Proche de l’Institut Montaigne, l’association Agir pour l’Ecole a longtemps compté JM Blanquer dans ses membres. Est-ce pour cela qu’elle gagne une centaine d’écoles publiques dans le département du Nord ? L’entourage du ministre dément toute pression en ce sens. Mais des responsables syndicaux parlent d’injonctions et d’imposition.
Une association proche de JM Blanquer
Depuis 2010, l’association Agir pour l’école, étend ses formations et sa méthode d’apprentissage de la lecture dans les écoles publiques. Agir pour l’école a longtemps compté JM Blanquer dans ses dirigeants, mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, l’association est dirigée par Laurent Bigorgne, président de l’Institut Montaigne et Claude Bébéar, ancien PDG d’Axa.
Depuis 2010, époque où JM Banquer a soutenu son développement comme directeur de l’enseignement scolaire, environ 5500 enfants sont soumis à la méthode d’Agir pour l’école, environ 2000 dans l’académie d’Aix Marseille, 2700 en Ile de France et 700 dans le Pas de Calais. A la rentrée 2018, une centaine de classes de CP des écoles d’éducation prioritaire du département du Nord vont être confiées aux formateurs d’Agir pour l’école et les enseignants amenés à entrer dans un dispositif contraignant.
Un dispositif répétitif et contraignant
Nous nous sommes procurés le guide pour la grande section de maternelle et le CP. Il prévoit un entrainement par petits groupes d’élèves de 30 minutes pour chaque groupe tous les jours. Durant cet entrainement les autres élèves sont « en autonomie » c’est à dire effectuent des taches qui sont elles aussi proposées dans le guide. Même dans une classe de CP à 12 élèves cela prend donc 1h30 le seul entrainement phonologique. En GS cela prend la plus grande partie de la journée. Les élèves sont triés en groupes de niveau. Chaque groupe a des exercices différents.
Le guide ne laisse aucune capacité d’interprétation à l’enseignant. Il fixe la liste des mots à proposer à chaque séance de façon répétitive et dit aux enseignants comment les prononcer. Les élèves apprennent à prononcer les syllabes puis des mots imaginaires. Une formation obligatoire, effectuée par Agir pour l’école, accompagne d’ailleurs la mise en place du dispositif. Le guide propose aussi les tests à accomplir régulièrement. Le professeur doit suivre le protocole, c’est le cas de le dire, à la lettre. Le guide écrit précisément ce qu’il doit dire aux élèves. Il interdit aussi d’utiliser toute autre méthode de lecture.
La méthode d’Agir pour l’école a fait l’objet de plusieurs évaluations, les dernières étant celle de la Depp en 2014 et celle de IPP en 2015. Ces évaluations montrent des progrès en lecture non lexicale et en phonologie. Par contre la méthode n’a aucun impact sur l’apprentissage de la compréhension ou du vocabulaire. A force de passer à lire des syllabes ou des faux mots , les enfants arrivent à un bon degré de fluence en lecture .Mais ce n’est pas pour autant qu’ils comprennent ce qu’ils lisent. Alors savent ils vraiment lire ?
En 2013, un rapport de l’Inspection générale dirigé par V Bouysse avait jugé très sévèrement le dispositif. » La mise en oeuvre des dispositifs bouleverse la conception traditionnelle de la classe.. Cet exemple d’enseignement modulaire, qui donne à voir des conséquences sur le champ disciplinaire dans lequel il s’inscrit et sur le temps des autres disciplines, est difficilement conciliable avec la conception des programmes et des horaires telle que notre histoire scolaire l’a établie. Avancer dans cette voie, qui peut paraître adaptée pour remédier aux nombreux échecs précoces et au décrochage, suppose de repenser profondément le dispositif traditionnel d’enseignement », écrit le rapport. « Les classes ne sont pas des laboratoires ; les élèves ne peuvent être réduits à un statut de « cobayes » sur lesquels on exerce une action pour en voir les effets ». L’inspection soulevait aussi le temps passé au dispositif aux dépens des autres enseignements.
Des écoles sous pression
« Des écoles ont été mises devant le fait accompli », nous a confié Yves Marie Jadé, secrétaire départemental du Snuipp Fsu dans le Nord. Un courrier du Dasen du Nord, Jean Yves Bessol, annonce la mise en place du dispositif dans 102 CP de l’éducation prioritaire (9 à Lille, 46 à Valenciennes et Denain, 26 à Roubaix et 22 sur Avesnes Maubeuge). Pour Yves Marie Jadé ce débarquement d’Agir pour l’école dans le département à ce niveau là serait à l’initiative du ministère.
Le Snuipp souligne le peu de cas qui est fait de la liberté pédagogique. « On ne sait pas pour combien d’années les enseignants s’engagent. Pourront -ils sortir du protocole ? ». Il y a aussi le fait que le dispositif soit chronophage. « C’est une approche très mécaniste de la lecture qui n’est pas conforme aux programmes de 2015 », explique t-il. Pour YM Jadé les enseignants se sentent dépossédés de leur métier. Les liens entre Agir pour l’école et de grandes entreprises inquiètent aussi le syndicat. Il y a aussi la question de la formation dispensée par Agir pour l’école et non par des formateurs de l’éducation nationale.
Dominique Dauchot, la secrétaire départementale du Pas de Calais, où le dispositif est implanté depuis 2010, confirme qu’il est difficile pour les écoles qui veulent sortir du dispositif de le faire. Elle n’est pas convaincue de son efficacité. « En classe on adapte les méthodes aux élèves car les élèves sont différents ». Elle souligne aussi la question du temps pour les autres disciplines et de l’autonomie des élèves pendant que le professeur s’occupe d’un groupe.
Le ministère renvoie au Dasen
Venant après des « recommandations » sur la lecture qui accordent beaucoup de place au déchiffrage et à la fluidité, l’arrivée soudaine d’Agir pour l’école ne semble pas fortuite. Mais dans l’entourage du ministre on se défend de toute pression pour imposer Agir pour l’école. Le dispositif « se fait toujours dans le cadre du volontariat des équipes sur place », dit-on. « IL n’y a aucune instruction pour une méthode en particulier ». Le ministère a juste demandé aux Dasen de « muscler » l’accompagnement pédagogique des CP dédoublés à la rentrée. « Le Dasen du Nord était dans le Pas de Calais, peut-être a-t-il été convaincu de la méthode », nous a-t-on dit.
A Lille, le rectorat ne dit rien. Mais il devrait être saisi d’une demande d’explication d’une intersyndicale dans les jours à venir.
François Jarraud