« Vous l’ignorez peut-être, mais nous somme des machines à écrire ! » Voilà, entre autres, ce que les 220 élèves du collège innovant Pierre Emmanuel à Pau répondent à ceux qui dénigrent le manque de bases et le repli sur soi de la génération des smartphones. Cette parole, fulgurante, prend la forme d’un vidéoclip inspiré d’un célèbre morceau du rappeur Orelsan. Durant une « semaine des Arts », Bruno Vergnes, professeur de lettres, Benoît Cazaubon, professeur d’éducation musicale, et Antoine Rodero, coordinateur d’une association, ont collaboré pour aider leurs 3èmes à réécrire le texte, enregistrer les voix, travailler la chorégraphie, encadrer les autres élèves du collège lors du tournage. Comment faire l’apprentissage du collectif tout en fortifiant l’estime de soi ? Eclairages sur un projet édifiant : « simple, basique » ?
Quelles étaient vos motivations pour lancer ce projet étonnant ?
Faire vivre une expérience collective à des adolescents, leur faire partager un moment commun et réaliser un « objet » qui les rende fiers : ce devrait être un préalable à toute ambition pédagogique ; mais ce n’est pas toujours simple.
Dans quel contexte l’avez-vous conçu ?
« Nous » c’est un projet d’écriture collective et de réalisation d’un clip avec 220 élèves qui s’inspire très largement de l’excellent clip de la chanson « Basique » d’Orelsan. L’idée est venue de notre partenaire culturel préféré : la Cumamovi, une association de production audiovisuelle qui a ses locaux au sein du collège. Ce n’est pas un clip que nous avons fait, en réalité, c’est du ciment !
Au Collège innovant Pierre Emmanuel de Pau, comme dans beaucoup d’autres établissements, l’équipe s’efforce de changer certaines pratiques en travaillant sur le temps et sur la forme scolaire. A la fin du mois de mai, nous avons organisé une semaine thématique autour des arts au cours de laquelle chaque classe avait un projet de création. Les deux classes de troisième devaient réaliser un clip. C’est le clip d’Orelsan qui nous a paru le plus intéressant, le plus ambitieux et le plus fédérateur.
Le projet repose sur une création artistique : comment avez-vous mené le travail de réécriture du morceau d’Orelsan ?
C’est pendant les cours de français que les élèves ont écrit les paroles. Chacune des deux classes de troisième continuait la rédaction des paroles là où l’autre l’avait laissée. Les élèves ont été disposés en un grand cercle où chacun pouvait interagir avec les autres ; la classe devait prendre la forme du projet. Ils devaient se mettre dans les pas d’Orelsan mais en faisant passer leur propre message.
Ils entendent si souvent qu’ils n’ont « pas les bases », alors ils ont pris le parti d’en rappeler certaines aux adultes comme « Votre septième continent, on n’en voulait pas vraiment / Interdiction de répondre à nos addictions mais vous guettez chaque notification ». Les adultes ne leur renvoient souvent qu’une image négative de leurs pratiques et le plus difficile a été de faire verbaliser aux ados tous les côtés positifs liés à leurs habitudes.
Le texte a ensuite été enregistré dans le studio de la Cumamovi par les dix élèves qui avaient choisi de slamer. La musique a été intégralement rejouée par Benoît Cazaubon, le professeur d’Éducation musicale du collège qui a passé quelques nuits à mixer le son du clip.
Le tournage apparait comme un deuxième défi : comment avez-vous travaillé ce plan séquence de toute la scène à l’aide d’un drone ?
Chaque heure de français a été co-animée avec Antoine Rodero, coordinateur de la Cumamovi. C’est lui qui a amené les élèves à penser le dispositif technique de la réalisation : la chorégraphie, le circuit à emprunter, le calage des playbacks, le rythme de la marche, le tout en fonction de contraintes techniques lourdes dues à la spécificité de ce tournage : un seul plan séquence à la fin duquel le drone est lâché et où le pilote prend le relai pour assurer la prise de vue aérienne.
Comment avez-vous réussi à ajuster avec une telle précision la participation au clip de plusieurs dizaines de collégien.nes ?
L’encadrement des 220 élèves a été assuré au début par l’équipe des adultes du collège. Mais tout au long des deux heures banalisées pour le tournage, vu qu’aucun adulte ne devait apparaitre à l’écran, nous avons demandé aux élèves de troisième d’encadrer eux-mêmes les élèves. Cette prise de responsabilité et de tutorat est très intéressante et à renouveler.
Quelles satisfactions tirez-vous d’une telle expérience ?
Un des enjeux principaux du collège est le « vivre ensemble ». Il ne faut pas négliger les projets éducatifs qui renforcent les liens d’un groupe et qui mettent en valeur les élèves. Et je crois qu’il est judicieux d’aller chercher les adolescents sur leur terrain avant de leur demander de nous suivre sur le nôtre. Sur le plan final de la vidéo, on voit les élèves, mieux rangés que jamais, mais on voit aussi un adulte : Pierre Ségura, notre chef d’établissement sans qui aucun projet d’envergure ne serait possible au Collège innovant Pierre Emmanuel.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La vidéo
Le site du collège innovant Pierre Emmanuel
L’association Cumamovi