« C’est la faute aux parents ! » est une expression redoutable. Désignant un coupable, elle exonère ceux qui la prononcent de toute responsabilité. Désignant un coupable, elle renforce les difficultés rencontrées pas ces mêmes parents en les désignant dans leur incapacité éducative. Prononcée par un éducateur, un médecin, un ministre etc. cette phrase soulève aussi rapidement des oppositions vives. La question se pose à propos des écrans.
Ainsi la vidéo récente des docteurs Terrasse et Ducanda à propos des écrans et de l’autisme a-t-elle posé un problème aux parents d’enfants ayant un syndrome autistique (TSA). Ce problème a été bien analysé par le docteur Marcelli dans un article du Monde daté du 30 avril 2018. Au-delà de ces échanges médiatisés se pose la question que l’on appelle aujourd’hui celle de « l’apprentissage des connaissances primaires » on peut même évoquer la notion d’apprentissage primaire, à savoir ces apprentissages qui se sont faits en donnant l’impression de ne pas demander d’effort, de s’effectuer « naturellement ». On parle bien sûr en priorité de ce qui se passe en premier dans la petite enfance. Marcher, parler, se faire comprendre et interagir, expérimenter etc.… sont autant de compétences qui semblent se développer « naturellement ». Malheureusement les inégalités de développement (voir l’échelle de DENVER) sont souvent repérées dès la petite enfance, avant même que le système éducatif intervienne pour tenter de compenser celles-ci. C’est sur ces bases ainsi que sur des observations du quotidien de la classe que certains posent la question du rôle des parents dans le développement des enfants.
La multiplication récente, après les écrans de télévision, de multiples écrans à la maison amène à poser la question des conséquences d’une utilisation de ces moyens techniques dans un quotidien qui justement permet le développement des apprentissages primaires. Les nombreux débats qui sont en cours sur ce sujet, au-delà de l’affaire évoquée précédemment, ne sont pas nouveaux : la télévision avait suscité les mêmes échanges il y a près de quarante années. Faut-il désigner, un ou des coupables ? Est-ce l’écran ? Est-ce la famille ? Est-ce les concepteurs vendeurs ? Est-ce la société ? La recherche de coupables est évidemment un moyen pour chacun de nous de commencer par analyser son propre comportement, son mode d’appropriation de ces technologies.
L’enseignant, face à l’enfant en difficulté, est à la recherche de solutions, mais aussi de causes. Difficultés de concentration, d’attention, absence d’intérêt pour les tâches proposées, regards vides, sont parmi toutes, les remarques entendues. Constatant que l’enfant devant un écran est attentif, le parent pense qu’il est pratique et intéressant d’utiliser cet écran pour qu’il soit tranquille (son attention est captée par ce qui bouge) alors que s’il pleure, il ne va pas le supporter (et les proches non plus). Dans les voyages qui sont un peu long, jadis nous organisions des jeux pour passer le temps. Parfois cela tournait mal, et les parents étaient obligé d’arrêter le véhicule pour « prendre l’air », se détendre. Aujourd’hui on choisit souvent de mettre des écrans pour obtenir un résultat satisfaisant : l’enfant ne dérange plus. Le parent est parfois encouragé lorsqu’un voisin vient, dans un transport en commun, lui reprocher les pleurs de l’enfant… parce qu’ils dérangent.
Le monde scolaire peut-il rétablir l’équilibre ? Faut-il qu’il s’abstienne de tout écran ? Faut-il au contraire qu’il les utilise aussi et de quelle manière ? Les enseignants doivent-ils aussi éduquer les parents pour ces usages d’écrans ? Les questions sont difficiles car il n’y a pas une réponse unique. Ce qui se passe dans les familles depuis la naissance est très différent d’un foyer à l’autre. L’arrivée à l’école est une transition entre des mondes différents qui deviennent concurrents : l’école aussi veut capter l’attention de l’enfant. L’école ne peut s’abstraire de cette réalité pour construire un monde aseptisé, au risque de renforcer une ségrégation souterraine. Mais l’école ne peut se soumettre à cette réalité en s’inscrivant dans les mêmes pratiques. Elle doit trouver la bonne distance : celle qui permet à l’enfant de prendre en compte la richesse de tout l’environnement humain et matériel, celle qui permet de donner progressivement une juste place aux objets et aux activités souhaitées. Du coup penser le numérique dans ce contexte oblige à une réflexion d’équipe (en particulier en maternelle). Il est souhaitable que les équipes tentent de s’accorder sur des pratiques coordonnées entre enseignants, mais aussi dans la relation aux parents.
La difficulté complémentaire, c’est l’utilisation des écrans (pour faire court, car chaque appareil à ses particularités et d’autres fonctions que la visualisation) par les adultes. Les enseignants sont aussi des parents, des adultes et ils utilisent quotidiennement ces appareils dans leur vie personnelle. Il est toujours tentant de montrer les dysfonctionnements des autres, mais il est nécessaire de se questionner pour soi. Dans le cas évoqué au début de cet article et dans les débats qui s’en suivent actuellement, il faut dépasser certaines analyses passionnées voir passionnelles. Il est indispensable d’engager la réflexion dans l’espace public. Ce n’est pas en fustigeant tel ou tel, en désignant des coupables qu’on résout les problèmes. Ce n’est pas non plus en demandant à la technique de résoudre les problèmes éducatifs (filtres et autres contrôles). C’est d’abord en réinterrogeant la fonction éducatrice et les postures personnelles qui y sont associées. Qu’un professionnel de l’éducation ne puisse faire personnellement ce travail serait inquiétant. Peut-être faut-il engager dans les équipes des travaux d’analyse collective des usages personnels du numérique, sorte d’analyse de pratique.
Bruno Devauchelle
Les chroniques de Bruno Devauchelle
Courrier d’un collectif à propos l’émission d’envoyé spécial du 18 janvier 2018