dans une génération s’est considérablement accrue passant de 26% en 1980 à 63% en 2000, puis 65% en 2010 et finalement 79% en 1916. Mais cette évolution est portée par la montée des bacs pros. La part des bacheliers généraux dans une génération a évolué lentement : 28% en 1990, 33% en 2000 et 40% en 2016. Celle des bacs professionnels a explosé : 3% en 1990, 11 % en 2000, 14% en 2010, 23% en 2016. Le bac ne se démocratise qu’à travers le bac professionnel.
Comme le recrutement des deux bacs est socialement très différent, ces évolutions divergentes prennent sens. Ainsi, sur les 19 000 enfants de professeurs qui ont été admis au bac en 2015, 16 000 ont eu un bac général et 813 un bac professionnel. Chez les cadres c’est le cas de 110 000 jeunes sur 142 000 bacheliers soit 77%. Seulement 9% des enfants de cadres supérieur passent un bac professionnel. Inversement sur les 100 000 enfants d’ouvriers admis au bac en 2015, 34 000 ont eu un bac général et 44 000 un bac professionnel.
Or pédagogiquement il y a deux bacs. Il est devenu une formalité pour les jeunes de l’enseignement général avec un taux de réussite supérieur à 90%. Alors qu’il reste un obstacle à franchir sur la route des bacheliers professionnels (taux de réussite de 82%). Même le rattrapage se passe différemment : il a un réel effet pour les bacs technologiques et généraux. Alors que son impact est minime pour le bac professionnel.
Autrement dit, on n’assiste pas réellement à une démocratisation du bac. On voit plutôt l’éclatement du système entre un bac des riches qui ne s’ouvre pas , à fort taux de reçus, et un bac des pauvres, qui augmente rapidement mais n’offre ni les mêmes débouchés ni le même taux de réussite.
Un garçon sur quatre n’aura jamais le bac…
Le taux de 88% de reçus (en 2016) cache le fait que seulement 79% d’une génération obtient le bac. Un jeune sur cinq quitte toujours l’école sans le bac. Pour ces jeunes là, le fait de ne pas avoir le bac est beaucoup plus stigmatisant que pour la génération précédente.
Ajoutons une autre inégalité statistique. Le bac se féminise. L’écart de réussite entre filles et garçons se maintient. En 2000, 57% des garçons sont devenus bacheliers et 69% des filles. En 2010 l’écart est de 10%. En 2016, c’est 83% des filles et 73% des garçons d’une génération qui sont reçus. Concrètement un garçon sur quatre n’aura jamais le bac.
A-t-on trop de bacheliers ?
La barre « historique » des 80% de bacheliers fixée en 1985 n’est toujours pas atteinte. Et François Hollande a fixé en septembre 2015 l’objectif de 60% de jeunes diplômés du supérieur. Dans cette perspective, le 79% de bacheliers est un taux à peine suffisant. En fait tout va se jouer dans la capacité à réduire l’écart entre les bacheliers professionnels et les autres. C’est en améliorant la capacité de ces bacheliers à suivre avec succès un enseignement supérieur que l’on pourra augmenter le taux de diplômés.
Or il est clair qu’on ne vas pas dans cette direction. La réforme du lycée professionnel prévoit d’affaiblir le niveau en enseignement général en réduisant fortement les horaires d’enseignement. Le ministre met en doute cet objectif de 60% de diplômés du supérieur. En septembre 2017, il nous disait : « Je ne raisonne pas par statistiques… Ce type d’affirmation théorique n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est 100% de jeunes qui trouvent un emploi en étant diplômés ». Il restait évasif sur l’accès des bacheliers professionnels dans le supérieur. « Il faut rappeler la vocation d’insertion professionnelle du bac professionnel », répondait-il.
Ce que ça coute de ne pas l’avoir
Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu’il coûte à celui qui ne l’a pas. Si en France personne ne s’est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. La plus récente provient de l’Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle « tout le monde bénéficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu’au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l’économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L’AEE estime également d’autres retombées : « les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les Américains jusqu’à la fin des études secondaires, l’Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.
François Jarraud