Publiées en exclusivité par le Café pédagogique dès le 9 avril, les instructions Blanquer sur l’enseignement de la lecture, l’écriture et les maths à l’école et au collège sont finalement parues au B.O. du 26 avril. Elles sont complétées par un Guide du CP dont les auteurs restent anonymes. En dehors du Snalc, qui salue « un retour au bon sens », les autres syndicats d’enseignants (Snuipp, Snes, S-Unsa, Sgen, Cgt, Sud) marquent leur hostilité à ces textes. Les inspecteurs accueillent différemment ces textes, le SI EN Unsa se déclare pour leur mise en oeuvre par les enseignants quand le Snpi Fsu rappelle la liberté pédagogique. Quant aux enseignants, ils ont accueilli avec beaucoup d’ironie ces textes, multipliant les « mêmes » sur les réseaux sociaux.
Si vous étiez en vacances…
Dans un entretien donné au Parisien, dans 4 circulaires publiées le 26 avril, mais dont le Café pédagogique avait donné la primeur le 9 avril, et dans une brochure envoyée aux professeurs des écoles, Jean-Michel Blanquer fixe des instructions directes sur ce que doit être l’enseignement de la lecture, l’écriture et des maths à l’école (maternelle et élémentaire) et au collège. Pour la lecture c’est simple : s’appuyant uniquement sur « plusieurs membres » du Conseil scientifique de l’éducation nationale, le ministre prône une seule méthode pour tout le monde et annonce bientôt un manuel autorisé. Les enseignants sont réduits au rang d’exécutants d’une méthode syllabique stricte, condamnant toute méthode mixte. Pour les mathématiques, le ministre est plus prudent même si ses instructions restent caricaturales sur les actions des enseignants en classe. La note tient compte dans sa version définitive, des remarques de Rémi Brissiaud sur l’enseignement des maths en maternelle, publiées par le Café pédagogique le 12 avril. Enfin un Guide de la lecture et l’écriture en CP, rédigé par « plusieurs membres du conseil scientifique », complète ces notes. On trouvera des analyses des notes et du Guide dans notre article du 26 avril.
Le Snalc seul satisfait
Le Snalc, proche du ministre, parle de « recommandations inespérées ». » Ces textes marquent un changement de cap majeur sur tous ces sujets », estime t-il. « Après des décennies d’errance… il est satisfaisant de voir un retour à des propositions pédagogiques de bon sens ».
Snuipp et Snes : Nier la professionnalité des enseignants
Pour les deux syndicats du primaire et du secondaire de la FSU, » les textes… sur l’enseignement de la lecture et des mathématiques ne répondent pas à l’enjeu d’améliorer les mauvais résultats des élèves français soulignés par les évaluations internationales récentes, avec notamment des résultats qui restent fortement corrélés à l’origine sociale des élèves. Le caractère inédit d’une telle démarche est inquiétant quant à la conception du métier d’enseignant et du respect de la professionnalité de ces derniers ».
Ils soulignent dans un communiqué commun que » ces recommandations devraient a minima être en accord avec les programmes en vigueur pour la maternelle, l’élémentaire et le collège. Ces textes font l’impasse sur les résultats de la recherche dans le domaine de la lecture, notamment sur des pans entiers de l’apprentissage de la compréhension des textes et des mathématiques ». Par exemple, » lire n’est pas une activité mécanique de décodage mais une démarche complexe qui implique le lecteur et son rapport au monde. Le texte littéraire le fait entrer dans le monde esthétique et artistique. C’est là toute la difficulté de l’enseignement de la lecture. Le document du ministre semble l’ignorer ».
« Quel est alors le but de ces textes ? », interrogent les deux syndicats. « Remettre insidieusement en cause les programmes… Mettre les enseignants au pas et leur interdire l’exercice de leur liberté pédagogique ? Nier leur professionnalité et leur capacité à construire les apprentissages dans le respect des besoins de leurs élèves ? On est loin de l’école de la confiance, formule qu’affectionne pourtant le ministre. Comment lire autre chose que du mépris quand il va jusqu’à conseiller aux enseignants de « se promener dans les rangs pendant les activités des élèves » ? »
Se-Unsa : Contenu sans intérêt
» Ces textes mélangent des lieux communs, des préconisations vagues avec d’autres très détaillées, le tout sous-tendu par une conception plutôt archaïque des apprentissages », estime le Se Unsa, second syndicat enseignant. » Par ailleurs, ces textes ne sont pas concentrés sur ce qui pose le plus problème à nos élèves. Ainsi, le décodage, la fluence et la lecture de textes littéraires sont très présents dans la note sur la lecture. Or, c’est bien la compréhension, notamment de l’implicite, qui pêche le plus… En commentaire accompagnant ce BO, le ministre a déclaré que « la liberté pédagogique n’était pas l’anarchisme pédagogique » ; le SE-Unsa lui rappelle que l’efficacité ne rime pas non plus avec l’archaïsme ».
Sgen : Une insulte à la liberté pédagogique
« Les circulaires qui concernent la lecture et la grammaire, sont réductrices. Elles préconisent des pratiques ayant fait la preuve de leur inefficacité : « veiller à circuler dans les rangs… », « assigner à chaque séance un objectif d’apprentissage précis », dictée quotidienne, alterner les temps individuels et collectifs… Ce ne sont là que quelques exemples de cette remise en cause de la capacité des enseignants à mettre en place des pédagogies adaptées à chaque élève », estime le Sgen Cfdt. Pour lui, » Améliorer les résultats des élèves, notamment lors des évaluations internationales, c’est d’abord réduire les inégalités sociales. Aucune des mesures affichées dans ces circulaires ne vise clairement cet objectif. »
CGT : Mise au pas
» À la lecture des documents produits, on constate simplement l’application de ce que le ministre prône depuis son arrivée rue de Grenelle », écrit la CGT Éduc’action, » encadrement des pratiques pédagogiques, mise aux pas des personnels en leur supprimant toute liberté pédagogique et référence quasi exclusive aux neurosciences au détriment des autres recherches pédagogiques ». Pour la CGT Éduc’action, « la publication de ces textes et l’interview de JM Blanquer relèvent de la seule communication politique d’un ministre qui, plus que jamais, impose de manière autoritaire son idéologie et sa vision de l’École. Les propos du ministre traduisent une méconnaissance des pratiques de terrain et une sorte de mépris de leurs compétences ».
Les inspecteurs divisés
» La publication au bulletin officiel de l’Éducation nationale de quatre recommandations relatives à l’enseignement des fondamentaux en français et en mathématiques permet de clarifier les attentes ministérielles, sans remettre en cause le principe de la liberté pédagogique. Il appartient, en effet , aux enseignants de prévoir la mise en œuvre de ces recommandations en fonction du contexte particulier dans lequel ils travaillent », estime le SI EN Unsa, syndicat des inspecteurs du primaire. » Les recommandations posées, pour légitimes et cohérentes qu’elles soient, ne sauraient suffire à améliorer l’efficacité du système éducatif si elles n’étaient relayées par des actions de formation et d’accompagnement ».
Le SNPI Fsu manifeste met en avant une autre vision. » Notre institution scolaire a patiemment construit la nécessité de la liberté pédagogique. Cette liberté ne nie en rien la légitimité d’une politique nationale mais elle ne permet pas que la doxa d’un ministre se substitue à l’expertise professionnelle des enseignants. La définition des finalités est politique mais leur mise en œuvre ne peut faire l’économie d’une élaboration professionnelle responsable mais libre », estime le Snpi Fsu. » Le travail pédagogique et didactique ne peut se résumer à l’application de consignes, il demande l’exercice de compétences élaborées qui se construisent par une formation initiale et continue qui fait aujourd’hui largement défaut. »
Réactions ironiques d’enseignants
Après avoir rappelé que le calcul mental et la dictée sont déjà pratiquées quotidiennement depuis des années (instructions de 2002 par exemple), des enseignants ont mis en image à leur façon les instructions. Tel professeur signale dans un manuel vieux de 70 ans le prochain livre de lecture Blanquer. Un autre montre la classe du futur équipée de porte plumes. Ils soulignent le caractère rétrograde des instructions Blanquer.
François Jarraud
Sur les notes et le Guide publiées le 26 avril