Retour à 2006. Dans un entretien donné au Parisien, dans 4 circulaires publiées ce jour mais dont le Café pédagogique vous a déjà donné la primeure, et dans une brochure envoyée aux professeurs des écoles, Jean-Michel Blanquer fixe des instructions directes sur ce que doit être l’enseignement de la lecture, l’écriture et des maths à l’école maternelle et élémentaire. C’est simple : s’appuyant uniquement sur « certains membres » du Conseil scientifique de l’éducation nationale, le ministre prône une seule méthode pour tout le monde et annonce bientôt un manuel autorisé. Les enseignants sont réduits au rang d’exécutants d’une méthode syllabique stricte, condamnant toute méthode mixte. L’entretien du ministre dans Le Parisien donne le ton.
Des circulaires déjà révélées par le Café
Les circulaires Blanquer ont déjà été présentées en exclusivité dans le Café pédagogique le 9 avril. A coté d’instructions qui présentent comme des nouveautés des pratiques installées depuis plus de 10 ans (de la dictée et du calcul mental chaque jour), elles rétablissent les leçons de grammaire et donnent le détail du comportement des enseignants en classe, par exemple pour l’enseignement des maths. Très prescriptives, les quatre notes publiées le 26 avril s’écartent très peu des 4 projets publiés par le Café pédagogique. Elles en maintiennent même les points les plus caricaturaux comme cette demi page où on apprend aux enseignants comment circuler dans les rangs pour regarder ce que font les élèves.
La méthode syllabique stricte
Le principal apport de ce 26 avril c’est le Guide sur la lecture et l’écriture au CP et l’entretien de JM Blanquer donné au Parisien. Le ministre utilise à nouveau la vieille querelle syllabique – globale, un débat pédagogiquement enterré mais politiquement prometteur auprès de la clientèle conservatrice.
« L’idée n’est pas d’homogénéiser les pratiques mais de créer une référence commune » affirme JM Blanquer dans cet entretien. La présentation est habile mais JM Blanquer précise qu’il s’agit bien d’imposer une seule méthode. Et pour cela il relance la vieille bataille globale – syllabique qu’on croyait définitivement enterrée. « Entre quelque chose qui ne marche pas – ma méthode globale – et quelque chose qui fonctionne – la syllabique – il ne peut y avoir de compromis mixte. Ce sujet ne relève pas de l’opinion mais de faits démontrés par la recherche. C’est très clair ».
Ainsi le ministre interdit l’apprentissage des mots outils. « Cela peut avoir un impact assez grave pour la suite de la scolarité (de l’élève) ».
Un guide très prescriptif
Ce sujet est plus largement développé dans le Guide « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP » distribué par le ministère.
Le guide a beau affirmer que « l’opposition entre les méthodes globale et syllabique n’a plus de sens » et que « aujourd’hui, la méthode qui est largement utilisée est appelée « méthode mixte » car elle repose sur plusieurs stratégies d’identification des mots : le décodage, la reconnaissance globale », c’est pour mieux ramener l’enseignant vers la seule méthode syllabique stricte.
« Dans un manuel à dominante syllabique, les mots aussi sont restreints dans chaque leçon, mais la règle de cette restriction est totalement différente : c’est celle qui commande de ne jamais proposer des mots qui ne contiennent pas le graphème de la leçon du jour et de toutes les leçons précédentes », explique le Guide. « Au début de l’apprentissage, beaucoup de mots sont écartés, mais, très vite, ils deviennent si nombreux qu’un choix drastique s’impose pour chaque leçon. Le choix se fait en fonction des connaissances d’enfants de CP, mais aussi de la volonté d’enrichir leur vocabulaire avec des mots méconnus. Ce choix n’est d’ailleurs pas limitatif pour les élèves puisqu’ils auront acquis la capacité de lire tous les mots qu’ils peuvent rencontrer par ailleurs, qui contiennent les graphèmes étudiés. Grâce à cette démarche, à la fin de l’année, tous les mots sont accessibles à leur lecture effective ».
Déchiffrer plutôt que comprendre
« Au tout début de l’année, des phrases telles que « Assis sur le sol Élie a réussi à lire. Il rassure Lola. », « L’otarie lisse sa moustache. », « Milo a avalé la fumée. », « Le rat a vu le chat. Il fuit. » peuvent être totalement déchiffrées dans des manuels qui ne proposent pas de mots-outils. En revanche, lire dans d’autres manuels : « Il y a un pyjama. » ou « Mais il est fort, il s’en sort ! C’est la folie ! » nécessite l’apprentissage de mots-outils déjà nombreux », explique le Guide. L’absence de sens des phrases modèles données par le Guide ne pose pas de problème. « L’absence de mots-outils connecteurs logiques dans les phrases entraîne des implicites qui ne désorientent pas les enfants », affirme-t-il. Ce que recommande le ministère ce n’est pas d’éveiller les élèves à la compréhension de ce qu’ils lisent mais de leur faire ânonner des syllabes. La fluence dans la lecture prime de loin la compréhension.
La suite du Guide consiste en consignes strictes et très détaillées sur le déroulement des leçons. Ainsi le Guide donne un exemple précis de progression , des leçons « modèles », qui distinguent l’apprentissage des syllabes de celle des mots, celle des mots de la phrase.
Pour l’apprentissage des syllabes le guide renvoie aux bonnes vieilles méthodes : « Dans un premier temps, les élèves prononcent chacune des syllabes lues collectivement à l’unisson. Cette démarche permet une bonne mobilisation et un entraînement par le groupe. On peut se « caler » sur les autres, ne pas se sentir seul face à la tâche. Puis, les élèves lisent individuellement. On proposera le « jeu du furet » qui oblige les élèves à lire un à un dans l’ordre d’apparition des syllabes et permet de s’assurer de leur attention et de l’apprentissage en corrigeant immédiatement toutes les erreurs ».
Pour les mots, faire lire » une visite il ose assise le musée l’Asie » ou « plusieurs une usine une buse il pose Susie » ne pose pas de problème aux auteurs du Guide.
La menace de l’inspection
Le Guide va plus loin en donnant une fiche d’évaluation des manuels de lecture rabattant sur les manuels strictement syllabiques. Là-dessus le ministre s’appuie sur un travail pourtant jugé peu scientifique de J Deauvieau.
Pour les enseignants qui s’écarteraient de ces instructions, le ministre lui-même promet les foudres de l’inspection dans l’entretien donné au Parisien. « Certains (inspecteurs) regrettaient de ne pouvoir intervenir quand ils constataient telle ou telle mauvaise pratique en classe en l’absence de texte national de référence. Désormais il y en a un…La liberté pédagogique n’est pas l’anarchie ».
Le retour de 2006
Ces recommandations ne surprendront pas ceux qui suivent JM Blanquer depuis son arrivée au ministère en 2006. Cette année là, comme directeur adjoint de son cabinet, il a mis la main à la circulaire Robien qui lançait la querelle entre syllabique et globale. Alors que la méthode globale avait déjà quasiment totalement disparu, le ministre suscitait cet épouvantail pour se rapprocher des milieux conservateurs et déjà d’un mouvement proche de JM Blanquer, l’association SOS Education. Le ministre s’appuyait sur des chercheurs qui l’ont finalement désavoué dans ses excès.
Robien donnait déjà des instructions précises et lançait les parents sur les enseignants. En creusant ainsi un fossé entre familles et Ecole il n’a certainement pas aidé les élèves à progresser. Cet épisode particulièrement nuisible d’un ministre qui joue contre l’Ecole pour soutenir sa carrière politique a laissé des traces durables dans l’Ecole. Finalement il a abouti à l’éjection de Robien du gouvernement et à la fin de ses mandats politiques. C’est pourtant la même opération que tente à nouveau 12 ans plus tard JM Blanquer.
Un Conseil scientifique déjà inutile
Plus surprenante est sa position par rapport au Conseil scientifique. Mené par S Dehaene , largement cité dans le rapport (23 fois contre 6 pour Goigoux), le Conseil avait d’abord abordé son role avec beaucoup d’arrogance début janvier 2018.
S Dehaene annonçait alors de véritables protocoles à suivre en classe. « On va pouvoir intervenir rapidement avec des outils », prédisait-il. Il annonçait que le conseil « donnera aux enseignants les moyens de calibrer et d’adapter leur enseignement à leur situation ».
Dans l’épisode actuel, JM BLanquer n’a pas consulté le Conseil scientifique mais seulement « plusieurs membres du Conseil scientifique » alors même que le Conseil doit remettre début mai des instructions sur l’enseignement de la lecture et l’écriture. Les autres membres du Conseil jugeront peut –être d’ici là de leur utilité….
François Jarraud
Les 4 notes de service signées JM Blanquer
Le dossier du Café sur ces instructions
Goigoux : La syllabique et l’enseignement en CP
Goigoux : Lecture répondre aux questions du moment