Dernier élément de la réforme du lycée, celle du lycée professionnel est présentée par Jean-Michel Blanquer le 28 mai. Inspirée par le rapport Calvez – Marcon la réforme pourrait accentuer la déprofessionnalisation de la filière, faisant notamment de la seconde professionnelle une année de tri et de préparation à l’apprentissage. L’enjeu de cette réforme est pourtant de première importance. L’enseignement professionnel porte depuis 20 ans un extraordinaire effort de démocratisation de l’éducation. Selon les décisions qui seront prises par JM Blanquer, c’est l’avenir des jeunes des quartiers populaires qui s’ouvrira ou se refermera.
Les principaux points de la réforme
« Tous les acteurs de la voie professionnelle, particulièrement les professeurs, doivent sentir un vent de renouveau ». C’est par cette formule que JM Blanquer avait ouvert la présentation du rapport Calvez Marcon le 22 février. Les mots ne coutent pas cher. Les réformes parfois oui. Le rapport Calvez Marcon porte plutôt un retour vers la préhistoire de l’enseignement professionnel qu’un renouveau . Il préconise des mesures qui adapte le lycée professionnel à la priorité donnée par le président de la République à l’apprentissage. JM Blanquer devrait en retenir les principales orientations.
La première mesure préconisée c’est la généralisation de secondes multimétiers. Au lieu de 80 filières professionnelles on n’aurait plus que 5 à 15 familles de métiers. « On n’entre pas dans un métier bloqué mais dans un panel qui permettra de les découvrir » expliquait le cuisinier R. Marcon. La députée EM C. Calvez parlait de « parcours progressif vers une spécialisation plus poussée ». A la place des stages en entreprises suivis aujourd’hui en seconde, le lycéen pourrait suivre un vague enseignement de découverte des métiers, peut-être identique à ce qui existe au collège. Il s’agit avant tout d’apprendre à se comporter en entreprise Le choix de la spécialité professionnelle ne se ferait plus qu’en première.
A partir de la première l’élève suit de véritables périodes de formation en entreprise dont le nombre global minimum est précisé diplôme par diplôme au niveau national.
En fin de première, le jeune doit choisir entre la poursuite d’études ou l’insertion professionnelle post bac. En terminale il suit un module de recherche d’emploi ou un module de préparation aux études supérieures.
A tous les niveaux, le rapport préconise de mélanger les publics, élèves en statut scolaire et apprentis. Il demande aussi la suppression des diplômes intermédiaires comme le BEP. Les diplômes seraient délivrés en blocs de compétences. Ce sont ces blocs qui remplaceront notamment les diplômes intermédiaires.
Enfin le ministre devrait reprendre la formule des « harvard du pro » qu’il a déjà utilisée à plusieurs reprises. Il envisage des lycées des métiers dotés de campus où se rencontrent élèves, centres de recherche et entreprises pour développer des filières de pointe. Une belle image d’Epinal pour les médias mais dont le financement reviendrait complètement aux régions dont les compétences et les ressources en matière d’enseignement professionnel viennent d’être brisées par la réforme de la formation professionnelle…
Une réforme qui déprofessionnalise le LP
Toutes ces recommandations reprennent des pistes déjà partiellement appliquées par le ministère. Ainsi la seconde dessinée par famille de métier existe déjà avec par exemple la seconde pro GA qui associe deux spécialités. Elle n’ a pas donné de bons résultats. Dans cette filière, la fusion des secrétaires et des comptables dans un bac unique aboutit à une déprofessionnalisation qui est très négativement ressentie par les élèves et les enseignants. Si le ministre applique cette recommandation du rapport Calvez – Marcon, la déprofessionnalisation de l’enseignement professionnel serait encore accentuée. Après un bac pro en 4 ans, puis en 3 ans, on passerait en fait à un bac pro en 2 ans. On se demande alors ce que pourrait valoir un diplôme professionnel avec moins de pratique et d’enseignement professionnel.
Le seul avantage de ces nouvelles secondes c’est de préparer des élèves jeunes à entrer en entreprise. Autrement dit la seconde pro deviendrait une année de préparation à l’apprentissage, du moins pour les jeunes qui arriveraient à décrocher un contrat.
Le mélange des publics, apprentis et scolaires, qui est mis aussi en avant dans le rapport, ne semble pas plus judicieux. Effectivement il permet de rentabiliser les installations des L.P. Mais au niveau de la classe, les enseignants savent que ça ne fonctionne pas. Comment gérer la progression d’élèves qui ont des calendriers différents ? Comment gérer leur scolarité alors que des règlements différents s’appliquent pour tous les aspects de la vie quotidienne (absences par exemple) ? Lors de la conférence du Cnesco sur l’enseignement professionnel, un chercheur britannique , Andy Green, a pu montrer que ce mélange nuit aux apprentissages.
Enfin la réforme pose de vraies questions sur le devenir des élèves. En fin de première les élèves pourraient avoir à choisir entre un module d’entrée dans la vie active ou un module de préparation aux études supérieures. Certes il y a surement un travail à mener pour préparer les bacheliers professionnels au supérieur, même si leur taux de réussite en BTS est tout à fait convenable. Certes la ministre de l’enseignement supérieure a annoncé la mise en place de quotas obligatoires pour les bac pros en BTS. Mais les places en BTS sont très insuffisantes pour répondre à la demande. Et on voit bien tout ce que Parcoursup peut faire pour décourager les études supérieures des bacheliers pros. Quant au lycéens qui choisiront d’entrer dans la vie active, ils auront une formation allégée sur le plan professionnel par rapport aux générations précédentes.
Une priorité à l’apprentissage contestée
La réforme de la voie professionnelle du gouvernement a fait le choix d’opposer deux systèmes de formation : l’apprentissage et le lycée professionnel en donnant la priorité au premier. La raison évoquée est la meilleure insertion professionnelle des apprentis, encore mis en avant par deux études publiées par le ministère. Une idée combattue par le Snuep Fsu, second syndicat du professionnel. Selon lui, « ces chiffres ne prennent pas en compte les taux de rupture de contrats d’apprentissage qui restent très élevés (29 % pour les Bac pro et BP et 38,1 % pour les CAP et BEP). Imaginons un seul instant que le LP ne garde que les 2/3 de ses élèves dès la première année ! Ces taux d’insertion ne prennent pas en compte non plus la sélection ethnique, sociale et sexuée déjà opérée en amont de ce type de contrat. Pour rappel, selon le dernier rapport annuel de performance, si près de 72 % des jeunes entrant en CAP par voie scolaire obtiennent leur diplôme, ils et elles ne sont que 61 % par la voie de l’apprentissage. En baccalauréat professionnel, près de deux tiers des élèves entrant en formation obtiennent leur diplôme alors qu’un seul apprenti sur deux l’obtiendra ».
Des propos qui s’appuient sur une étude du Céreq. Pour lui, « en termes d’accès à l’emploi comme de salaire, l’avantage des apprentis est très net mais surtout très variable selon les niveaux de diplôme… Pour les bacheliers professionnels, les écarts de chômage à trois ans de vie active, entre ex-apprentis et ex-lycéens sont de 13 points. Pour les sortants de l’enseignement supérieur, ces écarts sont de 6 points. Par exemple, pour les diplômés d’un master professionnel par la voie scolaire le taux de chômage est de 16% contre 10% pour ceux issus de l’apprentissage. Pour un niveau de diplôme donné, les apprentis perçoivent aussi des salaires plus élevés que les jeunes sortis de la voie scolaire ». Mais les auteurs de l’étude indiquent les limites des comparaisons entre populations d’apprentis et de scolaires. « L’avantage associé à l’apprentissage est ici interrogé dans la mesure où l’entrée dans ces formations en alternance est sélective. De ce fait, certaines populations socialement défavorisées bénéficient peu des avantages procurés par cette voie de formation. De plus, l’essor de l’apprentissage se trouve également interrogé parce qu’il tend à se développer dans les niveaux de formation les moins exposés au risque de chômage, ainsi que dans des filières offrant déjà les débouchés les plus favorables. Enfin, si l’apprentissage semble réduire le risque de chômage, il ne constitue pas pour autant un rempart contre la dégradation conjoncturelle du marché de l’emploi ».
La récente loi sur la formation professionnelle a aussi reposé la question du financement des LP. Selon la loi, la taxe d’apprentissage doit aller aux seuls CFA. Pour financer les lycées professionnels une nouvelle contribution doit voir le jour. Le ministère a promis qu’elle compenserait l’ancienne taxe…
L’avenir des jeunes des quartiers en enjeu
Le ministère vient d’envoyer le 16 mai une note de la Dgesco qui modifie les indicateurs de performance des collèges pour inciter les principaux à relever le taux d’orientation vers l’enseignement professionnel, apprentissage et lycées professionnels. Le texte dit vouloir adapter l’orientation aux aspirations des jeunes et des familles. Pourtant aujourd’hui il y a davantage de décisions d’affectation en professionnel que de demandes. Concrètement cette note devrait inverser une tendance qui depuis des années a vu la montée de l’orientation en 2de générale et technologique. Elle passe sous silence aussi la réalité de l’affectation en lycée professionnel : il est rare que le jeune obtienne la spécialité qu’il demande. Il est souvent affecté là où il y a des places et en fonction d’une offre géographiquement très inégale.
Au final, ce qui est en jeu avec la réforme Blanquer c’est bien la survie de la plus grande réussite du système éducatif français depuis une génération. De fait de 2010 à 2017 le nombre de bacheliers professionnels a explosé passant de 110 000 à 190 000. Et c’est cette explosion qui a porté la démocratisation du bac.
Or, l’enseignement professionnel c’est la voie des pauvres. Il concentre des populations socialement défavorisées : on compte dans l’enseignement professionnel 60% d’enfants d’ouvriers et seulement 12% d’enfants de cadres. Il concentre aussi des jeunes des « minorités visibles » comme on dit dans l’Education nationale. Certaines filières se sont fortement ethnicisées au moins en Ile de France.
Vincent Troger a montré que le bac pro a gagné en attractivité depuis 2010 en offrant une nouvelle voie d’accès au supérieur. Selon lui, la réforme du bac pro a changé le regard de ces jeunes sur l’enseignement professionnel. » Le seul fait d’avoir créé le bac pro en 3 ans a changé les aspirations de ces jeunes. Même si leur situation culturelle les rend plus à l’aise dans les savoirs instrumentaux, ils ont maintenant un accès possible à l’enseignement supérieur. Ca ouvre des possibilités de promotion suite à cette décision politique », nous avait-t-il dit en 2016. « En retirant une année d’études à des familles pour qui elles pèsent sur le budget, et en retirant le blocage du BEP pour ouvrir la perspective du bac, c’est clair que ça a ouvert des aspirations… Un aspect symbolique aussi a joué : c’est le bac en 3 ans donc c’est le même bac que les autres, se sont dits les jeunes ».
Aujourd’hui plus de 100 000 jeunes bacheliers professionnels souhaitent poursuivre des études supérieures. 70 000 demandent une place en BTS, mais seulement 37 000 sont admis. Environ 14 000 s’inscrivent en université faute de mieux et ils échouent massivement. Les autres abandonnent déjà le rêve qu’on leur avait fait miroiter.
JM Blanquer va-t-il poursuivre cet effort de démocratisation et de promotion des jeunes des milieux populaires ou va-t-il y mettre fin ? C’est tout l’enjeu de la réforme du lycée professionnel. S’il suit, comme c’est probable , les recommandations du rapport Calvez – Marcon, l’effort de promotion de ces jeunes sera enterré.
François Jarraud