L’autonomie des établissements peut-elle mieux faire réussir tous les élèves ? Le 26 mai, la Journée nationale de l’OZP a été l’occasion d’échanges variés sur cette question. L’association, qui regroupe des acteurs des réseaux d’éducation prioritaire, recevait Catherine Moisan, ancienne directrice de la Depp et acteur historique de la naissance de l’éducation prioritaire. Deux tables rondes avec des acteurs locaux ont permis des éclairages nuancés sur cette question qui est aussi ouvertement au programme du ministre.
L’autonomie jusqu’où ?
« Je n’attends pas de vous que vous obéissiez mais que vous réussissiez ». Catherine Moisan ouvre son exposé par cette instruction de l’ancien ministre (1978-1981) Christian Beullac qui fonde d’une certaine façon la question de l’autonomie.
Pour elle, la question de l’autonomie des structures éducatives résulte d’un aveu de l’incapacité du ministère à gérer seul la massification de l’enseignement. Le rapport Prost sur les lycées (1981) a cassé le mythe de l’égalité dans le système éducatif national et montré les fortes inégalités régionales en matière d’éducation. Le même mouvement s’est produit dans les autres pays euroépens.
En se basant sur l’enquête internationale Talis, C Moisan montre que la France est caractérisée par des établissements peu autonomes par exemple sur le budget, le recrutement et le salaire des enseignants ou encore la répartition des moyens (DGH). « On est le pays où on a le moins de marge de manoeuvre en matière de gestion des ressources humaines », explique t-elle. Pour elle cela se traduit par de fortes inégalités dans cette gestion : 5% de contractuels dans le 2d degré en FRance mais 35% dans le 93. » La probabilité qu’un élève du 93 ait un contractuel pendant deux ans en maths est très forte. On peut toujours faire des CP à 12… » Elle plaide pour une réforme du concours de recrutement et une affectation des enseignants décidée localement et non pour un algorithme, comme cela se pratique dans le privé. « Il faut une autonomie locale ».
Vu du terrain
Deux tables rondes ont apporté des éclairages proches du terrain sur la question de l’autonomie. Nathalie Keller, principale d’un collège Rep+ parisien, montre le splus values des réseaux Rep+ : existence d’un temps de concertation, projet collectif; mais aussi les freins. Par exemple le trop grand nombre des acteurs, les « résistances » sur l’usage du temps de concertation et formation. Patrick Gonthier , IEN, insiste sur le fait que le pilotage est nécessaire pour faire exister le collectif. En même temps le collectif ne peut pas être prescrit de l’extérieur. D’où l’importance des coordonnateurs Rep « même si on ne sait pas bien gérer cette professionnalité ». Sylvie Martin-Dametto (IFE) présente l’expérience d’une école d’Argenteuil qui a institutionnalisé des pratiques de travail collectif en les inscrivant dans le projet d’école de façon à répondre au turn over frappant l’école.
Brigitte d’Agostini, Dominique Aussant et Alain Othet ont animé une autre table rodne sur l’organisation locale des autonomies.
Marc Douaire (OZP) devait rappeler en conclusion l’expérience engagée par le Rep+ de Cherbourg qui se définit lui-même comme « réseau apprenant ».L’action de ce réseau repose sur 4 principes : des pratiques pédagogiques pensées collectivement afin de traiter la difficulté scolaire dans la classe; des collectifs de travail (dont une commission inter-partenariale de suivi des difficultés des élèves); des instances de régulation : le comité de pilotage, élément central, qui confie des missions précises aux autres instances (commission école/collège, commission cycle 3…) mais aussi un travail collectif sur des outils tels que les tableaux de bord et un leadership partagé : les pilotes sont davantage dans l’accompagnement de l’équipe et se posent comme garants du projet.
Une question devenue très politique
La question de l’autonomie est devenue centrale dans le système éducatif. C’est aussi une question politique, portée par exemple par le ministre. Mais les modèles évoqués : l’enseignement privé ou les pays qui ont accordé beaucoup d’autonomie à leurs établissements, ne sont pas vraiment convaincants.
Ainsi l’enseignement privé sous contrat peut fasciner. Mais il n’apporte pas une forte valeur ajoutée éducative aux élèves. Si les résultats sont meilleurs cela tient au niveau social et scolaire des élèves qui y sont admis. Cette valeur ajoutée est inférieure au public comme l’ont montré plusieurs études dont celles de l’OCDE. Sur le plan de la gestion des personnels, ce système tant vanté est dans une crise de recrutement bien plus grave que le public. Alors qu’on compte 6% de contractuels dans le second degré public , on en compte 20% dans le privé. Adopter ce modèle ne ferait qu’aggraver les difficultés de notre système sauf sur un point : le privé a un cout inférieur, à la hauteur de son rendement…
Une enquête de Florence Lefresne et Robert Rakocevic, publiée dans une revue de la Depp (Education et formations n°92) est aussi revenue sur l’efficacité des modèles des pays ayant adopté une large autonomie des établissements. Florence Lefresne et Robert Rakocevic montrent qu’en Suède, Angleterre et Pays Bas l’adoption de ces mesures s’est accompagnée d’un abaissement du niveau de recrutement des enseignants et de la baisse des résultats des élèves. La Suède, qui est allée le plus loin en ce sens, a vu ses difficultés de recrutement des enseignants et des chefs d’établissement s’aggraver en meme temps que les résultats dans Pisa dégringolaient.
Si le mythe de l’uniformité a bien explosé, il reste à inventer un modèle qui arriverait à concilier un certain degré d’autonomie et un pilotage national. On voit bien que pour beaucoup d’acteurs l’autonomie doit d’abord remettre en cause le statut des enseignants pour les soumettre au pilotage local pour leur recrutement et leur rémunération. Les exemples cités devraient rappeler que c’est une impasse.
François Jarraud