Qu’est ce qui peut pousser à devenir professeur ? C’est la fin de l’année pour les élèves mais aussi pour les enseignants. Et pour certains, cette fin d’année signe la fin d’une formation qui leur permet d’accéder au statut de professeur des écoles titulaires. Nous avons rencontré plusieurs professeurs des écoles stagiaires (PES). Ils nous expliquent le choix de ce métier. Ils font un bilan de cette année de formation. Juste avant d’entrer dans le grand bain…
La conviction que l’école a un rôle fondamental à jouer
Nadir et Tahani sont arrivés dans le métier un peu par hasard « Nous avons saisi une opportunité qui nous permettait d’enseigner dans un lycée français à l’étranger. Notre première motivation était de voyager, découvrir un nouveau pays en même temps qu’un nouveau métier ». Ils ont 34 et 32 ans et après plusieurs activités sans réel lien avec l’éducation. Ils ont découvert le métier de professeur des écoles en 2013 à l’étranger, ce qui les a motivés à passer le concours l’an dernier. « C’est en enseignant que la passion est venue : l’échange avec les élèves et les équipes, la remise en question quotidienne et la recherche constante de perfectionnement de notre enseignement, le fait de pouvoir mener des projets avec une totale liberté pédagogique et le bonheur de mesurer jour après jour les progrès de nos élèves sont tous les éléments qui, sans vouloir paraître trop fleur bleue, nous motivent à nous lever le matin et donnent un sens concret à nos vies. Une fois ce constat fait et après avoir eu l’assurance de notre amour pour ce métier, nous avons décidé de rentrer en France afin de suivre une « vraie » formation et d’officialiser notre statut ». Ils enseignent aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, à Saint Ouen. « C’était un souhait de notre part d’enseigner dans ce département, limitrophe de Paris, souvent décrié mais bouillonnant de créativité et d’équipes jeunes et motivées ».
Cyrielle, 28 ans, enseignante dans les Vosges, ne s’orientait pas vers le professorat. « Mon domaine initial était la médiation culturelle car je souhaitais avoir un métier me permettant d’aider la culture à se diffuser, notamment dans les milieux les moins privilégiés. Je viens moi-même d’un milieu plutôt populaire et l’accès à la culture a été très important pour moi, dans mon enfance et mon adolescence. J’ai malheureusement très vite ressenti, dans mes différents postes, un certain manque de sens. L’impression d’avoir un travail un peu vain, pas très utile à la société. Pendant une période de chômage, j’ai travaillé en tant qu’assistante d’éducation dans un collège, un poste qui m’a énormément apporté, et qui m’a décidé à passer le CRPE l’année suivante. » Cyrielle est attirée par le public accueilli en réseau d’éducation prioritaire « Mon année de stage cette année a été effectué dans une école considérée comme « difficile » bien que n’étant pas en REP. J’ai eu l’impression que malgré les difficultés, ma présence face à ses élèves avait une réelle importance et un réel sens. » Son métier, elle le fait aussi par conviction. « Il y a aussi une vision de l’école que je souhaite défendre : une école pour tous, qui donnerait les mêmes chances à tous, et où les enfants se sentent bien. Bien sûr, les moyens de l’école sont bien modestes, nos propres actions peuvent sembler bien dérisoires mais il me semble utile de tenter le maximum pour ces élèves ».
Arnold a préparé le concours après avoir validé un master de sciences sociales. Il enseigne à Paris. Lors de la mobilisation contre la réforme du lycée – celle de Darcos, il s’intéresse aux différents mouvements pédagogiques. « Pour réfléchir à ce que serait notre lycée idéal, j’avais fait quelques recherches, découvert le Lycée Autogérée de Paris, trouvé Libres enfants de Summerhill dans la bibliothèque familiale… Après un master et un passage chez Solidaires étudiants, il découvre qu’il y a des espaces dans l’éducation nationale pour réfléchir collectivement à ses pratiques. « Je découvre l’ICEM, le monde des profs qui écrivent sur ce qu’ils font. Je commence à me dire que l’école primaire, c’est là où je veux être. En M2, j’en profite pour faire de l’ethnographie à l’école et rapidement, j’ai envie d’être à la place de mes enquêtés plus qu’à la place du chercheur. Finalement je me suis lancé avec une vision du métier de professeur des écoles (PE) presque comme travailleur social, même si j’en reviens un peu. Je pense que l’école est un lieu où il y a des choses à faire, et que à la fois la tradition de « liberté pédagogique » et l’existence de collectifs permettent de réfléchir à ses pratiques, donnent une certaine marge de manœuvre ».
Des enseignants « lâchés dans l’arène »
Pour Nadir, la rentrée s’est plutôt bien déroulée « Du haut de notre petite expérience, l’adaptation a été plutôt rapide nous concernant si ce n’est que j’ai été affecté en maternelle. Je ne connaissais pas ce niveau, j’ai donc découvert un métier totalement différent de celui de PE en élémentaire. En revanche, pour les personnels découvrant le métier, nous avons pu nous apercevoir qu’ils étaient littéralement jetés dans le grand bain sans véritables outils à leur disposition si ce n’est l’aide des collègues présents sur place ». Tahani a été frappée par le manque de moyens et la vétusté des locaux. « La bibliothèque de ma classe ne contenait presque que des livres datant des années 70, comment susciter l’envie de lire à des élèves de CE1 dans ces conditions ? On comprend alors qu’il est dans les habitudes des collègues d’investir dans des achats personnels pour pallier ces manques ».
Cyrielle a effectué sa rentrée avec l’enseignante titulaire et une conseillère pédagogique au fond de la classe. « Quand on n’a jamais été́ face à une classe, que notre formation en M1 a été́ majoritairement théorique, on a un peu l’impression d’être jetée dans la fosse aux lions. Cette journée fut terriblement stressante et impressionnante. Mais plus globalement, j’ai davantage subi le début de l’année qu’autre chose, l’impression de se noyer sous le travail, le stress, les éléments qu’on ne maitrise pas. Il m’a fallu plusieurs mois pour prendre mes marques et ne plus appréhender le fait d’aller en classe. Par contre j’ai eu la chance d’être dans une école avec une équipe formidable : la directrice et les collègues ont été́ d’un grand soutien, du point de vue de la classe mais aussi au niveau moral ».
La rentrée d’Arnold n’a pas été simple, comme ses collègues, il était en classe à mi-temps avec un autre enseignant stagiaire. « Avec mon binôme, on débarquait complètement. On s’était vu une fois pendant les grandes vacances, on avait préparé quelques trucs mais c’était vraiment déconnecté de la réalité. A titre d’exemple, j’avais préparé une séquence en musique alors qu’à Paris, il y a des professeurs de la ville de Paris (PVP) en musique, art et sport. Donc quand on arrive, on improvise. Je n’ai jamais autant eu l’impression d’être dans un rôle de composition qu’à la réunion parents-profs où il s’agit principalement de rassurer les parents».
Pour lui, la gestion du groupe n’a pas été simple à appréhender. « Une des choses difficiles à vivre au début, c’était la « discipline ». Par exemple, les escaliers. Mon école est une école parisienne avec quatre étages et 12 classes, le genre de bâtiment infernal, l' »école caserne » dont parle Fernand Oury, c’est vraiment ça. Dans les escaliers, il y avait des panneaux « zone silence ». C’est compréhensible parce que quand il y a quatre classes qui montent cela peut vite devenir invivable, et en même temps, c’est une injonction complètement infaisable de faire taire les enfants quand ils ne sont pas au travail. Bref, au début, j’essayais d’avoir un relatif silence dans ces escaliers, j’avais l’impression d’être un tyran et je le vivais mal. Maintenant, je le vis moins mal d’être un tyran parfois et surtout… j’ai un peu abandonné l’idéal d’un rang totalement silencieux. » Il y a les erreurs de débutants classiques. « On faisait des séances trop longues, on transmettait mal les consignes… Mais, on a été accueilli par une équipe assez chouette. Je sais que presque tous les jours au début, je discutais avec mes collègues qui me donnaient des conseils ». L’organisation de l’alternance dans l’académie de Paris – trois semaines à l’ESPE, trois semaines en classe – a aussi suscité de la difficulté. « Avec mon binôme, on essayait de ne pas se laisser des choses en cours de route, donc de terminer ce qu’on avait commencé. Mais trois semaines, c’est assez contraignant comme format, surtout au début. Je trouve qu’on a tout le temps pressé nos élèves et qu’on ne leur a pas laissé assez de temps ».
Un constat unanime : une année de formation à revoir
Tahani nous explique que dans son académie les professeurs stagiaires se relaient toutes les semaines, mais du jeudi au mercredi suivant. « Pendant que l’un passe sa semaine en classe, l’autre est en formation à l’ESPÉ. Ce roulement me paraît être le plus équilibré, car il permet de prendre du recul sur ce qui s’est passé en classe durant la semaine d’ESPÉ et d’ajuster ses enseignements au fil des temps de formation ». Quant au suivi par les tuteurs de l’ESPE et des maîtres formateurs (MF), « Je n’ai pas eu de visite de mes tuteurs ESPÉ qui ne se déplaçaient qu’en cas de difficultés. Ma MF terrain est venue trois fois sur les cinq visites initialement prévues, ses remarques ont été d’une grande aide notamment dans l’organisation de mes séances. Le contenu de ma formation, bien qu’axé sur la maternelle plus que sur l’élémentaire, était plutôt complet avec plusieurs mises en situation professionnelle dans des écoles que nous ne connaissions pas. La majorité des formateurs a fait preuve de bienveillance et était à l’écoute des difficultés rencontrées».
Cyrielle était en classe les lundis et mardis, le reste de la semaine à l’ESPE. Elle a bénéficié de trois visites de chacun de ses tuteurs (MF et ESPE). Ils étaient tous deux à l’écoute et bienveillants mais « j’ai tout de même mal vécu ces visites. La pression mise par l’ESPE ne m’a jamais permis de me sentir à l’aise lors de ces visites ou face à̀ eux ». Elle nous raconte son impression d’être infantilisée et « suspectée » par l’ESPE. « A titre d’exemple, lors de notre pré́-rentrée à l’ESPE, l’accent a été mis sur le fait que nous pouvions être licenciés ou renouvelés à la fin de l’année… Concentrer les 3⁄4 de son discours là- dessus m’a semblé une drôle de façon de nous rassurer avant notre prise de fonction dans un monde totalement inconnu. De même, notre ESPE a refusé aux étudiants les absences pour assister aux réunions de l’école, mais aussi pour les sorties scolaires… Globalement, la bienveillance que l’on nous demande à l’égard des élèves n’a jamais été de rigueur à notre égard». Elle nous explique que ce qui l’a aidé à « supporter » cette difficile année a été la solidarité entre EFS mais aussi le soutien des collègues dans l’école. « Mes collègues, à l’école, ont toujours été à l’écoute et m’ont beaucoup rassurée. Ils m’ont accordé du temps pour m’aider, pour m’écouter, pour parler. J’ai beaucoup de reconnaissance ».
Arnold se veut très critique. « A l’ESPE, les cours sont organisés par discipline, donc on a un cours de français, un de maths, un de sciences, etc. Pour le 1er degré, c’est un non-sens et surtout cela ne laisse aucun espace pour des réflexions transversales en pédagogie, psycho ou sociologie… Par ailleurs, les professeurs se mettent en tête qu’il faut qu’ils nous enseignent à enseigner tout le programme, ce qui est évidemment impossible en une demi année de formation, donc le résultat est qu’on survole tout sans approfondir. Bref, on a dans toutes les matières une « soupe » didactique socioconstructiviste ni vraiment théorique, ni vraiment pratique et surtout pas du tout problématisée. Les approches proposées ne sont jamais mises en débat. C’est de la recette de cuisine. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi la formation est aussi intellectuellement pauvre. A mon avis, son rôle devrait être moins de nous enseigner comment enseigner chaque sujet, que nous donner les outils et armes pour faire des choix et s’orienter dans les débats qui traversent la profession. D’autant que cette année, que ce soit en maths (avec la méthode de Singapour) ou en lecture (l’obsession de Blanquer pour les dictées et la syllabique), il y avait de quoi faire. Je pense que les professeurs de l’ESPE ont du mal à cerner les attentes d’autant que le format de la formation change tous les ans, et que leur « public » est assez hétérogène ». Arnold a beaucoup apprécié le suivi des tuteurs et les débats et discussions qui suivaient les visites. Les collègues de l’école l’ont aussi beaucoup aidé en l’intégrant immédiatement comme un collègue et en restant aussi très disponible et à l’écoute de ses difficultés.
Tahani, Nadir, Cyrielle et Arnold seront titularisés le 1er septembre 2018. Chacun d’eux intégrera une classe. Arnold voudrait enseigner en REP+ et « Je réfléchis pas mal aussi à comment intégrer mieux les parents, à les faire entrer plus souvent dans la classe ». Tahani et Nadir souhaiteraient retourner enseigner à l’étranger, « nous pourrions apporter notre expérience et toutes les connaissances acquises en France ». Cyrielle, quant à elle, se verrait bien enseigner en SEGPA puis peut-être partir à l’étranger.
Lilia Ben Hamouda