Partout on lit que le ministère de l’Éducation nationale tient à améliorer les résultats de tous les élèves, en particulier évidemment en lecture, écriture et calcul. C ‘est en principe l’objectif de tout ministre de l’Éducation nationale, c’était aussi celui des prédécesseurs de l’actuel, ne serait-ce qu’en lançant la réforme dite des rythmes scolaires, qui devait être le premier levier de la réussite, et de la refondation de l’école. Cette réforme est aujourd’hui marquée par un échec puisque la grande majorité des écoles tient à la supprimer et à repartir sur le modèle imposé en 2008 à savoir la semaine de 4 jours. Mais bien peu tentent d’expliquer les raisons de cet échec. En grande partie, selon moi, elle tient à ce qu’on a soigneusement évité de bousculer substantiellement l’organisation du temps scolaire, on est reparti des journées de classe mises en place au 16ème siècle, pour rappelons le, respecter le temps des prières, journées qu’on a, en 2013, modifiées a-minima, sans s’interroger sur le bien-fondé de ce choix.
Trois témoignages
Or curieusement tout le monde s’obstine à regarder dans les pays alentour le nombre de jours de classe, mais personne ne s’interroge sur l’organisation de ces jours de classe, ce que je fais depuis très longtemps. (1) Et en menant ces observations, on constate évidemment que dans tous les pays, les matinées sont longues, plus longues qu’en France, et les après-midis très réduites. C’est exactement la formule que j’ai choisie pour organiser les temps dans les communes que j’ai accompagnées, ce qui, aujourd’hui, satisfait l’ensemble des enseignants qui vivent sur une matinée plus longue (très bien vécue aussi dans un groupe scolaire lillois depuis 22 ans ! Groupe qui a obtenu une nouvelle dérogation du Dasen pour 5 ans).
Or quand je lis qu’un Dasen refuse à une commune d’allonger les matinées, commune qui a dû repasser à 4 jours sous la pression des parents, refus avec comme argument « dans l’objectif d’éviter les déséquilibres entre la matinée et l’après-midi » ! « Les horaires que vous proposez ne permettent pas un travail pédagogique optimum, notamment pour les petits », je dois dire que les bras m’en tombent ! Sur quelles données s’appuient ces responsables pour faire de telles affirmations ? C’est dans plusieurs départements que de tels propos ont été tenus par la hiérarchie de l’Éducation nationale.
Je joins ici trois paroles d’enseignants directement concernés, puisque enseignant en maternelle :
PE de TPS et PS :
« Avec le recul de vingt-deux années d’expérimentation d’un nouvel aménagement des temps de l’enfant, il est évident que les quatre heures matinales sont à la fois très aisément assimilables par les enfants, mais également très profitables pour les apprentissages scolaires. Ils sont très concentrés le matin pour les apprentissages, d’autant plus qu’ils savent que les après-midi sont moins chargés quand il y a l’école, et ludiques avec les activités. Ainsi, il est aisé de les solliciter et de leur demander une concentration soutenue durant la matinée, à tel point que les résultats scolaires des enfants, même dans un quartier dit « en difficulté », sont très prometteurs. Avec l’alternance des différents moments dans la matinée, il n’y a pas de phénomène de lassitude. Il est à noter que dans les classes des petits et des moyens, les heures de siestes nécessaires s’étalent beaucoup moins sur les heures scolaires, et les enfants ont donc plus de temps de classe et de moments de sollicitation des différents adultes qui s’occupent d’eux. La conclusion paraît évidente : toute modification de ce rythme particulièrement bien adapté aux jeunes enfants et aux apprentissages sera perçu, par les enfants, les parents et les enseignants, comme une régression pédagogique. »
PE de GS :
« Moi, j’en suis convaincu : quatre heures le matin, ce n’est pas un problème. On en arrive même, avec Mme G., à descendre en retard tous les jours en récréation parce que les enfants sont en plein travail et ne demandent pas à s’arrêter. J’ai eu une inspection ce matin de Mme L., qui a été absolument enchantée de voir les enfants s’activer, travailler, apprendre et réclamer encore et toujours du travail dès qu’ils avaient fini. Elle a été emballée de voir leur disponibilité et leur envie. Conséquence évidente d’une autre manière de faire, d’un autre rythme et d’une disponibilité plus grande des enseignants. ».
Dans un autre groupe scolaire, où nous avions aussi mis en place des longues matinées ;
« Pour la classe des tout petits, la maîtresse dit ne pouvoir que constater que les élèves ont avancé beaucoup plus vite dans les apprentissages que les autres années alors même qu’au contraire, elle les laisse avoir plus de temps pour aller au bout de leur activité, car la longue matinée le permet. » Dans une école rurale, longues matinées mises en place en 2015, la PE de maternelle dit : « N’hésitez pas à appuyer au nom de l’école de C…. sur la pertinence de ces rythmes pour le bien des enfants. »
Ce sont là des personnes qui vivent cette organisation au quotidien, pourquoi mentiraient-elles ?
Plaidoyer pour les longues matinées
Testu, souvent pris comme référence pour prétendre qu’on peut travailler avec efficacité l’après-midi, en 2005 (2) , écrit : « Bien que cette évolution journalière des performances intellectuelles soit souvent présente, elle peut cependant se moduler voire s’inverser sous l’influence de nombreux facteurs liés à la situation, à la tâche ou bien aux sujets eux-mêmes notamment leur âge. Les résultats nous permettent de constater qu’effectivement il y a bien des modifications de la rythmicité journalière de l’attention des enfants scolarisés entre la moyenne section et le cours moyen 2ème année où ce rythme devient constant et stable. C’est donc à partir de 11 ans que les moments de faible attention sont le matin et le début d’après-midi, les périodes accrues sont la fin de matinée et à un degré moindre, la fin d’après-midi ».
Nous sommes bien en train de réfléchir à la meilleure organisation pour des enfants de maternelle et élémentaire, pas de collège.
Il a repris ces constats dans la contribution qu’il a apportée au MEN lors des concertations pour la refondation de l’école en 2012 : « Les similitudes relevées précédemment entre les rythmes psychologiques et les rythmes biologiques de l’enfant ne sauraient nous conduire à considérer qu’ils dépendent d’une même horloge biologique, ce d’autant plus qu’à la différence des rythmes biologiques, des facteurs psychologiques de personnalité et de situation peuvent modifier, voire annihiler les rythmes psychologiques ».
Il précise d’ailleurs ces facteurs : « l’âge, le niveau scolaire, l’appartenance ou non à une ZEP, les conditions d’exécution de la tâche, la nature de la tâche, la difficulté de la tâche, le type d’efficience, le type de mémoire, le stade d’apprentissage sont autant de facteurs qui nous font dire que la rythmicité psychologique est fragile » ! On est en droit de se demander « quand donc cette rythmicité apparaît-elle vraiment ? ».
De plus on lit bien qu’y compris dans cette référence souvent prise comme appui, justement l’auteur précise qu’il y a une modification importante entre la moyenne section et le CM2 ! Que ce n’est qu’à cet âge qu’une petite remontée de l’attention s’effectue en fin d’après-midi !
Un autre auteur s’était posé la question des variations de l’attention en classe dès la mise en place des écoles de Jules Ferry (3). Il s’agit d’Alfred Binet, psychologue, qui dès la fin du 19ème siècle s’était intéressé aux difficultés d’apprentissage de certains enfants. Avec son homologue Théodore Simon, il construit la première échelle d’intelligence, proposée en 1905 (4) , elle avait comme objectif de dépister en milieu scolaire les enfants incapables de suivre l’enseignement dispensé étant donné l’insuffisance de leurs moyens intellectuels. Cette échelle fut d’abord utilisée pour les enfants de 3 à 12 ans puis pour les adultes « arriérés ». Il s’agit d’une échelle de développement qui calcule un quotient de développement mental, soit le rapport de l’âge mental rapporté à l’âge chronologique. En 1966 René Zazzo révisera cette échelle pour construire la NEMI, « Nouvelle Échelle Métrique de l’Intelligence ». L’important travail de Binet et Simon a été le point de départ des travaux menés sur le QI. Binet a aussi fait des études de médecine et obtenu une licence de sciences naturelles, ce qui lui confère une certaine légitimité pour s’exprimer sur les meilleurs moments d’apprentissage des enfants.
Binet et son élève Henri se sont intéressés aux résultats des premières recherches menées en classe, et non pas en laboratoire, sur l’évolution des performances des élèves en dictées et en calcul selon le moment de la journée.
Sikorsky (1) étudie l’évolution des performances dans des dictées durant 15 mns en fonction du moment de passation au cours de la journée scolaire. Ces recherches se font en Russie auprès d’enfants de 9 à 10 ans (entre autres) qui vont en classe le matin de 9h à midi puis de 13h à 15h l’après-midi. Le gros intérêt de ces résultats, bien que très anciens, est qu’ils s’intéressent à des enfants non pollués par le manque de sommeil, des nuits écourtées ou irrégulières. Ce sont donc bien les effets de la lassitude, ou de la fatigue comme le dit Binet, par rapport à l’activité en classe qui sont étudiés.
La première dictée a lieu avant le démarrage de la classe, la dernière après la fin de la classe de l’après-midi, soit après 15h. Cette première expérience montre que le nombre d’erreurs augmente considérablement après les classes, soit après 15h. Cette technique des dictées ayant fait ses preuves, elle fut reprise par d’autres chercheurs, en Allemagne.
Friedriech (cité par Binet) publie en 1896 une étude très méthodique auprès d’élèves de 10 ans en moyenne. Il fit quant à lui toute une série de passations, à des moments différents, prenant en compte différents facteurs susceptibles d’avoir un effet sur les résultats (récréations entre les heures de classe ou non, après ou non un cours de gymnastique), sachant que l’école commençait à 8h, jusque 11h le matin, et reprenait de 13h à 15 h l’après-midi. Quels résultats ?
C’est le matin avant la classe que les dictées sont TOUJOURS les mieux réussies, avec le moins de fautes. Cette expérience montre bien également l’effet positif des récréations entre les cours, montre encore qu’avant la classe de l’après-midi, après 2 heures de repos, les résultats sont moins bons que ceux d’avant la classe du matin, que l’heure de gymnastique fait monter considérablement plus les fautes qu’une heure de classe ordinaire, le nombre de fautes est globalement le plus élevé de façon équivalente en fin de matinée après trois heures de classe sans récréation et en fin d’après-midi après deux heures de classe sans récréation. En faisant l’examen individuel de toutes les copies, Friedriech montre que ceux qui ont mal fait dès la première épreuve, avant la classe du matin, font encore plus mal à la fin de la dernière épreuve. Comme le dit Binet, il serait temps qu’on prenne conscience que tout effort physique prolongé diminue l’activité mentale de l’individu et peut même amener une fatigue intellectuelle, que pour se reposer après un travail intellectuel il ne faut jamais faire de grands efforts physiques comme on le fait souvent en vertu d’une tradition bien ancienne. Or que fait-on faire aux enfants quand on leur propose des activités sportives couûteuses énergétiquement après le repas, pendant la pause méridienne, avant de se remettre au travail ?
Friedriech a mené les mêmes expériences avec des épreuves de calcul, additions et multiplications complexes, et a trouvé exactement les mêmes résultats qu’avec les dictées.
Toutes ces données ont conduit Binet à conseiller ainsi en permanence les enseignants « faites bénéficier vos écoliers de la clarté mentale de la matinée » ! On voit donc bien qu’on a tout intérêt à privilégier le matin, à condition de bien l’organiser, pour avoir l’efficience la meilleure dans les apprentissages.
La clarté matinale
Presqu’un siècle plus tard, Pierre Magnin, médecin mais qui fut aussi Recteur de l’académie de Besançon, dont les travaux ont été une source importante de réflexions sur les « rythmes scolaires », (il a été l’auteur du rapport qui a fait suite, en 1980, au Conseil Économique et Social qui traitait spécifiquement de la nécessité de revoir l’organisation des emplois du temps scolaire pour mieux respecter les rythmes des enfants) rappelle, dans son ouvrage de 1993 (6) que « les observations et les dosages (prélèvements d’urine réalisés plusieurs fois dans la journée) ont montré que la période propice de la matinée s’imposait pour être la plus caractéristique et la plus synchronisée : celle de l’après-midi apparaissant moins intense et moins vigoureuse » (p. 161).
Magnin insiste également sur l’importance de respecter ce qu’il appelle « la phase de désynchronisation », correspondant au creux méridien, dont il dit qu’il est raisonnable de la situer dans une fourchette moyenne de 90 à 120 minutes. Mais il confirme que, même en respectant au mieux cette période, par du repos, de la sieste, de la relaxation, « il est toutefois remarquable que les performances qu’elle permet d’atteindre ou de réaliser restent chez la plupart des individus inférieures à celles de la matinée. La disponibilité cérébrale a évolué ».
Voilà pourquoi depuis longtemps, je milite avant tout pour favoriser les matinées, celles où la clarté mentale est présente comme le disait Binet. Faire en sorte qu’il y en ait le plus possible dans la semaine, mais surtout qu’elles soient plus longues qu’elles ne le sont traditionnellement. C’est bien cela qui permet de jouer bien davantage sur des alternances pédagogiques, qui permet de donner aux enfants des temps de respiration tout au long de sa journée (pas uniquement lorsque les activités dites périscolaires arrivent), de les motiver davantage et de les aider à acquérir des capacités de transfert d’apprentissage : faire se côtoyer dès le matin des maths et de la musique ou de l’EPS et des maths, permet de donner ces temps de respiration mais aussi de mettre en évidence les acquis transférables d’une matière à l’autre. Ceci est impossible quand on ne consacre les matins courts qu’aux maths et au français !
C’est exactement ce que réclamaient Debré et Douady (1) dès 1962 , à savoir : « on n’insistera jamais trop sur les vertus de l’alternance pour la prévention ou la réparation de la fatigue scolaire. » « L’alternance entre mouvement et immobilité, entre activités rationnelles, activités artistiques et activités physiques doit être respecté dans l’emploi du temps quotidien et pas seulement dans l’emploi du temps hebdomadaire » !
Chez les plus jeunes ces longues matinées permettent de ne plus les mettre sous pression constante : « dépêche-toi de … ! » répété à tout bout de champ dans une matinée courte interrompue par une longue récréation est la commande la plus répétée au cours d’une journée ! N’est-il pas frustrant pour un enfant d’avoir constamment à se dépêcher ?
Mesdames et Messieurs les Inspecteurs, allez en observation dans les classes pendant quelques jours, non pas pour évaluer l’enseignant et son savoir-faire, mais pour regarder fonctionner les enfants. Peut-être alors serons-nous capables de nous détacher des journées de classe vieilles de plusieurs siècles, de l’époque où tous les élèves scolarisés étaient retenus à l’école de 6h du matin à plus de 19h, ce qui permettrait de gérer les temps scolaires dans de bien meilleures conditions qu’actuellement.
En revanche, travaillez à ce que la co-éducation avec les familles soit une réalité, ce qui permettra que l’école s’implique auprès des parents pour qu’ils apprennent à respecter la régularité du rythme veille-sommeil de leur enfant, moyen le plus efficace pour éviter la trop grande fatigue chez eux.
Et donnez-moi une explication plausible sur le fait que tous les ministres depuis 2012 ont indiqué dans leurs décrets portant sur l’aménagement des temps scolaires que les matinées pouvaient être d’au moins 3h30 !
Ci-joint un modèle de longue matinée en maternelle qui fait largement ses preuves.
Claire Leconte
Notes :
1 Sur touteduc.fr
2 Janvier B., Testu, F. « Développement des fluctuations journalières de l’attention chez des élèves de 4 à 11 ans », Enfance 2005, 2, p. 155-170.
3 Binet, A. & Henri V. La fatigue intellectuelle, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher Frères éd., 1898
4 Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux, L’Année Psychologique, Vol. 11, 1905, pp. 191-244
5 « Sur les effets de la lassitude provoquée par les travaux intellectuels chez les enfants à l’âge scolaire » ; Annales d’hygiène publique, 1879, pp 458-464
6 Des rythmes de vie aux rythmes scolaires, 1993, PUF, Coll. Politique d’aujourd’hui.
7 Rapport sur « la fatigue des écoliers français dans le système scolaire actuel »