Avec 500 participants, le Clic 2018, l’événement national de l’association Inversons la classe, a connu un vrai succès. Du 29 juin au 1er juillet des centaines d’enseignants ont pu échanger, observer, faire des rencontres voire entrer dans des réseaux. Pourtant ce Clic est bien différent des deux précédents. Des présentations pédagogiques plus traditionnelles, une forte présence institutionnelle, de fortes subventions d’entreprises, tout cela marque une transformation de l’association d’un mouvement de pionniers vers un melting pot de pédagogies actives.
Où est passée la classe inversée ?
» Je ne suis pas complètement en classe inversée. Je mets de petites choses en place ». » Il y avait plusieurs choses qu’on pouvait adapter du primaire au collège ». Ces deux citations, extraites de portraits de professeurs dans un autre article de ce jour, résument assez bien l’évolution pédagogique de l’association Inversons la classe et du Clic.
Le premier Clic (2015) avait réuni des pionniers, parfois en échec, mais tous férus de nouvelles technologies et appliquant de façon assez stricte, malgré des adaptations, la démarche de la classe inversée. On avait là des usages pertinents mais très avancés du numérique, en tous cas pas à la portée du premier venu.
Le second Clic (2016) avait déjà migré vers une diversification. Cela avait valu aux participants l’élaboration par Marcel Lebrun d’un inventaire et d’une typologie des classes inversées pour faire entrer dans le modèle des usages déjà différents.
Pour ce troisième Clic, plus de typologie. A peine si la référence à l’inversion est présente. Les enseignants que nous avons croisé en ateliers pratiquent des pédagogies actives qui sont dans le répertoire depuis longtemps. Ce qui ne veut pas dire que ce qu’ils font soit sans valeur.
Trois exemples
Ainsi la Team Physique, 3 professeurs de physique chimie de lycée, R Chauvière, C Marquois et F Raffin, doivent faire face à des types d’erreurs basiques en cours et dans les copies : les élèves se trompent dans les conversions d’unités. Ils font des erreurs grossières de calcul. Ils semblent ne pas avoir acquis de sens des proportions dans leurs calculs. « Ce sont des choses qu’on n’a pas le temps de traiter en classe », disent les enseignants. Leur remède c’est de créer des balises par type d’erreur qui sont reportées sur les copies. Et de créer des parcours d’entrainement qui permettent aux élèves de gagner des badges certifiant leur compétence. Tout cela se retrouve dans un carnet de badges.
En histoire-géo, Jordi Colomer demande aux élèves de construire le cours et des exercices d’évaluation. Les élèves sont répartis en groupe et chaque groupe à un dossier documentaire à traiter avec un plan de travail et des fiches méthodologiques. Il a aussi un exercice à inventer , ce qui est plus difficile et plus malin. « Ils acquièrent une expertise sur un point du programme qu’ils transmettent aux autres », explique J Colomer. Chaque groupe participe à l’élaboration de la trace écrite, validée par le professeur, qui prend la forme d’un wiki. A coté, le professeur fait aussi des cours classiques (c’est peu près moitié / moitié).
Karen Grandremy enseigne le français dans un collège rural avec des élèves peu motivés. Elle les met devant un plan de travail qui demande aux élèves de réaliser des travaux qui aboutissent à une tâche finale partagée. Au fil des 6 séquences annuelles, les élèves alimentent une cagnotte personnelle en points. Revoilà les badges… Et là aussi la professeure alterne avec des cours classiques.
Des pratiques du primaire portées dans le second degré
Dans tous ces exemples on retrouve le souci de mettre les élèves devant des tâches à faire et de les rendre actifs dans leurs apprentissages. C’est le rôle du plan de travail. On trouve aussi l’utilisation de badges ou de points qui ne sont pas sans rappeler les ceintures de compétences. A noter aussi l’entraide encouragée avec des phases de travaux de groupe et de mise en commun aboutissant à une élaboration commune.
Toutes ces techniques pédagogiques sont anciennes. Elles viennent du primaire, un niveau où les élèves acquièrent souvent un bon degré d’autonomie avec des pédagogies différentes (Freinet, pédagogie à effet vicariant etc.). Et ce n’est pas rien que ce niveau d’autonomie, habituellement nié dès l’arrivée au collège, soit reconnu.
Du coup les salles de classe du second degré se mettent à ressembler à celles du primaire. J Colomer a une grande salle où les élèves travaillent en ilots et où ils peuvent échanger et se déplacer. Mieux ils disposent de banquettes comme dans les coins lecture du primaire.
Ainsi les militants du Clic renouent avec des pratiques pédagogiques actives largement partagées dans le premier degré, déjà anciennes dans le second. Les usages sophistiqués du numérique ou même la classe inversée des débuts sont devenus anecdotiques.
La présence du ministère
Mais d’autres aspects de l’évènement marquent aussi le glissement de l’association. D’abord la forte présence de l’institution. Jean Marc Huart, directeur général de la Degesco, numéro 2 du ministère, a participé au Clic. D’autres proches du ministre ont tenu la place de grand invité. Le député En Marche Cedric Villani, auteur d’un rapport sur l’enseignement des maths, a invité les enseignants à aller de l’avant. Comme si le ministère n’était pas encore davantage dans l’injonction. Autre figure du ministère, Franck Ramus , membre du « conseil scientifique » de l’éducation nationale, a expliqué aux enseignants présents que la classe inversée n’était pas efficace en tant que telle mais en tant que pédagogie active. Ces présences marquent aussi l’intégration de l’association dans la stratégie ministérielle.
Enfin, ce qui frappait en arrivant au Clic 2018, c’était la présence très visible de nombreuses entreprises partenaires.
Après deux années où l’association s’est positionnée comme un vecteur d’innovation apportant une pédagogie spécifique et prometteuse, l’association Inversons la classe, se positionne en formatrice aux pédagogies actives. Son changement de nom devrait matérialiser cette mutation.
François Jarraud