Peut-on réunir en une somme tout ce que la recherche a à dire pour l’enseignement des maths ? Probablement pas. Mais « Enseigner les mathématiques » (Belin) propose une somme importante sur la didactique des maths au sens le plus large possible. L’ouvrage fait le point sur les difficultés de l’enseignement des maths et apporte des réponses associant la sociologie, la psychologie, la psychanalyse, les neurosciences et la didactique. Dès maintenant l’ouvrage s’impose comme une référence pour les enseignants et les futurs enseignants. Aline Robert revient sur ses apports dans un entretien.
« L’enseignement des mathématiques, quelle affaire ! Aucun sujet d’éducation, sauf peut-être l’apprentissage de la lecture, ne déchaîne autant les passions ». Aline Robert, Jean Luc Dorier, Ghislaine Gueudet, Eric Roditi et Marie – Lise Peltier coordonnent un ouvrage qui fait le tour de l’enseignement des maths.
Un premier chapitre revient sur l’histoire de l »enseignement de s maths pour montrer comment il est sorti de l’enseignement technologique pour devenir un élément principal du système éducatif. Un second chapitre fait le point sur la question du niveau des élèves. JF Chesné apporte un éclairage critique sur les différentes évaluations nationales ou internationales. Sylvain Broccolichi propose une approche sociologique des décrochages scolaires en maths. Ce chapitre aborde aussi l’enseignement sous l’angle des neurosciences ou de la psychologie.
Un troisième partie du livre, particulièrement copieuse, s’intéresse à la didactique des maths. Comment enseigner les nombres ? Comment faire dépasser des intuitions erronées ? Comment intégrer des technologies de maths dynamiques dans l’enseignement. Enfin un dernier chapitre observe l’enseignement des maths à l’étranger pour en tirer des enseignements pour la FRance.
Tout cela amène à une réflexion sur l’enseignement des maths au regard des difficultés du système éducatif français où le niveau en maths dévisse. En conclusion A Robert estime que si à l’école primaire il y a un certain manque « d’institutionnalisation » des maths, c’est à dire de retour sur les acquisitions et de mise en forme, « il serait dommageable d’abandonner la dévolution et l’activité des élèves et de les remplacer par des expositions des connaissances suivies d’applications ». Elle invite à tenir « les deux bouts » activités et cours, quitte à en adapter la répartition en fonction de la classe. On trouvera dans ce livre un guide pour comprendre ce qui se place en classe mais aussi un remarquable outil de formation pour penser sa pratique.
François Jarraud
Jean Luc Dorier, Ghislaine Gueudet, Marie – Lise Peltier, Aline Robert et Eric Roditi , Enseigner les mathématiques. Didactique et enjeux de l’apprentissage, Belin éducation, ISBN 978-2-410-00858-6 29€.
Aline Robert : Les maths sont la discipline où les difficultés s’exacerbent
Aline Robert revient sur certains points de l’ouvrage. Elle plaide notamment pour une formation continue en maths à l’image de Singapour.
Pourquoi sortir ce livre maintenant ?
Il y a un effet de conjoncture. Pas par rapport aux dernières mesures ministérielles comme le rapport Villani. Mais parce que de nombreux livres de vulgarisation des mathématiques sortent en kiosque en séries. J’en ai compté une quarantaine. Le livre est un peu une réaction à ces vulgarisations où on ne parle jamais d’enseignement des maths.
Il y a une autre raison c’est que la didactique des maths n’est pas très connue. L’institution scolaire rabat toujours les formations sur la pédagogie. Elle ne tient pas assez compte de la didactique. Et avec ce livre on a le projet de la populariser même si c’est un sujet difficile et sans renier la pédagogie.
L’ouvrage retrace l’histoire de l’enseignement des maths. Et on voit comment celui ci s’est démocratisé. Les maths sont devenues l’affaire de tous en même temps qu’elles devenaient le principal outil de la sélection scolaire. Alors peut on vraiment parler de démocratisation des mathématiques ?
C’est difficile de répondre de façon brutale à cette question. Il y a indéniablement eu une démocratisation des maths car les élèves vont plus loin dans l’enseignement avec la scolarité obligatoire. Il sont davantage de cours de maths. Mais par ailleurs, dans l’ouvrage, Jean François Chesné montre qu’en ce qui concerne les acquisitions mathématiques c’est moins net.
Une des idées majeures du livre c’est de monter la complexité de l’enseignement des maths et ses difficultés. L’ouvrage multiplie les regards différents sur cet enseignement. Beaucoup d’élèves sont en difficulté en maths. Mais les facteurs de ces difficultés sont complexes.
On a vu arriver les calculettes qui ont découragé d’étudier les maths. Il y a aussi le balancement dans l’enseignement entre l’objectif de former des gens pour répondre à la demande des entreprises et de former à l’essence des maths qui est la pensée abstraite. On a maintenant des logiciels qui embarquent les maths que l’on apprenait ce qui fait qu’on craint que les besoins théoriques disparaissent. Par exemple avec les calculettes on n’a plus besoin de comprendre le pourquoi des 4 opérations. Or c’est important à l’école de construire dans sa tête quelque chose avant d’utiliser la calculette. En première ce sont les dérivées qui sont maintenant faites automatiquement.
Il y a t-il une sociologie de l’échec en maths ? Et si oui, comment l’expliquer ?
Les difficultés lies à l’origine sociale ou culturelles ne concernent pas que les maths mais elles peuvent être très prégnantes en maths. En effet le rôle de l’enseignant est très important pour acquérir les maths. Or certains élèves ne vont pas oser poser des questions. Cette situation n’est pas propre au maths mais les maths sont la discipline où les difficultés s’exacerbent.
Une autre difficulté tient au langage. La formulation tient un grand rôle en maths et les enfants qui n’ont pas l’habitude d’utiliser le langage autrement que dans l’action ont du mal à entrer dans le jeu des maths.
Quel impact ont les nouvelles technologies sur l’enseignement des maths ? Une plaie ? Un atout ? un nouveau territoire ?
Un nouveau territoire, certainement. L’algorithmique en est un exemple. Mais la gestion des classes avec les nouvelles technologies est plus difficile. Cela nécessite une formation des enseignants. Il n’est pas évident de prendre la main sur une classe qui s’abrite derrière des écrans. Dans l’ouvrage Colette Laborde montre bien que petit à petit on a découvert les limites des usages du numérique dans l’enseignement des maths.
La façon dont les maths étendent leur territoire avec le numérique vous semble naturelle ?
Non; D’ailleurs on ne sait pas qui va enseigner l’algorithmique. Les professeurs de maths option informatique ? Il faudrait avoir des enseignants qualifiés dans des branches voisines qui puissent collaborer avec les professeurs de maths. Pas dans une interdisciplinarité imposée mais une collaboration comme on la voit entre physique et maths.
D’autres pays s’en tirent mieux que nous en maths. Comment font ils ?
Je ne sais pas si on peut apprendre d’eux. La Finlande est un petit pays qui n’a pas les problèmes culturels que l’on a ici et où le métier enseignant est valorisé. C dernier point serait très explicatif des résultats finlandais. Les parents disent aux enfants que l’école est importante et ils ont confiance dans le système scolaire.
En Asie du sud est on a des échos divergents sur la qualité des enseignants. Au Japon ce sont les Lesson studies, la collaboration entre enseignants, qui expliquerait les résultats. Beaucoup de pays d’Asie ont les mêmes problèmes que nous. JF Chesné montre dans son chapitre du livre qu’on ne peut pas prendre au pied de la lettre les évaluations internationales même pour Timms. Par exemple , en terminale (évaluée dans Timms NDLR) les pays préparent plus ou moins les questions qui ont été posées.
Singapour nous invite à suivre son exemple pour la formation. Et ce livre d’une certaine façon est une première étape en ce sens. Il juxtapose beaucoup de regards et montre la complexité de l’enseignement des mathématiques. On envisage une suite qui croiserait davantage ces éléments, par exemple entre analyse psychologique et didactique. Nous voulons encourager ces dialogues.
Propos recueillis par François Jarraud