La Cour des Comptes rend public le 4 juin un référé envoyé le 12 mars aux ministres de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sur les écoles de formation des enseignants (ESPE) et la réponse des ministres. La Cour demande une « rationalisation » de l’offre de formation avec mutualisation inter académique et le développement de la bivalence chez les enseignants. Mais on retiendra surtout la demande du report en L3 des épreuves d’admissibilité des concours d’enseignants. Dans leur réponse, les ministres confirment qu’ils vont changer les concours pour mettre les épreuves d’admissibilité en L3. La question de la rémunération des futurs enseignants va se poser dans de nouveaux termes.
La formation en Espe est-elle efficace ?
La Cour des comptes estime que la formation des enseignants coute environ 1.1 milliard d’euros , sans la charge du demi service. Pour autant elle estime aussi que les ministres n’ont pas assez piloté cette formation. Notamment ils n’ont pas utilisé la possibilité de flécher des moyens directement vers les ESPE « même dans les situations les plus sensibles », laissant les universités et les Espe trouver leur équilibre.
La Cour semble d’ailleurs peu convaincue que l’efficacité de cette formation, voire de toute formation des enseignants. Relevant que « près de 120 000 enseignants ont été recrutés et formés selon trois modalités très différentes ces dix dernières années : un recrutement au niveau licence suivi d’une année de stage en alternance dans les IUFM jusqu’en 2010 ; un recrutement direct après un master universitaire suivi d’une année de stage sans alternance de 2010 à 2014 et, depuis 2014, un recrutement et une année de stage en alternance en ÉSPÉ avec obtention d’un master universitaire », elle demande que soient évaluées les trois formules comme si la suppression de la formation sous Sarkozy restait une option.
« Rationaliser » la carte des formations
La Cour demande dans l’immédiat une « rationalisation » de la carte des formations. Elle juge la couverture actuelle, avec les nombreux sites des Espe, « insuffisamment resserrée » avec des spécialités où les effectifs sont trop faibles. « La région académique apparaît comme l’échelon le plus adapté pour promouvoir les coopérations inter-ÉSPÉ et les mutualisations des formations au niveau inter-académique ». Une formule qui va dans le sens de ce que prépare le ministère. JM Blanquer a annoncé le 1er juin qu’il prépare une réorganisation des Espe normandes à l’image de ce qu’il a fait pour les rectorats.
Former les enseignants à la bivalence
La Cour donne aussi les clés de ce que serait pour elle une meilleure formation des enseignants. Elle estime que « l’allongement de la durée des études pour se présenter au concours de recrutement, puis la création du master MEEF et la rénovation des concours n’ont pas, paradoxalement, garanti une élévation du niveau de compétences disciplinaires, ni une professionnalisation nettement accrue » des enseignants. Elle s’appuie pour cela sur les taux de réussite aux concours dans les académies ou les disciplines déficitaires.
La Cour recommande une formation bivalente des futurs enseignants en amont du master. « S’agissant des compétences des professeurs des écoles, (question d’autant plus sensible que l’école primaire est une priorité en matière éducative), les difficultés tiennent au fait que nombre d’entre eux sont insuffisamment formés soit en français, soit en mathématiques. Même en restant dans le cadre d’une licence générale, il conviendrait d’étendre, voire de généraliser une offre de licences comportant une majeure (par exemple mathématiques) et une mineure dans une discipline d’une autre unité de formation et de recherche (UFR) (par exemple français) ».
Mais la formule est aussi valable pour les enseignants du second degré. Dans un rapport publié en octobre 2017, la Cour invite à « instituer, dès la formation initiale, la possibilité de bivalence ou la polyvalence disciplinaire pour les enseignants du second degré intervenant au collège ; ouvrir la possibilité, pour les enseignants déjà en fonction et présentant les compétences requises, d’opter pour l’enseignement de deux disciplines ; développer la polyvalence en classe de 6ème ». Elle avait estimé les économies réalisables grâce à cette bivalence dans un précédent rapport de 2013.
Systématiser les pré recrutements en L3
La Cour demande aussi le développement des pré recrutements , rappelant le précédent des EAP, non pas les « emplois avenir professeur » de V Peillon mais les étudiants apprentis professeurs mis en place en juillet 2015. Là aussi la Cour encourage le ministre à aller de l’avant. Dans une audition au Sénat le 30 mai, Edouard Geffray, le nouveau DRH du ministère, a annoncé le passage de 1500 à 10 000 pré recrutements en 3 ans avec un nouveau contrat d’alternance pour les assistants d’éducation (AED).
Enfin la Cour recommande de déplacer les épreuves d’admissibilité en L3 de façon à laisser les universités préparer les étudiants sur le plan disciplinaire. « Les épreuves d’admission, qui seraient alors placées au cours de l’année de M1, seraient plus axées sur la professionnalisation afin de sélectionner ceux des admissibles qui présentent les meilleures aptitudes et la plus forte motivation pour le métier, quitte à compléter leur formation disciplinaire par la suite ».
Là aussi la Cour tend la perche à JM BLanquer. En janvier 2018, le ministre déclarait : « La situation actuelle, avec le concours en fin de master 1, ne satisfait pas tout le monde et suscite beaucoup d’interrogations. La réflexion est ouverte… Ce sera l’objet de discussions dans les temps à venir… Le passage du concours en licence 3 présenterait un réel intérêt ».
Dernier point, la Cour demande un meilleur suivi des stagiaires et cite en exemple l’académie de Versailles décidément en pointe pour les questions de recrutement.
L’admissibilité va bien passer en L3
Par une lettre commune en date du 22 mai, F Vidal et JM Blanquer ont répondu au référé de la Cour. Ils retiennent l’idée du transfert de l’admissibilité en L3. « Un consensus se dégage progressivement en faveur d’une épreuve d’admissibilité en fin de licence et d’une épreuve d’admission située en M l ou en M2. Cependant, ce scénario doit être affiné et son impact étudié, non seulement en termes de coût et de réingéniérie des maquettes de licence et de master, mais aussi en termes d’attractivité des parcours de formation pour les meilleurs étudiants ». Cela impliquera une modification des concours et donc demandera plusieurs mois.
Concernant la bivalence, les ministres répondent que « la pluridisciplinarité des parcours de formation des étudiants est dès à présent prévue par la réglementation », ce qui ne marque pas un enthousiasme pour faire avancer ce dossier. Mais ils annoncent aussi la publication prochaine d’un rapport sur la polyvalence des professeurs des écoles.
Ils semblent davantage intéressés par la rationalisation de l’offre de formation en Espe. « La rationalisation de 1′ offre de formation fait effectivement partie des sujets qui doivent faire l’objet d’un travail conjoint des services concernés des ministères respectivement chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. L’enjeu est de piloter la carte des formations pour les disciplines rares et/ou à faibles effectifs, les professeurs de lycées professionnels et les disciplines déficitaires. La région académique, en liaison avec les établissements d’enseignement supérieur, constitue un levier d’action efficace pour promouvoir les coopérations inter-ÉSPÉ et mutualiser des formations au niveau inter-académique », écrivent-ils.
Enfin ils confirment l’ouverture d’un chantier pour élargir le vivier de recrutement des futurs enseignants. « Dans le prolongement des travaux déjà entrepris sur l’élargissement du vivier de recrutement, le ministère va ouvrir un chantier spécifique de réflexion sur le pré-recrutement dans le courant de l’année scolaire. L’objectif sera de repérer plus précocement les étudiants dont le talent et les aspirations peuvent les conduire vers le métier de professeur, en les accompagnant progressivement vers ce métier, ce qui leur permettra de se familiariser avec le monde de l’Ecole et de fonder leur choix de carrière sur une expérience concrète. » Sur ce point l’intervention d’Edouard Geffray annonçant 10 000 pré recrutements dans 3 ans est plus précise.
L’annonce ministérielle va reposer la question de la rémunération des futurs enseignants. Peut on étendre d’une année la formation avec une épreuve d’admissibilité passée en L3 et ne prendre en charge le futur enseignant que sur une année. Si la formation se professionnalise davantage, ce qui est une bonne chose, il conviendra de traiter les futurs professeurs en professionnels salariés.
F Jarraud