Je les ai lus, les projets d’ajustement et de clarification des programmes du CSP (Conseil Supérieur des Programmes) en français qui nous tombent dessus en cette avant-dernière semaine d’école… Au premier regard, pas de bouleversement, des petites modifications par ci, par là… Un mot en moins, un mot en plus. Une structure qui rappelle celle des programmes de 2015. Mais en y regardant de plus près, on remarque que ces petits riens changent beaucoup l’impression générale. J’ai donc mené une analyse comparative, points par points, afin d’éclaircir cette impression.
Une présentation à l’identique ?
Les repères de progressivité disparaissent dans cette nouvelle version, mais on nous les annonce sous quelques mois. Ceux de 2015 dissociaient, en partie seulement, les niveaux en insistant, par exemple, sur le CP et en mettant en valeur la dimension graduelle des apprentissages sur la totalité du cycle. C’est la seule distinction, sur la forme, la structure reste identique. Une courte introduction – quasi identique à celle de 2015 – reprend les objectifs principaux de chaque sous domaine, puis un tableau présente les compétences travaillées, en lien avec les domaines du socle commun. Les attendus de fin de cycle sont clairement énumérés et identiques à ceux des programmes de 2015. Les grandes compétences sont ensuite déclinées dans un tableau à deux colonnes, l’une présentant les connaissances et compétences associées, l’autre des exemples de situations à mettre en place dans la classe.
De petites différences qui font la grande différence
Je n’aurais pas l’affront de détailler, mot par mot, les différences entre les deux programmes. Je ne présenterai que ce qui m’a le plus « titillée ». Il s’agit, par exemple, du mot « automatisé » qui n’était pas présent dans les programmes de 2015 (qui apparaît dans l’introduction du cycle 2, s’agissant des séances spécifiques dont les connaissances seront exploitées – vérifiées, consolidées, automatisées). Cette nouveauté n’est pas anodine selon moi, elle dénote d’une volonté d’automatisation des apprentissages. Ce projet d’ajustement signe clairement la rupture avec les anciens programmes où l’élève était un observateur qui analysait la langue, en repérant – par un guidage de l’enseignant – les différences, les subtilités.
L’élève acteur est mort au profit de l’élève de l’automatisation, la notion apparaissant à plusieurs reprises au détriment de celle d’acteur qui, elle, disparaît complètement des projets d’ajustements des cycles 2 et 3. Et, toujours selon moi, la révolution est là. Le changement de posture est subtil mais clair. Adieu, élève qui tâtonne, essaie, découvre. C’est le grand retour des exercices de systématisation – qui étaient, certes, toujours d’actualité avec les programmes de 2015 mais avec une entrée différente. Les élèves ont-ils vraiment besoin de comprendre pour automatiser ? Les ajustements insinuent que non.
Le domaine de l’écriture, quant à lui, dans son introduction (pour le cycle 3) notait que « chaque élève peut ainsi devenir progressivement un acteur conscient et autonome de ses production ». Dans les nouveaux textes, l’écrit devient un outil au profit de l’acquisition des compétences grammaticales, « il est important d’établir un lien entre la rédaction de textes et l’étude de la langue en proposant des situations d’écriture comme prolongements à des leçons de grammaire et de vocabulaire et des situations de révision de son écrit en mobilisant des acquis en orthographe. ». L’élève que l’on s’image auteur, qui s’essaie dans le récit me semble bien loin. Il me faut, tout de même, reconnaitre que dans les exemples de situations, on évoque – une fois – l’imagination. N’en demeure que l’écrit est constamment renvoyé à son utilité.
Le plus-que-parfait plutôt que la compréhension ?
La mort du prédicat, annoncée depuis un certain temps – au profit du retour aux compléments qu’ils soient d’objet direct, indirect, circonstanciels (temps, lieu, cause) – est bien actée. L’attribut du sujet, l’épithète, les adverbes, les conjonctions, les prépositions, les notions de polysémie et d’homonyme font, eux aussi, leur grand retour. Nous pouvons nous questionner sur la pertinence de ces notions dès le cycle 3, voire 2 pour certaines. Les manuels mis à jour en 2016 se retrouvent déjà obsolètes. L’apprentissage de la conjugaison est lui aussi bouleversé. Le passé composé et le plus-que-parfait s’ajoutent au présent, futur, imparfait et passé simple.
La lecture est, comme nous nous y attendions, centrée sur le codage-encodage. La compréhension, grand problème de nos petits lecteurs, me semble bien peu de fois évoquée. Quitte à « ajuster » les programmes, n’aurait-il pas été pertinent d’accentuer ce travail qui doit être fait sur la compréhension ?
Perplexe
Ainsi, ces « ajustements » qui nous tombent dessus en cette fin d’année scolaire me laissent assez perplexe. Je crois, et j’ambitionne, pour nos élèves, tous nos élèves, qu’ils soient actifs et acteurs de leurs apprentissages. Je suis profondément convaincue que pour que cela prenne sens, il est nécessaire que l’élève s’empare de ce que nous, enseignants, lui proposons. Des exercices systématiques d’automatisation, tels que ceux connus dans mon enfance me semblent peu adaptés à nos élèves. Était-ce réellement une urgence pour améliorer leurs résultats ? J’ai des doutes.
Je reconnais pourtant une nouveauté intéressante à ces ajustements, on y évoque le plaisir de lire de façon récurrente, avec cette idée d’aller-retour entre la lecture à l’école et dans la famille. En espérant que nous sachions nous en saisir pour éviter que cela soit encore une occasion de creuser les inégalités entre les élèves…
Lilia Ben Hamouda